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Chapitre 4  M - Z     (René Guenon)

 

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4 M

mÉlanges

René GUÉNON

Edition Gallimard

 2001

Cet ouvrage a paru en 1978 est un recueil d’articles de R. Guénon écrit vers les années 1909 – 1912.

 

Il traite de l’origine du mal et affirme la totale incompatibilité des points de vue profanes avec les connaissances traditionnelles.

Les axes étudiés sont les suivants : métaphysique et cosmologie, sciences et arts traditionnels et de quelques erreurs modernes, ainsi au sujet du démiurge  il est écrit :


Le problème le plus difficile à résoudre semble être pour beaucoup celui de l’origine du Mal: « Si Deus est, unde Malum? Si non est, unde Bonum? ». Pour ceux qui considèrent que la Création est l’œuvre directe de Dieu, ce problème est insoluble.


On peut dire que la responsabilité de Dieu est atténuée par la liberté des créatures. Mais si les créatures peuvent choisir entre le Bien et le Mal, c’est que l’un et l’autre existent déjà, au moins en principe. Et si elles sont susceptibles de se décider parfois en faveur du Mal au lieu d’être toujours inclinées au Bien, c’est qu’elles sont imparfaites. Comment Dieu, s’il est parfait, a-t-il pu créer des êtres imparfaits?


« Il est évident que le Parfait ne peut pas engendrer l’imparfait, car, si cela était possible, le Parfait devrait contenir en lui-même l’imparfait à l’état principiel, et alors il ne serait plus le Parfait. L’imparfait ne peut donc pas procéder du Parfait par voie d’émanation.

L’idée de la création « ex nihilo » n’est pas sans faille: comment admettre qu’il puisse exister quelque chose qui n’ait point de principe? Et encore: admettre la création « ex nihilo », ce serait admettre par là même l’anéantissement final des êtres créés, et rien n’est plus illogique que de parler d’immortalité dans une telle hypothèse. « Il ne peut rien y avoir qui n’ait un principe; mais quel est ce principe?

 

Et n’y a-t-il en réalité qu’un Principe unique de toutes choses? Si l’on envisage l’Univers total, il est bien évident qu’il contient toutes choses, car toutes les parties sont contenues dans le Tout; d’autre part, le Tout est nécessairement illimité, car, s’il avait une limite, ce qui serait au-delà de cette limite ne serait pas compris dans le Tout, et cette supposition est absurde. Ce qui n’a pas de limite peut être appelé l’Infini, et, comme il contient tout, cet Infini est le principe de toutes choses. D’ailleurs, l’Infini est nécessairement un, car deux Infinis qui ne seraient pas identiques s’excluraient l’un l’autre; il résulte donc de là qu’il n’y a qu’un Principe unique de toutes choses, et ce Principe est le Parfait, car l’Infini ne peut être tel que s’il est le Parfait. »


Certains ont cru devoir admettre deux principes distincts, opposés l’un à l’autre. Mais cette hypothèse est fausse. « D’ailleurs, beaucoup de doctrines que l’on regarde habituellement comme dualistes ne sont telles qu’en apparence; dans le Manichéisme comme dans la religion de Zoroastre, le dualisme n’était qu’une doctrine purement exotérique, recouvrant la véritable doctrine ésotérique de l’Unité: Ormuzd et Ahriman sont engendrés tous deux par Zervané-Akérêné, et ils doivent se confondre en lui à la fin des temps. »


Entre l’Etre et le Non-Etre, puisque l’un et l’autre sont contenus dans la Perfection totale, il n’y a qu’une opposition apparente. Si par Non-Etre on n’entend que le pur néant, il est inutile d’en parler: que peut-on dire de ce qui n’est rien? Mais en réalité le Non-Etre est la possibilité d’être. Ainsi, l’Etre est la manifestation du Non-Etre, et il est contenu à l’état potentiel dans ce Non-Etre.

 

 Le rapport du Non-Etre à l’Etre est alors le rapport du non-manifesté au manifesté, et l’on peut dire que le non-manifesté est supérieur au manifesté dont il est le principe, puisqu’il contient en puissance tout le manifesté, plus ce qui n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais manifesté. En même temps, on voit qu’il est impossible de parler ici d’une distinction réelle, puisque le manifesté est contenu en principe dans le non-manifesté; cependant, nous ne pouvons pas concevoir le non-manifesté directement, mais seulement à travers le manifesté; cette distinction existe donc pour nous, mais elle n’existe que pour nous. » Il en est de même pour tous les aspects de la Dualité.
Nous pouvons remarquer que la Dualité ne peut pas exister dans le Ternaire, car si le Principe suprême donne naissance à deux éléments, qui d’ailleurs ne sont distincts qu’en tant que nous les considérons comme tels, ces deux éléments et leur Principe commun forment un Ternaire, de sorte qu’en réalité c’est le Ternaire et non le Binaire qui est immédiatement produit par la première différenciation de l’Unité primordiale.

4 O

orient et occident

René GUÉNON

Edition de la Maisnie

 1987

Selon R. Guénon, l’Occident devra revenir à des valeurs traditionnelles s’il veut empêcher la dissolution qui le menace. ’Orient pourrait être le support d’un retour vers ces valeurs mais cela ne se fera pas sans difficulté. R. Guénon énumère les écueils à éviter.

 

Extrait du livre : ‘’ On ne peut qu’être frappé à première vue de la disproportion des deux ensembles qui constituent respectivement ce que nous appelons l’Orient et l’Occident : s’il y a opposition entre eux, il ne peut y avoir vraiment équivalence ni même symétrie entre les deux termes de cette opposition. Il y a à cet égard une différence comparable à celle qui existe géographiquement entre l’Asie et l’Europe, la seconde n’apparaissant que comme un simple prolongement de la première ; de même, la situation vraie de l’Occident par rapport à l’Orient n’est au fond que celle d’un rameau détaché du tronc.

 

Si l’on voulait figurer schématiquement la divergence dont nous parlons, il ne faudrait donc pas tracer deux lignes allant en s’écartant de part et d’autre d’un axe, mais l’Orient devrait être représenté comme l’axe lui-même et l’Occident par une ligne partant de cet axe et s’en éloignant à la façon d’un rameau qui se sépare du tronc, ainsi que nous le disions précédemment. Ce symbole serait d’autant plus juste que, au fond, depuis les temps dits historiques tout au moins, l’Occident n’a jamais vécu intellectuellement, dans la mesure où il a eu une intellectualité, que d’emprunts faits à l’Orient, directement ou indirectement. La civilisation grecque elle-même est bien loin d’avoir eu cette originalité que se plaisent à proclamer ceux qui sont incapables de voir rien au-delà, et qui iraient volontiers jusqu’à prétendre que les Grecs se sont calomniés lorsqu’il leur est arrivé de reconnaître ce qu’ils devaient à l’Égypte, à la Phénicie, à la Chaldée, à la Perse et même à l’Inde

 

Dans un rapprochement avec l'Orient, l'Occident a tout à gagner ; si l'Orient y a aussi quelque intérêt, ce n'est point un intérêt du même ordre, ni d'une importance comparable, et cela ne suffirait pas à justifier la moindre concession sur les choses essentielles ; d'ailleurs, rien ne saurait primer les droits de la vérité. Montrer à l'Occident ses défauts, ses erreurs et ses insuffisances, ce n'est point lui témoigner de l'hostilité, bien au contraire, puisque c'est la seule façon de remédier au mal dont il souffre, et dont il peut mourir s'il ne se ressaisit à temps. La tâche est ardue, certes, et non exempte de désagréments ; mais peu importe, si l'on est convaincu qu'elle est nécessaire ; que quelques-uns comprennent qu'elle l'est vraiment, c'est tout ce que nous souhaitons’’

4 P

PARIS – LE CAIRE  - Correspondance entre René Guénon et Louis Cattiaux   de 1947 à 1950

 R. D’Oultremont

Edition  Le  Miroir D’Isis 

 2011

Pour la première fois, grâce au concours et à l’aimable autorisation de sidi Abd-el-Yahia, fils de René Guénon, voici enfin réunie la correspondance entre René Guénon (1886-1951) et Louis Cattiaux (1904-1953).

 

Cet échange de lettres est concentré sur un laps de temps très court, du 17 novembre 1947 au 10 octobre 1950 ; le contexte est celui de l’après-guerre : le matérialisme, l’athéisme, le capitalisme et ses valeurs, envahissent le domaine des idées.

 

René Guénon publie Le règne de la quantité et les signes des temps en 1945 ; au même moment Louis Cattiaux, auteur du « Message retrouvé », écrit : « Le monde préfère la quantité à la qualité, mais Dieu préfère la qualité à la quantité ». Pour ces deux chercheurs de Dieu, chacun à sa manière, le nouveau monde qui émerge amorce un virage qui le détourne irrémédiablement de la Tradition Primordiale qui est au centre de leur recherche. Tant Guénon au Caire, que Cattiaux à Paris, se sentent isolés et incompris dans ce monde où règne en maître la science profane.

 

Dans leur correspondance ils tentent de définir comme il convient, les notions d’alchimie, de philosophie, de yoga, de religion, d’initiation etc. Ils échangent sur le Tao, le Coran, la valeur des traductions, les étymologies, sur le Christ ou le Krist…

 

Guénon et Cattiaux dérangent, bousculent, chacun à sa manière, ils ne sont pas facile à lire mais ne mâchent pas leurs mots. Ensemble ils parlent de Chacornac (1884-1964) écrivain et éditeur, du Dr Rouhier, du vicomte Ludovic de Gaigneron, rédacteur de la revue « le bélier » et qui sera au cœur de l’affaire Dreyfus.

En 1948, le Père Régamey s’intéresse aux théories de l’Art de Guénon, le Père Danielou aux écrits de Guénon sur l’Inde, le Père Bruckberger, prêtre dominicain, rédacteur de la revue thomiste, rédige en 1937 une thèse sur la Métaphysique de Guénon.  Guénon et Cattiaux parlent également de Michel Ivanoff, qui deviendra le fameux et prolifique « 

Aïvanhov  - 1900-1986 », sans oublier, bien sûr Lanza del Vasto (1901-1981), ami de Cattiaux et disciple de Gandhi.

 

Alors quel sens peut-on trouver à cette correspondance, qui reflète en partie les préoccupations des esprits de l’époque ? Pour Louis Cattiaux un des buts était qu’il souhaité avoir une introduction de Guénon pour son ouvrage, en contrepartie il lui apportait des éléments de réflexions sur la genèse de son ouvrage. Finalement Guénon ne pourra écrire cette introduction, mais les échanges de lettres prouvent que René Guénon aimait ces échanges, tout en se détachant de plus en plus de ce monde.

 

politica hermetica n° 16

par Divers Auteurs

Edition L’ÂGE D’HOMME

 2002

René GUENON (1886 – 1951) – Vingt ouvrages publiés entre 1921 et 1965 et régulièrement réédités témoignent de la portée d’une œuvre devenu emblème de l’anti modernité. Son influence s’est répandue sur les deux rives de l’Atlantique puis, plus tardivement, dans l’ensemble du monde musulman.

 

René Guénon voulut témoigner de la tradition éternelle et universelle, conservée en Orient dans l’Inde Védantique en particulier, pour servir de modèle à l’Occident dévoyé. Ses écrits s’adressaient à une élite capable de discerner les traces de cette tradition éparses dans la symbolique religieuse ou dans la Franc-Maçonnerie considéré par lui comme la dernière initiation régulière de l’Occident. La théorisation de cette approche permettait de saisir la vraie nature de l’ésotérisme.

L’objet de ce colloque a été de replacer l’entreprise dans le contexte intellectuel du temps ; le sien tout d’abord puis celui des générations de lecteurs successives. L’analyse, critique ou « engagée », a porté sur son influence dans les milieux islamisés européens, les domaines iraniens et turcs ainsi que sur les réactions des milieux catholiques et des diverses branches de la maçonnerie.

 

Deux communications ont abordé la question fondamentale du statut et de la fonction du texte écrit. Enfin la place du bouddhisme dans son œuvre et l’enseignement à tirer de sa vision du Moyen Âge ont mis en relief les articulations et les points de rupture entre les deux attitudes, critique et engagée.


Les intervenants de ce colloque sont : J.P. Laurant, Jérôme Rousse-Lacordaire, F. Chenique, Th. Zarcone, P. Mollier, Xavier Accart, A. Grossato, Le Gouard, P. Zoccatelli, M. Yvert-Jalu, F. Laget etc.

 

prÉsence de renÉ guÉnon –           2 TOMes-

Jean tourniac

Edition SOLEIL NATAL

 1993

2 volumes par Jean Tourniac,  sur la présence invisible mais réelle de René Guénon dans l’œuvre et la métaphysique de la Franc-maçonnerie et de la chevalerie templière moderne.

Le 1er tome est consacré à l’œuvre et l’univers rituel, le second parle de la maçonnerie templière et de son message traditionnel.

 

Je crois qu’il est important ici de faire la distinction entre la Tradition (écrite avec un « T » majuscule) et l’expression « Tradition Primordiale » même si cette distinction n’est pas toujours très clairement formulée chez Guénon. Pour le dire simplement, la Tradition est l’essence de toutes les grandes traditions religieuses de l’humanité, ce qui en fait un concept universel – c’est à mon sens le « génie » de Guénon – puisqu’il serait possible de retrouver cette essence, autrement dit le noyau spirituel de l’humanité, dans le corps substantiel des autres religions. Dès lors, l’homme traditionnel, dans le sens guénonien du terme, est en quelque sorte l’homme qui a creusé sa propre religion jusqu’à y découvrir la sève première, la lumière originelle, qui est partout la même. Ce que Frithjof Schuon appellera « l’unité transcendante des religions ».

 

Cette Tradition est « réinventée » en fonction des lieux et des époques où vivent les hommes ; elle est réinventée, bien sûr, dans la façon dont les hommes l’appréhendent, et en témoignent dans leur vécu, mais demeure immobile au regard de la roue du temps qui tourne. L’expression « Tradition Primordiale » me semble plus problématique dans la mesure où elle permet à Guénon de resituer, tout du moins tenter de le faire, cette tradition dans le cours de l’histoire : il existerait donc une souche primordiale de laquelle partiraient les différentes branches religieuses au cours de l’humanité. Avec un début, l’hindouisme, et une fin, l’islam, soit un processus linéaire, voire téléologique, qui expliquerait les choses à partir de leur point d’arrivée, une forme d’évolutionnisme religieux tout de même étonnant de la part de Guénon. Ce n’est d’ailleurs pas le sujet sur lequel il est le plus à l’aise.

 

L’impact de l’œuvre de Guénon épouse les formes de sa réception et l’on peut dire à ce sujet que l’auteur de La Crise du monde moderne a réussi un tour de force : être lu par peu de personnes mais être lu et donc relu de façon régulière au fil des générations qui passent. Cela prouve deux choses qui sont intimement liées : la lecture de Guénon provoque, et c’est encore le cas aujourd’hui, une sorte de secousse qui prend à revers tous les préjugés qui fondent notre existence « moderne ». Dès lors, et c’est le deuxième point, cette lecture marquante laisse une empreinte profonde chez des personnes qui vont s’en faire par la suite les passeurs privilégiés autour d’eux.

 

Ainsi s’organise une réception qui trace son sillon dans le champ intellectuel et qui se renouvelle en fonction des générations prises en compte. C’est pourquoi, n’en déplaise aux « guénolâtres » qui veulent enfermer l’œuvre dans son écrin originel, on retrouve la référence à Guénon dans des milieux aussi différents que ceux des spiritualités alternatives, des pratiques contre-culturelles, des traditions religieuses et des engagements alter politiques,

 

propos sur renÉ guÉnon

Jean tourniac

Edition derVy

 1973

L’auteur nous invite à voyager avec René Guénon, son œuvre, les rapports avec le christianisme et la Franc-maçonnerie.

 

Les promenades rituelles, et ses explications sur l’exotérisme et l’ésotérisme. Des réflexions guénonienne qui  serviront de base de réflexion et de méditation.

Guénon a toujours réfuté l’entreprise personnelle pour mieux se fixer dans la pensée universelle : « Étant absolument indépendant de tout ce qui n’est pas la vérité pure et désintéressée, et bien décidé à le demeurer, nous nous proposons simplement de dire les choses telles qu’elles sont. » Cet artifice rhétorique place d’emblée son auteur dans une posture gnostique :

il se présente comme le témoin d’une tradition primordiale et déclare, à partir de ce lieu mythique, son étrangeté au pouvoir politique ou, de façon plus souterraine, sa volonté d’en informer la réalité subtile. Guénon a été profondément marqué par le milieu occultiste dans lequel il a forgé ses premières armes conceptuelles au cours de la période 1906-1914. Deux éléments essentiels à cette culture transparaissent tout le long de son cheminement : une forme de connaissance et un mode de sociabilité.

Son premier article, publié en 1909 dans La Gnose, contient en toutes lettres le cœur de son projet : « Il ne peut rien y avoir qui n’ait un principe. » Et la remontée vers ce principe unique, identifié à l’« Esprit universel », suppose une connaissance salvatrice, c’est-à-dire une gnose qui permet de s’affranchir des conditions (limitées) de l’existence. Guénon ne se détournera jamais de cette intuition fondatrice. L’exposé aux contours occultisants laisse peu à peu la place à un discours construit autour de deux axiomes complémentaires. La gnose bientôt renommée « métaphysique » n’est pas un système qui se fonde sur la raison, comme la science ou la philosophie, mais une connaissance qui se reflète dans l’« intellect pur ». Elle est par conséquent une expérience de l’être, en somme une initiation, dont le procès de vérification dépend uniquement du témoignage individuel : « Se connaître revient à se retrouver dans l’entière vérité de son être personnel  il y a rencontre, puis union de soi avec soi. » Cette foi inextinguible en son savoir est le lieu d’où parle Guénon, son instance de légitimité. Par nature invérifiable, elle place son détenteur dans la position de l’élu et se concrétise dans le rappel des vérités premières d’une part, et le témoignage de sa propre vérité d’autre part.

Cette volonté de connaissance s’accompagne, chez lui, d’un fort attachement aux modes de sociabilité occultiste. D’abord, il se présente comme le porte-parole, le révélateur en quelque sorte, d’une vérité cachée d’origine non humaine – traduite sous l’expression « tradition primordiale ». Cette posture n’est pas nouvelle ; elle caractérise les écrivains occultistes qui s’inventent une filiation légendaire et revendiquent le caractère visionnaire de leurs écrits. Ensuite, il partage le rêve (très occultiste) de produire une synthèse universelle qui serait capable de relier tous les plans de l’univers dans une même unité de sens. Son attitude hautaine, parfois dédaigneuse, renvoie à la certitude de l’initié qui a percé les arcanes de la connaissance pour retrouver l’harmonie perdue.

À partir des années 1920, l’auteur de La crise du monde moderne s’éloigne de son port d’attache occultiste au fur et à mesure que sa notoriété croît sur la scène intellectuelle. L’amateur des doctrines secrètes disparaît sous l’identité plus respectable de l’essayiste politique et du spécialiste de l’hindouisme. Pourtant, Guénon ne se coupe jamais complètement d’une culture qui continue à irriguer son mode de pensée. D’une part, il publie certains de ses ouvrages dans des maisons d’édition confidentielles afin de toucher un public féru d’ésotérisme. D’autre part, il tisse des liens avec de nombreux acteurs du monde occultiste et n’hésite pas à collaborer avec des revues dont le tirage ne dépasse pas parfois la centaine d’exemplaires.

En vérité, Guénon se pense et se voit davantage comme un témoin gnostique que comme un intellectuel engagé. Outre l’importance de l’imaginaire occultiste, il s’agit de promouvoir un nouveau mode de connaissance, non plus basée sur la cognition rationnelle de la philosophie, mais sur l’« intuition intellectuelle » de la gnose. Se joue ici toute la question de sa légitimité. En effet, l’assise du gnostique et, plus largement, celle de l’intellectuel ésotérique dépend moins de sa production écrite ou de son discours prescripteur que de l’expérience dont il se veut le témoin privilégié. Son rapport au politique suit une pente similaire : contourner le lieu du pouvoir pour mieux en redéfinir les principes constitutifs. En somme, remonter à la source du principe et prononcer la vérité de l’être, non plus individuel, mais collectif. 

A priori, le chemin proposé par Guénon vise avant tout l’éveil intellectuel (gnostique) de ses lecteurs/disciples. Dès lors, la question du politique n’arrive pas en premier. Mieux, le positionnement affiché se situe toujours en dehors ou au-dessus du politique. L’auteur d’Orient et Occident rappelle à plusieurs reprises qu’il ne souhaite, en aucun cas, participer aux joutes partisanes et se méfie tout particulièrement des récupérations idéologiques. « Aucune tendance politique existant dans l’Europe actuelle ne peut valablement se recommander de l’autorité d’idées ou de doctrines traditionnelles, les principes faisant également défaut partout » prévient-il. Cette mise en garde traduit en réalité une autre approche du politique : celle qui met le Spirituel au-dessus du Temporel. Et peut se décliner sous trois angles successifs : une grille d’analyse, un mode opératif et une projection idéelle.

Pour Guénon, le pouvoir politique tire sa légitimité de l’autorité spirituelle dans la mesure où sa fonction première réside dans la conformation de l’ordre social avec les plans de la Providence. Cette lecture Théo politique, proche de la pensée de saint Thomas d’Aquin, reçoit toutefois des prolongements plus « hétérodoxes ». En premier lieu, ce n’est pas le modèle de la chrétienté médiévale qui est privilégié, mais celui – beaucoup plus inattendu pour l’époque – du régime des castes hindou. Au-delà des parallèles observés entre les deux sociétés traditionnelles, Guénon promeut un système très largement idéalisé dans lequel la caste sacerdotale incarne la « connaissance transcendante et “suprême” » et irrigue l’ensemble du corps social de son influence spirituelle.

En second lieu, la rupture entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle devient la clé explicative de toute l’histoire de l’humanité. Ainsi, le magistère des Brahmanes (prêtres) laisse la place au règne des Ksatriyas (guerriers), ce qui se concrétisent en Occident par la révolte de Philippe le Bel contre le pape Boniface VIII et la disparition de l’Ordre du Temple (1314). Puis, la « descente » s’accélère avec l’emprise des marchands (Vaishyas) sur le monde et, bientôt, l’avènement du « bolchevisme » avec la dictature de la multitude (Sûdras). Cette inversion complète des castes se traduit également par une baisse d’intensité progressive de la spiritualité et débouche sur une critique radicale de tous les éléments constitutifs du monde moderne : progrès, démocratie, raison, individualisme, etc. Processus d’autant plus inéluctable qu’il s’inscrit dans une conception du temps marqué par l’épuisement des possibilités, et une histoire hantée par la fin du monde.

En dépit de ce diagnostic très sombre, Guénon n’apparaît jamais comme un intellectuel dégagé des contingences terrestres. Au contraire, il continue à œuvrer dans le sens d’une restauration traditionnelle. Et élabore, à cette fin, un programme d’action métapolitique qui repose sur deux piliers : une conception occulte du pouvoir et la constitution d’une élite intellectuelle. René Guénon définit l’espace politique comme un vaste champ psychique dans lequel il est possible d’agir sur l’opinion publique grâce à l’influence de courants d’idées. Ainsi, la démocratie moderne ne serait qu’une sorte de religion laïque portée par de « fausses élites » et soutenue par la vénération de « grandes idoles » : « Progrès », « Justice », « Égalité », etc. Par conséquent, la réalité du pouvoir réside toujours dans les coulisses de l’histoire, là où les groupes d’initiés se livrent une lutte permanente.

Cette foi gnostique trouve naturellement son aboutissement dans une projection idéalisée de la civilisation traditionnelle. Si Guénon rejette toute perspective utopique, il rêve bien d’une humanité placée sous la direction d’une autorité spirituelle universelle dont la mission dernière consisterait à déchirer l’enveloppe du temps pour se fondre dans l’unité primordiale (âge d’or). Son propos n’est pas sans rappeler la pensée de Joseph de Maistre qui décrit, sous couvert d’une défense absolue de l’infaillibilité pontificale, la vision d’une nouvelle Europe unifiée sous l’égide d’un « Pasteur commun ». Ou encore les écrits de Platon qui font du « Conseil nocturne » (assemblée de prophètes) l’intellect invisible de la cité en charge de traduire ici-bas l’influence des dieux. L’imaginaire reste plus que jamais celui d’une théocratie parfaite. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre les développements guénoniens relatifs à l’existence d’un « centre initiatique suprême » ou à la symbolique du Roi du Monde. Ils continuent à entretenir une forme d’ésotérisme politique – « autorité invisible », « roi caché », etc. – à un moment où la science positive dicte l’organisation des pouvoirs.

En définitive, l’attitude de Guénon à l’égard du politique reste ambivalente : d’un côté, il y a la volonté de se situer en dehors ou au-dessus des luttes temporelles et, de l’autre, la nécessité d’ordonner le pouvoir politique autour de la connaissance transcendante. Avec en toile de fond la critique d’un monde moderne jugé inapte à la chose spirituelle et, donc, illégitime au regard de ses fins dernières. Ce positionnement hybride tient en grande partie à la posture du gnostique, à savoir celle d’un clerc qui parle au nom des « valeurs éternelles et désintéressées » sans se soucier, toujours, des problèmes du temps présent. Est-ce pour autant un intellectuel désengagé ? En réalité, c’est surtout la forme de l’engagement qui revêt des atours spécifiques.

 

psychologie

Introduction, notes et choix des Illustrations par A. GROSSATO

Edition Arché

 2001

Ouvrage posthume de R. Guénon ou l’auteur décrit les composants essentiels de la psychologie humaine. R. Guénon y consacre des pages extraordinaires à l’art de la mémoire et à l’imagination créatrice.

 

Le premier chapitre de Psychologie s’ouvre sur la distinction entre une conception métaphysique de la psychologie et une conception de la psychologie envisagée du seul point de vue psychologique, comme c’est le cas pour ce qui concerne l’enseignement de la psychologie moderne dans son ensemble : « Quand on parle de psychologie il peut s’agir de deux choses très différentes qu’il est indispensable de bien distinguer tout d’abord : d’une part, la psychologie métaphysique, c’est à dire la connaissance de l’âme envisagée en elle-même dans sa véritable nature, et d’autre part, la psychologie proprement dite positive ou expérimentale, qui est seulement l’étude des phénomènes mentaux. »

 

Selon le Vêdânta, sur le point de vue duquel nous nous sommes basé pour nos commentaires, l’observation des “phénomènes psychologiques” par le moyen de la concentration et de la “connaissance directe” (pratyaksha) fait l’objet d’une discrimination  permettant l’accès à la connaissance de l’être et des conditions de son état. Cette connaissance peut commencer à partir de ce qui est suggéré  : « Nous pouvons aller plus loin, car le phénomène psychologique est, comme nous l’avons déjà dit, plus directement perçus que les phénomènes extérieurs, il est donné plus immédiatement que ceux- ci, qui, pour être perçu c’est-à-dire pour entrer dans le domaine de la conscience doivent nécessairement revêtir eux aussi un caractère psychologique, et même ce n ’est qu’à ce titre que leur existence en tant que phénomène est concevable, le mot même de phénomène signifiant étymologiquement ce qui apparaît ». 

 

En énumérant ultérieurement les méthodes de l’observation des phénomènes psychologiques, Guénon souligne immédiatement la possibilité de “l’observation objective” pouvant s’effectuer sans référence immédiate au  caractère subjectif de la mémoire individuelle. Celle-ci, comme cela sera développée par la suite, relevant spécifiquement du domaine de la “conscience individuelle”   « Nos idées préconçues peuvent aussi exercer une influence sur les faits mentaux que nous observons en nous et les modifier dans une certaine mesure, mais outre le recours à la mémoire on peut employer alors l’observation objective au lieu de l’observation subjective. »

 

Le chapitre III, « Conscience, subconscience, inconscience », est essentiel pour comprendre la nature et les limites de la psychologie et la situer à la place qui lui revient. Comprendre ce qu’est la conscience est, dans ce domaine, la première chose à envisager. Guénon en a donné en plusieurs endroits de son œuvre une définition de ses diverses modalités qui reste à ce jour sans équivalent. Nous en retrouvons ici la formulation complète : « La conscience claire et distincte, ou la conscience normale, peut être considérée comme occupant en quelque sorte la région centrale dans le domaine de la conscience intégrale, et elle a, comme nous l’avons dit, des prolongements qui occupent le reste de ce domaine. Or, il est évident que l’on peut envisager des prolongements s’étendant en divers sens à partir du centre commun auquel ils sont rattachés ; mais le mot de subconscience, par sa composition, semble indiquer qu’il s’agit uniquement de prolongements inférieurs de la conscience, et ce sont bien en effet ceux-là qu’on envisage habituellement sous ce nom.

 

Si donc on admet la subconscience (et, d’après tout ce que nous avons dit, il faut bien l’admettre), il semble qu’il y ait lieu aussi d’admettre corrélativement une super conscience, c’est-à-dire un ensemble de prolongements supérieurs de la conscience, ce que ne font pas en général les psychologues. Cependant certains ont employé ce terme de super conscience, mais dans un sens tout différent : ce sont les psychologues qui admettent une pluralité de consciences, et ils appellent super conscience la conscience centrale, par opposition aux consciences subordonnées. Employé de cette façon, ce terme n’est en somme qu’un néologisme inutile, puisqu’il ne désigne rien de plus que la conscience proprement dite ; il n’en est pas de même lorsqu’on oppose la super conscience à la subconscience, comme nous le faisons, en la distinguant en même temps de la conscience ordinaire ; mais, comme l’étude de ce que peut être la super conscience ainsi entendue sort entièrement de la psychologie classique, et que même il ne peut plus y être question proprement de phénomènes psychologiques, il ne nous est pas possible d’y insister davantage ici, et nous devons nous borner sur ce point à ces quelques indications ».

 

A la philosophie et à la métaphysique reviennent logiquement la connaissance, tandis que la conscience, considérée du point de vue individuel, ressort du domaine de la psychologie et donc de l’ontologie. Quoi qu’il en soit, ces deux termes sont susceptibles d’une transposition, dès lors qu’on les envisage d’un point de vue supérieur, et non plus exclusivement selon les limites de la raison, comme les philosophes le font généralement. Dans le chapitre XVI des États multiples de l’Être, Guénon distingue la conscience (individuelle) de la connaissance. Cette conscience «…dont le domaine est seulement coextensif à celui de certains états d’être déterminés » Ces états déterminés sont proprement le champ de la conscience constitué par les informations sensorielles auxquelles se superpose la condition psychologique individuelle. Cet ensemble qui représente l’exercice de ce que les doctrines hindoues désignent par le milieu mental (antahkarana) est l’objet direct d’ahamkâra, la conscience individualisée.

 

L’auteur du cours de psychologie, suivant le programme de philosophie de son temps, met en garde l’étudiant sur la considération d’un “fait” dit “scientifique” qui ne prenne pas en compte la caractéristique psychologique, et se revendique même de manière abstraite, de toute psychologie, comme la démarche moderne a pris l’habitude de l’imposer. Dans le chapitre IV, « la nature de la conscience », sont réfutées toutes les imprécisions et autres erreurs qui ont cours au sujet de la conscience. Celle-ci y est en effet définie comme une unité distincte des faits psychologiques qui se produisent en elle. Il importe, du point de vue métaphysique, que cette unité ne soit pas conçue dans une distinction radicale du sujet et de l’objet, laissant ainsi la place à certains modes de la pensée qui peuvent être parfaitement conscients et qui sont même de l’ordre le plus élevé, où une telle distinction ne peut exister. »

 

Il y a là une référence à la non-dualité dans laquelle la conscience individuelle a son principe immédiat. Selon le Vêdânta, la conscience individuelle est définie comme possédant la fonction d’exprimer la Conscience (çaitanya) délimitée (illusoirement) par identification avec la perception sensible qui s’exprime ordinairement par : « Je suis le corps ». Guénon, enfin, décrit la conscience comme centre de l’activité de l’être auquel sont subordonnés les sensations, les activités sensorielles, les facultés mentales, les conditions psychologiques, les états transitoires, la mémoire etc. Cette énumération distinctive permet à l’auteur de conclure sur le caractère radical de la conscience  :  « En un mot la conscience, par sa nature et par ses fonctions, est quelque chose d’irréductible et toute étude que l'on en fait la montre comme une activité d’un genre tout spécial, qui n’est assimilable à aucun autre. » ………  

4 Q

que vous a apportÉ  renÉ guÉnon ?

D. gattegno & Th. JOLIF

Edition Dualpha

 2002

Des écrivains et des philosophes sont interrogés sur cette question et chacun d’y répondre à sa façon. Instructif car chacun dit presque la même chose mais différemment et sous des angles inattendus qui font réfléchir.

 

Y trouvera-t-on les inépuisables considérations sur les toujours mêmes choses ? Eh bien, à dire vrai, pas tout à fait les mêmes. Parce que la question posée invite à s’épuiser soi-même, elle incite à ne pas rabâcher ce qui a été déjà dit et redit. Charge aux collaborateurs de ne pas se laisser aller, tout doucettement, à passer à côté de la question…

 

Certains ont accepté de jouer le jeu ; d’autres n’y ont mis que le bout du doigt ; enfin, de troisièmes n’ont pas exactement osé s’aventurer – ce qui n’en constitue pas moins une réponse…

C’était une gageure, du reste ; en effet, la mentalité moderne force à ce que, au lieu de parler, en toute simplicité, tout un chacun ne fasse plus que répéter et, de préférence, en se contentant de ce que d’autres ont déjà pu avancer, en sorte de ne pas trop se « compromettre ».

C’est s’exposer courageusement que de faire le point sur soi-même, avec sincérité et avec cette œuvre en regard… Nul qui l’a lue, sauf à s’être enfui à toutes jambes dès les premières lignes, nul qui l’a lue n’a continué à suivre sa voie de la même démarche ; que cela ait pu lui plaire ou lui déplaire, nul ne saurait prétendre en être revenu indemne. Que l’âme en fût blessée ou le cœur ragaillardi, l’exercice de la pensée de chacun n’a pu qu’en être durablement impressionné.

Les collaborateurs à cet ouvrage: Luc-Olivier d’Algange, Philippe Barthelet, Christian Bouchet, André Coyné, Yves Daoudal, Bruno Favrit, Pascal Gambirasio d’Asseux, David Gattegno, Michel Gaudard de Soulages, Georges Gondinet, Arnaud Guyot-Jeannin, Thierry Jolif, Christophe Levalois, Jean-Paul Lippi, Frédéric Luz, Michel, Jean Parvulesco, Patrick Rivière, Luc Saint-Étienne, Alain Santacreu.

 

4 R

 

rÉflexions d’un chrÉtien sur la franc-maçonnerie

Denys roman

Editions TRADITIONNELLES

 1995

« La Maçonnerie elle-même a-t-elle une origine unique, ou n’a-t-elle pas plutôt recueilli, dès le Moyen Âge, l’héritage de multiples organisations antérieures ? »


Cette remarque de René Guénon fonde le thème central de l’œuvre de Denys Roman : qu’ils soient pythagoriciens, templiers et rosicruciens, hébraïques, hermétiques, chevaleresques ou sacerdotaux, les divers éléments de cet « héritage », « entassés » au cours des âges dans l’Arche maçonnique sous forme de dépôts de tout ce qu’il y a eu de vraiment initiatique dans le monde occidental, sont autant de « germes » pour le cycle à venir qu’il convient de conserver avec la plus extrême vigilance.


Mais ils sont également autant de Terres saintes, que tout homme qualifié peut déjà conquérir au cours de sa quête initiatique.


Parmi ces dépôts, celui d’une notable partie de l’ésotérisme chrétien – dont, selon l’Écriture, Saint Jean l’Évangéliste est le Recteur immortel – illustre par excellence les  destins privilégiés de l’Ordre qui en est le dépositaire et le gardien.

 

renÉ guÉnon

 

Le Cercle de Lumière

 1993

Colloque du centenaire Domus Medica, avec des interventions de Jean Borella, J.P. Schnetzler, J. Tourniac, J. Biès etc…

 

Des articles qui contribuent à une meilleure connaissance de René Guénon.

 

renÉ guÉnon

 

ARCADIA

 1998

Deux gros cahiers – nombreux articles sur sa vie, son œuvre et son implication dans la vie maçonnique et dans son enseignement de la métaphysique.

 

Un Français vit depuis des années en Orient et il ne se distingue pas en apparence de la foule des musulmans qu'il côtoie. Pourtant cet inconnu recevait avant la guerre un courrier d'ambassadeur. De tous les coins du monde, des continents les plus anciens et les plus nouveaux, de l'Inde et de l'Amérique, des hommes soucieux des plus hautes questions sollicitaient de sa part un avis ou un éclaircissement. Ce Français a fait paraître, entre 1921 et 1932, une trentaine d'ouvrages. Des traducteurs italiens et anglais, des penseurs allemands lui ont consacré des études où ils reconnaissent en sa personne le centre d'une « France inconnue ». Cependant, chez nous, qui connaît René Guénon, sauf ceux qui le plagient, le craignent ou le haïssent et par conséquent se taisent? Personne sans doute ne s'étonnera d'une aussi banale aventure, celle d'un initiateur de haute classe méconnu dans le pays qui fut sien, personne, sinon les naïfs qui croient à la spontanéité des modes et à la gratuité des réputations, même quand il s'agit de modes de l'esprit ou de réputations intellectuelles. A des yeux avertis le monde qui vient de périr n'apparaissait pas moins camouflé ou truqué que la Suisse de Tartarin. S'il existait à cet égard des différences entre les peuples, il ne s'agissait que de degrés dans la suggestion subie.


Qu'apportent donc les ouvrages de René Guénon pour avoir suscité tant de multiples et ferventes admirations à côté d'hostilités si tenaces? Chacun de nous comprend que la crise actuelle, d'allure apocalyptique, ébranle les fondements mêmes de notre civilisation. Pour la conjurer, les remèdes empiriques se montrent ridiculement illusoires. Les idées que nous ont léguées la Renaissance, la Réforme et la Révolution, idées sur lesquelles bon gré mal gré nous avons vécu, ont abouti à une faillite d'autant plus grave que nous étions moins préparés à la chute. Toutes les civilisations passées ont duré des millénaires. La nôtre est essoufflée au bout de cinq siècles.
Cette tragédie et cette angoisse se manifestent clairement dans ce qu'on a pu appeler « le grand silence de l'intelligence ». Un esprit contemporain est accablé par une masse tellement énorme de notions, d'hypothèses et d'expériences contradictoires, que le rôle véritable l'intelligence, c'est à-dire l'organisation harmonieuse et la digestion utile du savoir s'avèrent de plus en plus difficiles.


Or le point de vue central et synthétique celui qui comprend tout sans rien supprimer, qui permet l'économie de la mémoire et de l'effort, qui aide l'invention et la découverte, qui facilite la liaison entre les disciplines les plus étrangères, enfin le point de vue des principes unissent les idées et les hommes, nul plus que René Guénon n'en a fait le thème de ses écrits. A cette idée de centre est intimement liée l'idée de germe. Le germe est le centre efficace par excellence, celui qui contient déjà dans sa mystérieuse complexité tous ses développements ultérieurs. L'idée de germe emporte avec elle l'idée de liaison avec son origine, donc celle de tradition.
De même que le maintien de la santé se base sur la connaissance de la physiologie et que la physiologie s'explique par l'hérédité, l'homme moderne doit comprendre qu'il incarne son propre passé et qu'il ne peut durer en contradiction avec lui. Il ne guérira qu'en revenant à ses origines, à l'élément profond qui seul peut lui permettre d'échapper aux incertitudes qui l'oppressent et aux catastrophes qu'il subit.

La connaissance traditionnelle des principes un bien. commun de l'humanité, dépôt bien antérieur à l'histoire et qui s'est ensuite épanoui dans les formes les plus hautes et les plus parfaites de la période historique. En l'ignorant on commence par ignorer le vrai visage de ces civilisations anciennes et l'on. s interdit pour soi-même le retour à cet état primordial d'où tout découle et qui réserve à celui qui peut y parvenir l'inépuisable richesse de ses possibilités. On comprend pourquoi René Guénon s'est trouvé obligatoirement orienté vers la pensée asiatique traditionnelle, même si, en certaines de ses parties, elle semble s'être occidentalisée en surface, beaucoup plus pour nous répondre et nous combattre que pour nous imiter. Dans cette « orientation » il n'y a pas une querelle de points cardinaux ou une question de longitude. La vérité ne commence pas d'exister au moment où elle passe à tel ou tel méridien. Mais de même que pour éclairer un fait historique, on recueille le témoignage de ceux qui l'ont vu ou qui transmettent intact le récit de ceux qui l'ont vu, on doit s'initier à la connaissance auprès de ceux qui l'ont conservée comme le plus précieux des héritages.


Cette connaissance des principes, l'Occident la possédée jadis. Elle s'appelait la métaphysique, d'un mot qui signifie «au-delà de la physique », c'est-à-dire, comme nous l'écririons aujourd'hui, « au-delà de la nature ». Cette connaissance est en effet le domaine du surnaturel et on ne peut l'atteindre que par l'intuition immédiate de l'intellect transcendant, qui n'est pas une faculté individuelle mais universelle comme l'objet même qu'elle prétend saisir. Si l'on doute de la réalité d'une telle prétention, il suffit d'essayer soi-même de l'atteindre pour s'en convaincre, puisqu'il existe dans toute certitude, même « mathématique », quelque chose d'incommunicable. L'idée de tradition, nous dira-t-on, est une vieille lune, Sans doute et le souci de nouveauté est le dernier qui aurait pu effleurer. l'esprit de René Guénon. Il ne se soucie que de vérité. Il ne faudrait d'ailleurs pas confondre la tradition vraie avec ses caricatures humaines qui servent tellement bien à camoufler les ignorances et les convoitises. Il s'agit exclusivement ici de la tradition intégrale et primordiale que tous les hommes à leur apparition sur cette terre ont reçue en dépôt avec la vie et qui chez nous, en Occident, a été refoulée jusqu'à être totalement méconnue.


Le caractère capital qui distingue René Guénon des autres « prophètes du passé », c'est sa méthode, « Chez lui, nous dit Léopold Ziegler, c'est une conviction. inébranlable que la tradition intégrale ne sera jamais saisie par les instruments habituels de la science. Il n'y a aucun résultat décisif à attendre ni de la bêche de l'archéologue, ni des documents de l'historien, ni des symboles du mythographe, ni des manuscrits du philologue, ni des enquêtes de l'ethnographe, ni de la « réminiscence ancestrale» du philosophe. Sans doute on ne peut se passer tout à fait d'un appareil scientifique de ce genre ou de tout autre analogue. Mais celui-là seul avancera avec sûreté qui aura pu obtenir un rattachement direct à la tradition intégrale là où elle est encore vivante..» Il ne s'agit pas en effet d'une connaissance théorique et abstraite, qui est toujours indirecte et symbolique, mais d'une réalisation, d’une prise de contact réelle, d'une identification par la connaissance, attitude qui est aujourd'hui, en Occident, totalement ignorée.

 

Ceux qui savent un peu de quoi il s'agit ne doivent pas s'étonner que les moyens mis en oeuvre pour cette réalisation - mots, rites ou symboles - n'aient pas de mesure commune avec la fin visée. Ces moyens ne constituent que des supports pour l'obtention d'un résultat qui les dépasse infiniment et qui n'est nullement leur conséquence. Ils ne sont d'ailleurs pas obligatoires. Ils ne font que faciliter un travail qui peut être obtenu d'autres façons. En exposant dans ses ouvrages la nature et la portée de la connaissance ainsi déterminée, René Guénon a illuminé comme on ne l'avait pas fait auparavant, les problèmes capitaux qui se posent à notre époque et il permet de les résoudre de la façon la plus claire. Les plus difficiles de ses lecteurs ont l'agréable et reposante certitude de « survoler » les différents antagonismes qui déchirent les esprits d'aujourd'hui. Pour beaucoup d'hommes ses livres furent les messagers du bonheur, du moins pour ceux dont le bonheur commence au moment où ils ont pu comprendre. Ils purent connaître l'accord des idées avec la vie, le calme exaltant, la sérénité libératrice qui dilate, si l'on peut dire, le moi à la mesure du Soi-même, efface toute inquiétude et fait atteindre à l'esprit un degré supérieur, d'où il ne peut plus redescendre.


L'oeuvre de René Guénon se divise naturellement, en quatre parts. La première pourrait comporter le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion, et l'Erreur Spirite, car avant d'exposer les authentiques formes de la tradition, il fallait accomplir la nécessaire et déplaisante besogne d'exécuter leurs contrefaçons modernes. René Guénon l'a fait d'une manière telle que personne n'a valablement répondue à ses réquisitoires. La seconde comprendrait les ouvrages les plus accessibles, ceux où il expose les raisons du désordre actuel et les conditions du redressement Orient et Occident, la Crise du Monde moderne, Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, qui sont, a dit Léopold Ziegler, « les écrits les plus profonds et les plus savants qui traitent de l'homme dans la crise ». Une troisième parti comprendrait les ouvrages où Guénon a montré que l'Occident a jadis possédé une tradition authentique, d'ailleurs cachée, analogue à celle qui subsiste en Orient, l'Ésotérisme de Dante, Saint Bernard et le Roi du Monde. En ces oeuvres s'impose la dominante de sa pensée, la communauté d'origine des traditions initiatiques et religieuses de l'humanité et par suite l'existence d'une tradition primitive, source unique où est venue s'alimenter au cours des âges la vie spirituelle des hommes. Enfin la quatrième série d'ouvrages, la plus positive et la plus riche, expose avec une clarté qu'on avait attendue vainement des orientalistes officiels la véritable métaphysique orientale sous ses divers aspects -. Introduction générale à l'étude des Doctrines hindoues, l'Homme et son Devenir selon le Vedanta, le Symbolisme de la Croix et les États multiples de l'Être. Dans une vue d'ensemble qui embrasse avec une science égale les livres sacrés de la Chine et de l'Inde, de l'Égypte et du moyen âge, de l'Islam et d'Israël, René Guénon nous fait pénétrer avec une profondeur, une précision et une facilité également étonnantes au coeur des plus hauts problèmes qui se soient posés de tous les temps et les résout avec une parfaite aisance. Ces problèmes et ces esprits n'apparaissent plus comme de mystérieux arcanes réservés à des spécialistes, plus érudits que compréhensifs, mais ils vivent d'une vie actuelle et éternelle. Et pourtant, dirais-je à l'étonnement du lecteur que le scepticisme doit envahir, René Guénon n'est rien moins qu'un prophète ou qu'un génie au sens littéraire, romantique et actuel du mot.


Le domaine, qui est le sien, peut s'ouvrir à l'esprit du mendiant illettré plus facilement peut-être, qu'à celui d'un membre de l'Institut. La valeur suréminente de l'oeuvre dont je parle vient par-dessus tout de ce fait qu'elle est absolument et totalement indépendante de l'individualité de son auteur. Une description de sa personne, un résumé de sa vie ne pourraient que combler une curiosité sans rapports avec la véritable compréhension de son oeuvre L'individualité d'un romancier, d'un poète ou d'un philosophe rend leurs ouvrages plus humains et plus proches. Mais quand il s'agit de tradition primordiale, pour laquelle l'homme n'est qu'un anneau de la chaîne, celui-ci ne peut que témoigner et transmettre, comme un des dix mille êtres anonymes qui témoignent et transmettent la vie.


L'individualisme effréné qui est la plaie de l'Occident nous a rendus quasi incapables de comprendre une telle position. L'oeuvre originale et solitaire, l'oeuvre personnelle et unique entraînent automatiquement notre admiration quelle que soit sa valeur de vérité. Or, dans l''œuvre qui nous occupé, ce n'est pas un individu, de quelque niveau qu'il soit, qui nous parle, c'est l'humanité qui nous instruit sur des faits éternels immèmorialement plus anciens que toute l'histoire connue. Elle nous apporte sur elle-même son propre témoignage.


II nous faut, maintenant exposer ce qui nous parait le caractère urgente son apport. S'il ne s'agissait que de « tradition primordiale» et de rattachement effectif à cette tradition, la doctrine catholique aurait tous les titres pour proclamer sa légitimité réelle et sa possession de fait, dans un Occident où les autres formes traditionnelles non religieuses ne possèdent plus qu'une existence virtuelle. Certes, René Guénon reconnaît parfaitement la vérité du Christianisme. Il met seulement en doute la compréhension complète des chrétiens actuels à l'égard de leur propre doctrine et relève discrètement, comme conséquence, leur prétention à la possession exclusive de la vérité. La différence qui, existe entre les deux positions est d'ailleurs fatale et légitime. Le dogme religieux se place du côté exotérique et Guénon du côté de l'ésotérisme. Historiquement; il ne dépasse pas l'ontologie, ni la «personnalité » de l'être divin, comme le fait Guénon d'accord avec l'Inde. Donc le but principal, essentiel de toute réalisation métaphysique, la « délivrance », est ignoré du catholique qui ne connaît qu'un «salut» de l'âme ne dépassant pas la zone du psychique. Tout se tient et le point de vue exotérique implique les deux autres limitations. Pour être accessible à tous, on ne doit pas dépasser le point de vue de la personne et par cela même on ne peut atteindre la délivrance.


« Dans les civilisations où, nous dit Guénon, une sorte de coupure s'est établie entre deux ordres d'enseignement se superposant sans jamais s'opposer, l' « exotérisme » appelle l' « ésotérisme» comme son complément nécessaire. Lorsque cet « ésotérisme » est méconnu, la civilisation, n'étant plus rattachée directement aux principes supérieurs par aucun. lien effectif, ne tarde pas à perdre tout caractère traditionnel, car les éléments de cet ordre qui y subsistent encore sont comparables à un corps que l'esprit aurait abandonné, et par suite, impuissants désormais à constituer quelque chose de plus qu'une sorte de formalisme vide ; c'est là, très exactement, ce qui est arrivé au monde occidental moderne.». René Guénon nous invite à une compréhension plus profonde d'une vérité qui est nôtre. Quelques-uns l'ont éprouvé. Nous avons connu des religieux et des prêtres pour qui ses livres ont été une révélation, des laïques indifférents que sa pensée a convertis. Cette aventure est d'autant plus possible qu'il ne s'agit, au fond, dans ses ouvrages, ni de religion, ni de philosophie, ni de mystique. Il s'agit dans leur partie centrale et originale de quelque chose, qui unit la certitude de la présence réelle et celle de la vérité mathématique il s'agit de la connaissance pure, accessible à toute intelligence apte à la concevoir, et qui se présente au lecteur avec mesure, logique et simplicité, aussi irrésistible que l'évidence.


J'ignore certes quel sera le destin historique de René Guénon Ce que je sais, c'est qu'il a rétabli l'universalité de la connaissance. Il a effacé cinq siècles de séparatisme. Son oeuvre est, au point de vue de la pensée œcuménique, le fait le plus important qui se soit produit depuis le XVI siècle.

 

renÉ guÉnon

Paul serant

Edition LA COLOMBE

 1953

Rien de plus surprenant au XXème siècle qu’un homme irréductiblement hostile à toute popularité, totalement indifférent au culte de la personnalité, et soucieux par-dessus tout de marquer que les idées qu’il exprime ne doivent absolument rien à sa propre intelligence ou à son propre talent.

 

Tel fut pourtant René Guénon : et ceci explique qu’on ne trouve dans la vie de cet homme aucun événement, aucune anecdote susceptible de flatter la curiosité abusive du public contemporain.

 

Ayant en horreur la publicité, René Guénon vécut aussi discrètement que possible, et l’on ne possède que très peu de détails sur ce que fut sa vie: il est d’ailleurs probable que celle-ci fut «sans histoires», et que, pour reprendre les termes de son ami et biographe Paul Chacornac, elle se confondit avec son œuvre.

 

Les faits que nous allons évoquer semblent en tout cas le confirmer.

 

René Guénon est mort au Caire, le 7 janvier, à onze heures du soir. Il a dit dans son dernier souffle : " Allah ! Allah ! ". Ses funérailles ont eu lieu le lendemain matin. Quand le convoi a quitté la villa blanche qu’il habitait avec sa femme et ses trois enfants, dans le quartier de Doki, un bélier a été égorgé rituellement et son sang répandu sur le seuil.

 Puis le corps d’Abd el Wahed Yahia - c’était le nom musulman de Guénon - a traversé toute la ville pour être conduit d’abord à la mosquée Sayidna Hussein, ensuite au cimetière de Darassa. C’était un cortège modeste, réduit à la famille et à quelques amis. (…) J’ai gravi ce matin la colline de Mokatan, pour aller visiter la tombe de celui qui fut mon compatriote, quoique sa rupture avec l’Occident eût été farouche, irréductible. Entre les tombeaux des Califes et la Citadelle, la nécropole déroule ses quartiers funéraires, où l’on circule par des ruelles poussiéreuses.

 

Quelques coupoles et quelques minarets jalonnent cette multitude de maisonnettes blanches et grises, dont chacune est une maison des morts. On croirait une ville abandonnée ou frappée de quelque fléau. J’ai manqué me perdre dans le dédale des tombes. Et puis, l’une des petites maisons vides m’a ouvert sa porte et ses fenêtres à volets de bois. C’était le caveau de la famille Mohammed Ibrahim, la belle-famille de René Guénon : une salle étroite et nue, à laquelle deux pierres tombales donnent un air de chapelle. Sur le sol, au milieu du dallage, se découpe une trappe, fermée par un plancher : c’est l’entrée du caveau proprement dit, où René Guénon repose depuis cette semaine, auprès de la famille qu’il a élue.

 

Je songe au destin qui s’achève là, et qui était parti, voilà soixante-trois ans, du cœur de la France. J’évoque ce Français des rives de la Loire - il était né à Blois - et des rives de la Seine, puisque son dernier domicile parisien fut dans l’île Saint-Louis. Quand s’est-il converti à l’islam ? Au Maroc, me dit-on, avant qu’il n’arrivât en Egypte il y a vingt ans. (…) Il avait dit dans la journée du 7 janvier, à sa femme, la douce Fatma : " Je sens bien que c’est la fin, je vais mourir. " Et il lui donna l’ordre que rien, désormais, ne fût changé de place dans son cabinet. Il ajouta : " Sois sans inquiétude. Je ne te quitterai pas. Vous ne me verrez plus. Mais je serai là, et moi je vous verrai. " Alors maintenant, quand l’un des enfants n’est pas sage - que ce soit la petite Khadija, aux nattes brunes, ou Leïla, la cadette, une blonde aux yeux bleus, ou Ahmed, qui n’a pas deux ans - la mère lui dit : " Comment oses-tu pleurer sous le regard de ton père ? " Et l’enfant se tait en présence de l’invisible

 

renÉ GUÉNON – approche d’un homme complexe

Jean urcin

Edition IVOIRE – CLAIR

 2005

Présenter en quelques mots la vie et l’œuvre de René Guénon est chose impossible : polémiste, théologien, mystique, philosophe, orientaliste… Chaque qualificatif paraît correspondre mais aucun n’est suffisant et lui-même les eut tous rejetés en bloc. Pourtant, cinquante ans après sa mort, René Guénon reste un auteur incontournable pour qui s’intéresse au symbolisme, au soufisme, à la Franc-maçonnerie, à la métaphysique, aux philosophies orientales ou aux débats intellectuels de la France d’entre-deux guerres…Jean Ursin fréquente assidûment l’œuvre de René Guénon depuis plus d’un quart de siècle. Il synthétise ici plusieurs conférences privées présentant le Maître, agrémentées de nombreuses citations et d’un essai de bibliographie raisonnée, propre à guider les premiers pas des nombreux lecteurs potentiels de René Guénon.

 

Extrêmement exigeant dans sa quête initiatique, René Guénon s’applique à pénétrer les sociétés ésotériques européennes de son temps, mais il semblerait que ce soit pour mieux les remettre en question : il détruit ainsi spiritisme, théosophisme et occultisme, en réfutant leurs théories fondatrices. « Lire Guénon, c’est se livrer à une ascèse intellectuelle rigoureuse ; celui qui n’est pas prêt à faire cet exercice ne doit pas entreprendre ce travail. Or les choses ne sont pas si simples, et le premier travail de Guénon est de clarifier d’une façon magistrale le sens de tous les mots clés du vocabulaire « spirituel » des occidentaux, y compris quelques mots de Sanskrits qui ont beaucoup souffert de leur déracinement spirituel…Ce travail de connaissance théorique se divise en deux parties. La première, qui est purificatrice, est l’oeuvre critique de Guénon dans laquelle il démonte sans concession l’attirail « intellectuel » du scientisme matérialiste et de son apparent opposé, le néo-spiritualisme La partie critique de l’oeuvre de Guénon n’est pas une fin en soi, elle n’est que l’introduction nécessaire à un exposé méthodique de certaines doctrines traditionnelles, en particulier dans leur aspect métaphysique qui est la moelle de toute de cette connaissance et qui est le but même de tous les exercices du Yoga.

 

Les pandits les plus orthodoxes, à qui Alain Daniélou a soumis les ouvrages de Guénon, furent catégoriques: « de tous les Occidentaux qui se sont occupés des doctrines hindoues, seul Guénon en a vraiment compris le sens » (Chacornac).Les doctrines traditionnelles, contenues synthétiquement dans certains symboles, sont de nature à servir de support de méditation. On comprendra qu’une biographie de Guénon n’a pas grand intérêt puisqu’il est hors de question de mettre son enseignement métaphysique en relation de dépendance avec les événements de sa vie. S’il y a une relation entre la vie et l’oeuvre, c’est dans le sens où la vie fut au service de l’oeuvre, elle n’est pas l’explication de l’oeuvre, elle en est une illustration tout au plus. Mais si cette vie fut exemplaire, Guénon n’a pas voulu la donner en exemple. Dans toute son oeuvre aussi bien que dans son énorme correspondance il reste muet sur lui–même. « La personnalité de René Guénon ne nous intéresse pas  » a-t-il répondu à quelqu’un qui le pressait de questions biographiques.

 

Arrêtons-nous un instant car il y a un problème de méthode lorsqu’on aborde une vie aussi délibérément cachée que celle de Guénon. Prétendre tout expliquer à partir du peu que l’on connaît serait d’une incroyable présomption et ce serait, d’ailleurs, vouloir faire sortir le plus du moins. En effet, si l’on compare les écrits de Guénon avec ceux d’auteurs antérieurs ayant abordé certains thèmes « guénoniens », comme le fait Jean Pierre Laurant, on est frappé par l’irréductibilité de son oeuvre à ce qui ne peut être considéré comme une source. L’utilisation de la méthode psychologique et de la méthode historico-matérialiste à propos d’une oeuvre d’une telle hauteur a quelque chose de grotesque. Plusieurs ont pourtant donné dans ce genre. Notre méthode consistera â exposer le point de vue de Guénon lui-même sur ce qu’il dit être « sa mission », et aussi certains points de son enseignement qui, bien que présentés d’une façon tout à fait générale, pourraient aussi s’appliquer à lui.

 

Guénon ayant toujours refusé très clairement d’avoir des disciples, il n’existe aucune biographie « officielle » de lui. C’est la force de la vérité qu’elle communique qui fait vivre son oeuvre, et non une école ou une institution quelconque. Donc, peu de temps semble-t-il après son arrivée à Paris, Guénon entra dans le mouvement occultiste. « Ce mouvement datait déjà de 1888 et avait pour chef incontesté le docteur Encausse qui, sous le pseudonyme de Papus, dirigeait alors le groupe indépendant d’études ésotériques dont dépendait l’École Hermétique » (Chacornac). II se fit admettre dans toutes les organisations qui se groupaient autour du mouvement. A propos de cette période Guénon devait écrire en Mai 1932: « Si nous avons dû, à une certaine époque, pénétrer dans tels ou tels milieux, c’est pour des raisons qui ne regardent que nous seul. Toujours est-il que quatre ans après son arrivée à Paris, il rompait avec l’occultisme papusien d’une façon spectaculaire, que Chacornac rapporte dans sa biographie « Lors du congrès Spiritualiste et Maçonnique de 1908… René Guénon était présent comme secrétaire du bureau, Il se tint sur l’estrade d’honneur, revêtu de son cordon. Ce fut là sa seule participation au Congrès. Il s’en retira, choqué par une phrase, dite par Papus, dans son discours d’ouverture : « Les sociétés futures seront transformées par la certitude de deux vérités fondamentales du spiritualisme: la survivance et la réincarnation ».

 

Commentant celte opposition radicale de Guénon à l’occultisme, Jean Robin écrit « Personne en Occident, et surtout pas les occultistes, à quelque mouvement qu’ils appartinssent, n’aurait pu démontrer à un néophyte l’erreur métaphysique de la réincarnation, qui était à l’époque, et qui est toujours dans nombre de cercles néo-spiritualistes, une notion de base, une croyance tout à fait établie ». Comme il est hors de question que Guénon ait « réinventé » la métaphysique comme Pascal les premières propositions d’Euclide, et que cela, d’ailleurs, s’opposerait à ses propres affirmations, il faut en conclure qu’il avait dès cet âge reçu un enseignement métaphysique traditionnel.

 

En 1909, il écrivit: « Le tort de la plupart de ces doctrines soi-disant spiritualistes, c’est de n’être que du matérialisme transposé sur un autre plan, et de vouloir appliquer au domaine de l’esprit les méthodes que la science ordinaire emploie pour étudier le monde physique. Ces méthodes expérimentales ne feront jamais connaître autre chose que de simples phénomènes, sur lesquels il est impossible d’édifier une théorie métaphysique quelconque, car un principe universel ne peut pas s’inférer de faits particuliers. D’ailleurs, la prétention d’acquérir la connaissance du monde spirituel par des moyens matériels est évidemment absurde; cette connaissance, c’est en nous-mêmes seulement que nous pouvons en trouver les principes, et non dans les objets extérieurs ».Nous avons là, en trois phrases, une véritable synthèse de l’oeuvre guénonienne, tout y est en germe dès le départ.

 

Juste après ce fameux Congrès Spiritualiste de 1908 Guenon demanda à Fabre des Essarts qui, sous le nom de Synésius, était patriarche de l’Église Gnostique, d’être admis dans son organisation. En 1909 il fondait la revue « la Gnose ». Ce fut dans les premiers numéros que parut le premier texte publié de Guénon, sous son nom gnostique de Palingénius. Le titre était « le Démiurge ». Cet article montre d’emblée sa maîtrise. « Ce qui est à retenir, c’est qu’il témoigne déjà d’une connaissance très sûre de la métaphysique hindoue dont les thèmes essentiels sont mis en lumière, appuyés par des textes de Sankarâchârya » (Chacornac). Il publia dans ce journal la première rédaction du « Symbolisme de la Croix », l’essentiel de « l’Homme et son devenir selon la Vedanta » et de nombreux articles sur les « Principes du calcul infinitésimal » et sur la « Franc-Maçonnerie », ainsi que sur les « Conditions de l’existence corporelle »: autant dire tout l’essentiel de son oeuvre à venir. il devait fonder et diriger à partir de 1908 un Ordre du Temple Rénové (O.T.R.), obéissant à des « communications par écriture directe » que reçurent plusieurs membres de l’Ordre Martiniste. L’OTR se voulait une résurgence de l’Ordre du Temple détruit par Philippe le Bel six siècles plus tôt. Mais dès 1911 les « Maîtres Inconnus  » qui dirigeaient l’organisation ordonnèrent à Guénon de dissoudre l’O.T.R, ce qu’il fit. Nous rencontrons la, une fois encore, un point d’interrogation qui ne sera sans doute jamais complètement levé.

 

A ce propos nous pouvons citer une hypothèse, émise par Michel Vâlsan, qui lut, avec Coomaraswamy, le collaborateur de Guénon auquel celui-ci exprima la plus vive et constante sympathie. Michel Vâlsan évoque « la possibilité qu’une initiation proprement occidentale, mais n’existant plus en Occident, se réactualise dans un milieu intellectuel propice, avec des moyens appropriés. A la même époque que son travail dans la Gnose et que la fondation de l’O.T.R., Guénon fut admis à la Loge Thébah, relevant de la Grande Loge de France, Rite Écossais et Ancien Accepté. Il y resta en activité jusqu’à la guerre de 1914, qui mit les loges en sommeil. Ensuite il ne cessa de s’intéresser à la Maçonnerie, dont il ne fut jamais exclu. Dans ces milieux gnostiques ou occultistes Guénon rencontra deux hommes qui eurent une certaine influence sur son cheminement. L’un d’eux fut Albert Puyou, comte de Pouvourville. Il avait rempli au Tonkin des fonctions militaires et administratives. Connaissant le chinois, il reçut l’initiation Taoïste sous le nom de Matgioi. Ses deux ouvrages principaux sont « La Voie Métaphysique » et « La Voie Rationnelle », auxquels Guénon fait référence dans le « Symbolisme de la Croix ». En matière de Taoïsme, Chacornac affirme que Guénon reçu plus que Matgioi, ce qui implique, pensons-nous, qu’il fut initié. Il avance même le nom du Tong-Sang Luat, fils cadet du « Maitre des Sentences », comme ayant été l’un des Maîtres chinois de Guénon. Cela, en tout cas, est en accord pour l’essentiel avec les affirmations de Guénon lui-même.

 

L’autre homme qui eut une influence sur Guénon fut John Gustaf Aguélii, peintre suédois au destin énigmatique. Son nom d’artiste était Ivan Aguélii, il peignait entre autres des « poèmes en couleur » inspiré par Baudelaire. Aguélii avait un don pour l’étude des langues: sa vie vagabonde comporta un séjour d’un an en prison, temps qu’il employa à l’étude de l’hébreu, de l’arabe et du malais. Il apprit ensuite l’hindoustani et le sanskrit. Vers 1897 il devint musulman, il rencontra en Egypte le Sheikh Elish Abder Rahman el Kébir (Le serviteur du Dieu grand), un des hommes les plus célèbres de l’Islam dans l’ordre exotérique aussi bien qu’ésotérique. Ce Sheikh l’initia au Taçawwuf et Ivan Aguélii devint ainsi Abdul -Hâdi, et « Moqadem » de son initiateur, c’est-à-dire son représentant et initiateur lui–même. Abdul-Hâdi fut le collaborateur de Guénon-Palingénius dans la Gnose. Comme il le précisa lui-même, Guénon reçu l’initiation islamique en 1912 soit à l’âge de 26 ans. On suppose qu’Abdul-Hâdi fut son initiateur.

 

Nous avons vu qu’en 1912 Guénon reçu l’initiation islamique. C’est cette même année qu’il se maria catholiquement avec une jeune femme de 29 ans, Berthe Loury, cultivée et musicienne, dont la famille possédait un domaine « Le Portail «, près de Chinon. […] Plusieurs personnes se sont choquées de ce double rattachement de Guénon: au Catholicisme sur le plan familial par son mariage et son éducation, et au soufisme sur le plan initiatique et personnel; d’autant plus qu’il semble bien que sa femme ait toujours ignoré cette initiation; mais il n’y avait rien là que de très normal. Ayant à faire en France il devait y rester et ce ne pouvait être que comme Catholique, étant donné qu’il reconnaissait dans l’Église Catholique la seule organisation exotérique traditionnelle que possède encore l’occident. Quant à sa vie personnelle, il était légitime qu’il adhéra au soufisme puisque l’Occident ne proposait plus en matière d’ésotérisme (du moins selon ce qu’il en avait vu, car il ne ferma jamais la porte à certaines possibilités) qu’une Maçonnerie dégénérée, et d’ailleurs limitée aux petits mystères, c’est-à-dire au développement des possibilités proprement humaines de l’être. Le soufisme n’était pas ainsi limité.

 

De nombreuses raisons sans doute ont fait que Guénon a choisi le soufisme pour sa voie personnelle. On a invoqué l’adaptation de l’Islam aux conditions de la vie contemporaine, due au fait qu’il s’agit de la dernière tradition révélée. Mais de toute façon Guénon ne pouvait pas devenir Hindou, bien que son oeuvre s’appuie surtout sur la doctrine hindoue, à cause de sa grande richesse et clarté et à cause de sa proximité avec la Tradition Primordiale, dont il fut lui-même une sorte de témoin. En effet, comme M. Jean Herbert l’écrivait en 1951 « on peut naître Hindou et l’on peut aussi perdre cette qualité, mais on ne peut ni devenir Hindou ni même le redevenir si on a cessé de l’être, pas plus qu’on ne peut devenir nègre ».

 

Guénon « avait acquis a certitude qu’il y avait, de par le monde, des groupes qui s’efforçaient consciemment de jeter le discrédit sur tout ce qui subsiste d’organisations traditionnelles, qu’elles soient de caractère religieux ou de caractère initiatique »(Chacornac). La technique employée consistait à développer des contrefaçons grotesques de ces organisations en les faisant passer pour l’original afin de les discréditer, puis d’opposer ce qui devait normalement être complémentaire. Le résultat fut une Maçonnerie anticléricale et un Catholicisme anti-initiatique. La restauration traditionnelle à la fois exotérique et ésotérique à laquelle travailla Guénon le plaçait entre le « marteau et l’enclume ». C’est ainsi qu’il fut conduit à écrire dans la « France Anti-Maçonnique », pour critiquer la tendance politique et moderniste des Maçons contemporains et les réorienter vers l’initiation véritable; et qu’il dû, lui le soufi, défendre la légitimité et la régularité traditionnelle de l’Eglise Catholique.

 

Le 15 janvier 1928 René Guénon eut la douleur de perdre sa femme, emportée par une méningite. Neuf mois après, sa tante Me. Duru mourrait. Six mois après, la mère de sa nièce Françoise revint chercher sa fille [qu’il avait élevée jusqu’alors, avec sa femme], qui avait alors quatorze ans. Il se retrouvait aussi seul familialement qu’intellectuellement. En mars 1930 Guénon toucha la terre d’Égypte accompagné de la personne qui avait fondé les éditions Véga. Ce voyage d’une durée limitée devait servir à collecter puis traduire des textes islamiques. En fait Guénon prolongea son séjour jusqu’à le rendre définitif. Ce retrait de Guénon au pied des Pyramides est l’un des grands points d’interrogation de sa vie. II s’explique assez facilement par le fait que Guénon avait épuisé tous les contacts possibles en Occident aussi bien du côté exotérique que du côté ésotérique. II faut dire et redire, car c’est un des points sur lesquels les fausses informations, pas toujours innocentes, circulent le plus, que cette « fuite en Égypte », ce retrait au désert ne doit pas être interprété comme une condamnation définitive de l’Occident. Si cela était, Guénon aurait cessé d’écrire, or il n’a jamais tant écrit et dans tous les milieux. Déjà en France, ses relations dépassaient largement les frontières.

 

Il est évident qu’une des raisons qui décida de l’implantation de Guénon en Égypte fut qu’il trouva là, un lieu favorable à son propre cheminement spirituel. On sait qu’il pratiqua scrupuleusement les rites exotériques et ésotériques de l’islam, qu’il utilisa les lieux propices à ces rites, priant tous les matins devant le tombeau du saint dans la mosquée de Seyidna el Hussein. Quant au niveau spirituel qu’il atteignit, c’est là son secret. Tout ce qu’on peut dire c’est que Ramana Maharshi lorsqu’il parlait de lui l’appelait « the great soufi » ce qui dans sa bouche voulait bien strictement dire « le grand initié ». « Guénon vivait au Caire discrètement, n’ayant aucune relation avec le milieu européen: il n’était plus le français René Guénon, mais le Sheikh Abdel Wahêd Yehia (Le Serviteur de l’Unique Jean) ayant adopté us et coutumes de sa nouvelle patrie » (Chacornac).

 

En juillet 1934, le Sheikh Abdel Wahêd Yehia épousa la fille aînée du Sheikh Mohammad Ibrahim; il devait par la suite devenir égyptien pour assurer plus d’unité à sa famille. Guénon et sa femme allèrent habiter une villa près des pyramides, qu’il baptisa « Fatma », par affection pour son épouse dont c’était le prénom. Dans son cabinet de travail, outre un bureau et une bibliothèque soigneusement rangée, on remarquait trois inscriptions en arabe sur les murs: Derrière lui « Plus tu seras reconnaissant et plus tu seras comblé », à droite « qu’est–ce que la victoire, sinon celle qui vient de Dieu », et à gauche « Allah est Allah et Mohammed est son Prophète ».En 1944, Guénon eut la joie de voir naître une première fille, Khadija. En décembre 1950, il dut cesser tout travail. Le 7 janvier 1951 au matin, il déclara que c’était la fin. Il dit à sa femme, qui fut admirable de dévouement auprès de lui, qu’il désirait que son cabinet de travail fut maintenu avec ses meubles tel quel, et qu’invisible, il y serait quand même. Vers vingt-deux heures il se dressa sur sa couche en s’écriant: « El Nafass Whalass » (l’âme s’en va). A vingt-trois heures il mourut. Ses dernières paroles furent: « Allah, Allah ».

 

renÉ guÉnon – biographie & œuvres

Divers Auteurs

Edition  LES CAHIERS DE L’HERNE N° 49 

1985

La vie d’une seule personne est l’objet de la biographie nous dit le Petit Littré : définition trop claire pour un spirituel.

D’un côté, l’individu et ses actes constituent aujourd’hui le dernier obstacle à l’éclatement face à la multiplication des schémas explicatifs, de l’autre, le dépassement de l’individualité commande la vie du spirituel :

« …Ce n’est plus moi qui vit mais le Christ qui vit en moi. » Une démarche initiatique se raconte dans les bornes du temps et de l’espace ordinaires qui paraissent vite incohérents et contradictoires.

En même temps l’invraisemblance efface l’exemple et les légendes dorées n’ont plus qu’une existence éphémère. Bref, la vie de René Guénon est difficile à raconter en termes de « cursus », de journal, de roman, de notice.

N’avait-il pas, de son vivant, pour couper court aux divagations suscitées par une polémique avec la Revue internationale des Sociétés secrètes de Mgr Juin, déclaré que si on l’ennuyait trop avec la personnalité de René Guénon, il la supprimerait purement et simplement.

Avec une aversion pour les photographies aussi forte que celle de Balzac, il manifesta un goût prononcé pour les pseudonymes ; au Sphinx du roman de jeunesse repris dans la signature de La France antimaçonnique en 1914, succédèrent les changements de noms traditionnels :

Palingénius, évêque gnostique d’Alexandrie et surtout Abdel-Wahid-Yahia en Islam dont les initiales servirent à signer des articles dans le Speculative Mason. La direction de cette revue s’interrogea un moment sur l’identité de son correspondant.

Un ouvrage de référence qui développe :

Jean Biès

René Guénon, héraut de la dernière chance.

Michel Michel

Sciences et tradition, la place de la pensée traditionnelle au sein de la crise épistémologique des sciences profanes.

Victor Nguyen

Guénon, l’ésotérisme et la modernité.

Daniel Cologne

Puissance et spiritualité dans le traditionalisme intégral.

Jean Robin

Le problème du mal dans l’œuvre de René Guénon.

René GUéNON

Extraits de lettres à Hillel.

Nicolas Séd

Les notes de Palingénius pour l’Archéomètre ».

Jean Reyor

De quelques énigmes dans l’œuvre de René Guénon.

Pierre Grison

L’Extrême-Asie dans l’œuvre de René Guénon.

Giovanni Ponte

Réflexions à la lumière de l’œuvre de Guénon concernant l’unité principielle, l’ésotérisme, l’exotérisme et les risques de la voie initiatique.

Alain Dumazet

Métaphysique et réalisation.

Yves Millet

René Guénon contre les Messieurs de Port-Royal.

René GUéNON

Lettre à A.K. Coomaraswamy.

Jean Borella

Du symbole selon René Guénon.

René Payot

Réflexions philosophiques sur le symbolisme selon Guénon.

Mircea éliade

Un autre regard sur l’ésotérisme : René Guénon.

Jean Hani

René Guénon et le christianisme. À propos du Symbolisme de la croix.

Portarius

Sur la possibilité d’un ésotérisme dans le christianisme.

Christophe Andruzac

Note sur la diversification des voies spirituelles.

Denys Roman

Note additionnelle sur le Saint-Empire.

éd. Rivet

René Guénon Franc-Maçon.

J.P. Schnetzler

René Guénon et le bouddhisme.

Catherine Conrad

Guénon et la philosophie.

Frithjof Schuon

Note sur René Guénon.

René GUéNON

Lettre à F. Schuon.

René GUéNON

Trois lettres à propos de l’initiation féminine.

Eddy Batache

René Guénon et le surréalisme.

Pierre Alibert

Albert Gleizes- René Guénon.

Frederick Tristan

Extraits du Journal.

Luc Benoist

Lettre à Jean Paulhan.

René GUéNON

Deux lettres au peintre René Burlet.

Jean Borella

Georges Vallin, 1921 – 1983.

François Chenique

La vie simple d’un prêtre guénonien : l’abbé Henri Stéphane.

Gaston Georgel

Ce que je dois à René Guénon.

Entretien avec Jean Tourniac.

 

rené guÉnon – La contemplation mÉtaphysique & l’expÉrience mystique

Christophe andruzac

Edition Dervy

 1980

La réalisation métaphysique : voilà le concept de base de René Guénon. C’est autour de cette phrase que l’auteur va développer son argumentation.

 

Il développe également la différence entre l’expérience de l’Être et l’expérience mystique entre René Guénon et St Jean de la Croix.

 

Au sommaire de cet ouvrage :

 

Le point de départ de la philosophie et ses différentes parties –

Découverte de la Sagesse métaphysique  -

Les vestiges du divin : L’ordre de la manifestation  -

La Sagesse initiatique et apophatique  -

Analyse de quelques concepts orientaux  -

Découverte de la Doctrina sacra

Distinction des deux voies chrétiennes  -

La dogmatique comme support initiatique  -

La critique de Jacques Maritain  et du cardinal Daniélou  -

Quelques textes de saint Thomas d’Aquin

 

RENÉ    GUÉNON  et  L’AVÉNEMENT DU 3e  SCEAU,   SUIVI DE : LES CLÉS DES  DEMEURES SPIRITUELLES  DANS  LES  FUTÛHÂT   D’IBN   ARABΠ

CH. ANDRE GILIS

EDITIONS  TRADITIONNELLES

 1991

Dès 1953  Michel Valsan notait, que la place que René Guénon fit à l’Islam dans ses études fut, en comparaison avec celle qu’y  trouve l’Hindouisme ou le Taoïsme, assez restreinte, malgré les fréquentes références qu’il fait à la métaphysique et à l’ésotérisme islamique.

 

Ce livre poursuit l’étude de la pensée de R. Guénon sur cette métaphysique  islamique et  met  en valeur quelques idées fortes de cet ésotérisme.

 

Ce livre développe les  sujets suivants :

 

Le cœur et l’intellect

L’apport de l’Hindouisme dans l’Islam

La science  des symboles

La doctrine des trois Sceaux

L’inspiration du Centre Suprême

Rassembler ce qui est épars

 

A la suite de ces études, est présenté les 4 clés des demeures spirituelles d’Ibn Arabî

 

renÉ guÉnon & l’actualitÉ de la pensÉe traditionnelle

Un Collectif

Edition ARCHÉ – MILAN

 1980

Actes du colloque international de Cerisy – La – Salle en 1973.

 

René Guénon (1886 – 1951) est mal vu des milieux identitaires qui n’apprécient pas sa conversion à l’islam soufi dès 1911 sous le nom musulman d’Abd el-Wâhed Yahia, « Serviteur de l’Unique ». Quant aux milieux contre-révolutionnaires, outre ce tropisme oriental marqué, ils l’accusent d’être passé par la franc-maçonnerie et certains cénacles gnostiques. Or ces attaques bien trop réductrices éclipsent une œuvre intellectuelle majeure. « La pensée de Guénon constitue un chapitre original, et non négligeable, de l’histoire intellectuelle.

 

Par une brillante étude, David Bisson expose d’une manière précise et intelligible le parcours de ce penseur méconnu sans s’arrêter à sa seule vie et à ses idées. Il s’attache aussi à saisir son aura, directe ou non, sur ses contemporains et étudie même sa postérité intellectuelle.

 

L’auteur détermine trois grandes périodes dans la vie de Guénon. De 1906 à 1920, ce sont les années de « l’apprentissage occulte »; puis de 1921 à 1930, le temps de « la reconnaissance intellectuelle », et, enfin, de 1931 à 1951, le moment de « l’accomplissement doctrinale ». Cette dernière commence le 5 mars 1930 quand Guénon part pour Le Caire sans savoir qu’il ne reviendra jamais plus en France. L’éloignement géographique ne l’empêche pas de suivre avec attention l’activité de ses disciples. Le chercheur rapporte que l’homme du Caire relit toujours tous les articles paraissant dans la revue Études Traditionnelles. Par ailleurs, c’est un grand épistolier qui dispose d’un réseau international de correspondants.


La publication de livres, la rédaction d’articles et de recensions ainsi que l’envoi de ses missives forment un ensemble théorique complet. Guénon construit ainsi une œuvre entre l’unité intellectuelle (la métaphysique) et la réalité métahistorique (la tradition). La notion de métahistoire est très importante, car « pour Guénon, l’histoire n’est que contrefaçon. Elle correspond à la dernière étape d’un processus de déclin qui s’accélère au fur et à mesure que l’humanité avance dans l’âge sombre  ». En revanche, hors de ce champ profane existe la Tradition.

« Une partie essentielle de la pensée guénonienne tient dans cette formule imaginée : d’un côté, la Tradition se déploie en de multiples branches en fonction des conditions historiques et des aires géographiques et, de l’autre, le monde moderne a rompu avec ses attaches traditionnelles jusqu’à mettre en péril l’équilibre universel. D’où le remède envisagé : se ressourcer dans la connaissance orientale afin de retrouver son axe véritable. » Or comment faire concrètement ?

Se pose ici la question de l’initiation largement développée par l’auteur. Pour Guénon, l’initiation relève d’un groupe rattaché à une tradition viable parce que « la tradition primordiale doit effectivement déboucher sur une réalisation métaphysique, c’est-à-dire une voie de ressourcement intérieur qui engage l’individu sur le chemin de la connaissance. Les modes d’accès en Occident sont la franc-maçonnerie demeurée opérative et non pas sa version spéculative et laïciste, et l’Église catholique. Mais il reconnaît que ces deux voies sont presque fermées et invite ceux qui le souhaitent à se convertir à une religion d’Orient, l’islam par exemple. Pour les personnes tentées par l’hindouisme, il les invite à s’installer en Inde. René Guénon est conscient de sa fonction de pôle intellectuel. Son « écriture  comporte une part vocationnelle. Elle doit dire la métaphysique dans une “ langue profane ”, c’est-à-dire rappeler les principes immémoriaux de la connaissance à un monde coupé de ses racines transcendantes

 

La présence de Guénon est plus forte encore chez « Jean Hani, Jean Biès et Jean Borella [qui] tiennent finalement une place particulière dans la galaxie traditionniste. Outre leur formation universitaire, ils ont toujours cherché à concilier Guénon, le “ maître de doctrine ”, avec son principal continuateur, Schuon, le “ maître de spiritualité ” Ils peuvent être considérés comme les premiers intellectuels chrétiens d’inspiration guénonienne

 

renÉ guÉnon & la massÉnie du saint graal

Erik sablé

Edition LE MOULIN DE L’ETOILE

 2008

René Guénon avait des conceptions très particulières sur l’ésotérisme des Templiers et l’origine de la Rose-Croix.


Dans certains ouvrages, il parle notamment d’une mystérieuse Massénie du Saint Graal qui serait une des sources de la Rose-Croix et de la Franc-Maçonnerie.


Ces idées sont apparemment dénuées de tout fondement historique. Mais, il se trouve que la curieuse aventure intérieure arrivée à une femme habitant la région de Provins, qui fut mise en relation par le biais des rêves avec un lointain passé, confirme de façon très étonnante les idées de René Guénon.


C’est ce que montre ce petit ouvrage après avoir posé le problème de l’ésotérisme chrétien et celui de l’existence d’une hiérarchie secrète à l’intérieur de l’ordre du Temple.

 

renÉ guÉnon & l’archÉomètre

Bruno HAPEL

Edition  TRÉDANIEL

 1996

En 1911, les Amis de Saint-Yves rassemblent, avec bien des difficultés, diverses notes et publient un ouvrage intitulé l’Archéomètre par Saint-Yves d’Alveydre qui se distingue surtout par son caractère touffu. La revue La Gnose, dont le directeur n’est autre que René Guénon (Palingénius), publie entre juillet 1910 et février 1912 une série d’articles parue sous le titre L’Archéomètre.


Cette étude collective d’une exceptionnelle richesse est ici restituée et commentée, notamment par des personnages marquants de l’œuvre de René Guénon. Car, ne nous y trompons pas, même si René Guénon ne l’a pas rédigé, ce document constitue un maillon essentiel à la compréhension de son œuvre.

 

On en retrouve, en effet, l’écho dans de nombreux articles et ouvrages, notamment la Grande Triade qui est d’une certaine façon son « testament ». Qui s’intéresse aux symboles fondamentaux de la Science sacrée comme à la Science des lettres ne peut rester indifférent à cette étude surprenante.

 

renÉ guÉnon & le Centre du Monde

Mircea a. tamas

Edition ROSE-CROIX BOOKS

 2007

René Guénon a réalisé un immense travail pour modifier la mentalité occidentale, pour ouvrir les consciences aux vérités métaphysiques et initiatiques, pour restituer aux symboles traditionnels leur signification originelle, pour nous donner la possibilité non seulement de lire les textes sacrés mais de les comprendre aussi.


Cela n’était qu’une partie de sa mission. Ce qui est beaucoup plus important c’est qu’il ait réuni synthétiquement les diverses doctrines traditionnelles particulières, qu’il ait pacifié les oppositions apparentes, qu’il ait reconstitué le « modèle idéal », qui est la Tradition primordiale.

 

D’une manière conciliante, sans fanatisme, René Guénon a « fondu » les données fondamentales essentielles des diverses formes traditionnelles et a essayé de recomposer ensuite l’aspect primordial. Parce que la décadence cyclique a favorisé la prédominance des éléments sentimentaux, surtout en Occident, et considérant que l’ordre métaphysique dépasse l’individu, René Guénon a levé la tradition au plan de l’intellect pur. Ce n’est qu’à ce niveau suprême, de l’ordre de la métaphysique pure, que les traditions particulières se réunissent dans l’Unique. Il a laissé de côté les aspects bhakti et karma de la doctrine, et plus encore, il a répudié les branches plus ou moins hétérodoxes de la Tradition, justement pour prévenir la confusion et la pseudo-connaissance.

Le Centre du Monde est le « lieu » où se conserve intact le dépôt de la Tradition primordiale. De la sorte, la possession du Graal, par exemple, représente la conservation intégrale de la Tradition primordiale dans un tel Centre spirituel ; la perte du Graal est en conséquence la perte de la tradition, mais, à vrai dire, cette tradition est plutôt cachée que perdue, ou du moins ne peut être perdue que pour certains centres secondaires lorsqu’ils cessent d’être en relation directe avec le centre suprême. Le Centre du Monde, par contre, garde toujours intact le dépôt de la tradition et n’est pas affecté par les changements extérieurs.

 

La doctrine traditionnelle, conférée à une société spécifique, est d’origine surhumaine et dérivée de la Tradition primordiale. Une telle société traditionnelle permet la transmission immuable - habituellement sous une forme orale – des éléments doctrinaux, dont l’essence reste la même, mais dont l’enveloppe seule change en tant qu’elle s’adapte aux circonstances historiques. Nous ne devons pas confondre la tradition avec le « traditionalisme » ; ce dernier n’a aucun lien spirituel avec le Principe car il se limite à une accumulation d’habitudes et de coutumes, plus ou moins anciennes, dont la vraie signification s’est perdue au cours des siècles, de la même manière que les principes qui les activaient.

Bien que la tradition ait été orale à son origine, nous devons accepter qu’elle puisse également être écrite, comme les textes sacrés traditionnels, qui ont une très grande importance aujourd’hui. Nous devrions ajouter qu’étymologiquement tradition signifie « ce qui se transmet » d’une façon ou d’une autre ; pourtant, nous parlons ici de la transmission d’éléments sacrés, transmission qui s’opère sans interruption à l’aide d’une voie régulière et continue ; quant aux éléments eux-mêmes, leur origine est au-delà du cycle de la présente humanité, c’est-à-dire qu’ils ont une origine « non-humaine ».


La Tradition, grâce à ses caractéristiques non-humaines et transcendantes, a une essence permanente, reflétant l’immuabilité du Principe qui est, effectivement, l’origine intrinsèque de toute transmission orthodoxe, alors que pour l’homme moderne toutes les « coutumes traditionnelles » sont dans un état incessant de changement, suivant les caprices de la mode et appartenant donc au domaine profane.


La Tradition primordiale s’est manifestée sur terre au centre du monde en même temps que le commencement du cycle humain et, sans la confondre avec la révélation conférée à quelques individus par Dieu (dans un sens religieux), la Tradition peut être identifiée au Principe qui est à l’œuvre dans la manifestation comme un « trésor » surhumain de connaissance métaphysique offert à l’humanité au moment où elle procède du Principe et a été assimilée par l’inspiration directe.


Le Centre du Monde ou le centre suprême de l’humanité terrestre actuelle s’appelle: le paradis terrestre, l’Aggarttha, ou Salem. C’est le temple de la Paix et la Maison de Justice parce que le centre suprême, ou n’importe quel autre centre spirituel, qui en est l’image, peut être décrit symboliquement à la fois comme un temple (aspect sacerdotal, correspondant à la Paix) et comme un palais ou un tribunal (aspect royal, correspondant à la Justice).
Ce centre est une image du Centre céleste, non pas une image virtuelle réfléchie par un miroir mais une image tout à fait réelle ; de même, un centre spirituel est l’image terrestre et visible du vrai Centre du Monde et même si l’orientation sacrée paraît être tournée vers le centre spirituel, elle est en fait tournée symboliquement ver le Centre suprême.


Il n’y a rien de plus important, de plus fondamental, de plus essentiel, ni de plus primordial pour une doctrine sacrée, que de symboliser le centre, étant donné qu’en l’absence de Centre il n’y a rien.

Comme l’a dit René Guénon, le Centre est l’origine, la source du tout, ce qui est parfaitement illustré par le centre d’un cercle. Il représente aussi l’image du Principe relation analogique qui explique pourquoi tous les rites et traditions authentiques sont entièrement organisés autour du symbolisme du centre. Dieu, par Son Verbe, devient Le Centre du Monde.

 

RENḖ GUḖNON ET LE CHRISTIANISME        LE RENDEZ-VOUS MANQU

Divers auteurs

Edition Epignosis

 2018

René Guénon fut au vingtième siècle le grand restaurateur d'une conception universelle des doctrines sacrées et le théoricien de la Tradition au sens métaphysique. Ses ouvrages se sont avérés, pour beaucoup de chercheurs de vérité en quête du sacré, une révélation éclatante faisant écho à leurs fondamentales intuitions métaphysiques et mystiques. Mais le constat, précisément, est là : pour la plupart de ses lecteurs, René Guénon se réduit à des livres, et des successeurs essentiellement livresques, et théoriques. L'apport théorique (immense) est inversement proportionnel à l'institution d'une forme pratique de transmission spirituelle (inexistante ou quasi) dans notre Occident chrétien. Les lecteurs plus ou moins avertis de Guénon et des ouvrages de doctrine traditionnelle le savent depuis des décennies : faire aboutir cette doctrine en une Voie spirituelle pratique, une tradition spécifique à laquelle se rattacher, est la grande question qui brûle les lèvres de générations de lecteurs. Cet ouvrage se confronte sans ambages à la question, et entre résolument dans le champ des polémiques qui ont déjà eu lieu, pour y faire entendre une bonne fois la voix du bon sens et de la doctrine traditionnelle la plus rigoureuse. Il entend résoudre l'imbroglio, toujours en définitive stérilisant, entretenu par des décennies de guénoniens, intentionnellement ou pas. Cette résolution nécessite de remonter à l'origine du problème : le rendez-vous manqué de Guénon avec le Christianisme primitif, ésotérique, gnostique, puis monastique.

René Guénon : « Nous n’avions pas l’intention de revenir ici sur les questions concernant le caractère propre du Christianisme, car nous pensions que ce que nous en avions dit en diverses occasions, fût-ce plus ou moins incidemment, était tout au moins suffisant pour qu’il ne puisse y avoir aucune équivoque à cet égard. Malheureusement, nous avons dû constater en ces derniers temps qu’il n’en était rien, et qu’il s’était au contraire produit à ce propos, dans l’esprit d’un assez grand nombre de nos lecteurs, des confusions plutôt fâcheuses, ce qui nous a montré la nécessité de donner de nouveau quelques précisions sur certains points. Ce n’est d’ailleurs qu’à regret que nous nous y décidons, car nous devons avouer que nous ne nous sommes jamais senti aucune inclination pour traiter spécialement ce sujet, pour plusieurs raisons diverses, dont la première est l’obscurité presque impénétrable qui entoure tout ce qui se rapporte aux origines et aux premiers temps du Christianisme, obscurité telle que, si l’on réfléchit bien, elle paraît ne pas pouvoir être simplement accidentelle et avoir été expressément voulue ; cette remarque est du reste à retenir, en connexion avec ce que nous dirons par la suite.

En dépit de toutes les difficultés qui résultent d’un tel état de choses, il y a cependant au moins un point qui ne semble pas douteux, et qui d’ailleurs n’a été contesté par aucun de ceux qui nous ont fait part de leurs observations, mais sur lequel, tout au contraire, quelques-uns se sont appuyés pour formuler certaines de leurs objections : c’est que, loin de n’être que la religion ou la tradition exotérique que l’on connaît actuellement sous ce nom, le Christianisme, à ses origines, avait, tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement ésotérique, et par conséquent initiatique. On peut en trouver une confirmation dans le fait que la tradition islamique considère le Christianisme primitif comme ayant été proprement une tarîqah, c’est-à-dire en somme une voie initiatique, et non une shariyah ou une législation d’ordre social et s’adressant à tous ; et cela est tellement vrai que, par la suite, on dut y suppléer par la constitution d’un droit « canonique » qui ne fut en réalité qu’une adaptation de l’ancien droit romain, donc quelque chose qui vint entièrement du dehors, et non point un développement de ce qui était contenu tout d’abord dans le Christianisme lui-même. Il est du reste évident qu’on ne trouve dans l’Évangile aucune prescription qui puisse être regardée comme ayant un caractère véritablement légal au sens propre de ce mot ; la parole bien connue : « Rendez à César ce qui est à César… », nous paraît tout particulièrement significative à cet égard, car elle implique formellement, pour tout ce qui est d’ordre extérieur, l’acceptation d’une législation complètement étrangère à la tradition chrétienne, et qui est simplement celle qui existait en fait dans le milieu où celle-ci prit naissance, par là même qu’il était alors incorporé à l’Empire romain. Ce serait là, assurément, une lacune des plus graves si le Christianisme avait été alors ce qu’il est devenu plus tard ; l’existence même d’une telle lacune serait non seulement inexplicable, mais vraiment inconcevable pour une tradition orthodoxe et régulière, si cette tradition devait réellement comporter un exotérisme aussi bien qu’un ésotérisme, et si elle devait même, pourrait-on dire, s’appliquer avant tout au domaine exotérique ; par contre, si le Christianisme avait le caractère que nous venons de dire, la chose s’explique sans peine, car il ne s’agit nullement d’une lacune, mais d’une abstention intentionnelle d’intervenir dans un domaine qui, par définition même, ne pouvait pas le concerner dans ces conditions.

Pour que cela ait été possible, il faut que l’Église chrétienne, dans les premiers temps, ait constitué une organisation fermée ou réservée, dans laquelle tous n’étaient pas admis indistinctement, mais seulement ceux qui possédaient les qualifications nécessaires pour recevoir valablement l’initiation sous la forme qu’on peut appeler « christique » ; et l’on pourrait sans doute retrouver encore bien des indices qui montrent qu’il en fut effectivement ainsi, quoiqu’ils soient généralement incompris à notre époque, et que même, par suite de la tendance moderne à nier l’ésotérisme, on cherche trop souvent, d’une façon plus ou moins consciente, à les détourner de leur véritable signification. Cette Église était en somme comparable, sous ce rapport, au Sangha bouddhique, où l’admission avait aussi les caractères d’une véritable initiation, et qu’on a coutume d’assimiler à un « ordre monastique », ce qui est juste tout au moins en ce sens que ses statuts particuliers n’étaient, pas plus que ceux d’un ordre monastique au sens chrétien de ce terme, faits pour être étendus à tout l’ensemble de la société au sein de laquelle cette organisation avait été établie. Le cas du Christianisme, à ce point de vue, n’est donc pas unique parmi les différentes formes traditionnelles connues, et cette constatation nous paraît être de nature à diminuer l’étonnement que certains pourraient en éprouver ; il est peut-être plus difficile d’expliquer qu’il ait ensuite changé de caractère aussi complètement que le montre tout ce que nous voyons autour de nous, mais ce n’est pas encore le moment d’examiner cette autre question.

Voici maintenant l’objection qui nous a été adressée et à laquelle nous faisions allusion plus haut : dès lors que les rites chrétiens, et en particulier les sacrements, ont eu un caractère initiatique, comment ont-ils pu le perdre pour devenir de simples rites exotériques ? Cela est impossible et même contradictoire, nous dit-on, parce que le caractère initiatique est permanent et immuable et ne saurait jamais être effacé, de sorte qu’il faudrait seulement admettre que, du fait des circonstances et de l’admission d’une grande majorité d’individus non qualifiés, ce qui était primitivement une initiation effective s’est trouvé réduit à n’avoir plus que la valeur d’une initiation virtuelle. Il y a là une méprise qui nous paraît tout à fait évidente : l’initiation, ainsi que nous l’avons expliqué à maintes reprises, confère bien en effet à ceux qui la reçoivent un caractère qui est acquis une fois pour toutes et qui est véritablement ineffaçable ; mais cette notion de la permanence du caractère initiatique s’applique aux êtres humains qui le possèdent, et non pas à des rites ou à l’action de l’influence spirituelle à laquelle ceux-ci sont destinés à servir de véhicule ; il est absolument injustifié de vouloir la transporter de l’un de ces deux cas à l’autre, ce qui revient même en réalité à lui attribuer une signification toute différente, et nous sommes certains de n’avoir jamais rien dit nous-même qui puisse donner lieu à une semblable confusion. À l’appui de cette objection, on fait valoir que l’action qui s’exerce par les sacrements chrétiens est rapportée au Saint-Esprit, ce qui est parfaitement exact, mais entièrement en dehors de la question ; que d’ailleurs l’influence spirituelle soit désignée ainsi conformément au langage chrétien, ou autrement suivant la terminologie propre à telle ou telle tradition, il est également vrai que sa nature est essentiellement transcendante et supra-individuelle, car, s’il n’en était pas ainsi, ce n’est plus du tout à une influence spirituelle qu’on aurait affaire, mais à une simple influence psychique ; seulement, cela étant admis, qu’est-ce qui pourrait empêcher que la même influence, ou une influence de même nature, agisse suivant des modalités différentes et dans des domaines également différents, et en outre, parce que cette influence est en elle-même d’ordre transcendant, faudrait-il que ses effets le soient nécessairement aussi dans tous les cas ?

Nous ne voyons pas du tout pourquoi il en serait ainsi, et nous sommes même certain du contraire ; en effet, nous avons toujours eu le plus grand soin d’indiquer qu’une influence spirituelle intervient aussi bien dans les rites exotériques que dans les rites initiatiques, mais il va de soi que les effets qu’elle produit ne sauraient aucunement être du même ordre dans les deux cas, sans quoi la distinction même des deux domaines correspondants ne subsisterait plus. Nous ne comprenons pas davantage en quoi il serait inadmissible que l’influence qui opère par le moyen des sacrements chrétiens, après avoir agi tout d’abord dans l’ordre initiatique, ait ensuite, dans d’autres conditions et pour des raisons dépendant de ces conditions mêmes, fait descendre son action dans le domaine simplement religieux et exotérique, de telle sorte que ses effets ont été dès lors limités à certaines possibilités d’ordre exclusivement individuel, ayant pour terme le « salut », et cela tout en conservant cependant, quant aux apparences extérieures, les mêmes supports rituels, parce que ceux-ci étaient d’institution christique et que sans eux il n’y aurait même plus eu de tradition proprement chrétienne. Qu’il en ait bien réellement été ainsi en fait, et que par conséquent, dans l’état présent des choses et même depuis une époque fort éloignée, on ne puisse plus considérer en aucune façon les rites chrétiens comme ayant un caractère initiatique, c’est ce sur quoi il nous va falloir insister avec plus de précision ; mais nous devons d’ailleurs faire remarquer qu’il y a une certaine impropriété de langage à dire qu’ils ont « perdu » ce caractère, comme si ce fait avait été purement accidentel, car nous pensons au contraire qu’il a dû s’agir là d’une adaptation qui, malgré les conséquences regrettables qu’elle eut forcément à certains égards, fut pleinement justifiée et même nécessitée par les circonstances de temps et de lieu.

Si l’on considère quel était, à l’époque dont il s’agit, l’état du monde occidental, c’est-à-dire de l’ensemble des pays qui étaient alors compris dans l’Empire romain, on peut facilement se rendre compte que, si le Christianisme n’était pas « descendu » dans le domaine exotérique, ce monde, dans son ensemble, aurait été bientôt dépourvu de toute tradition, celles qui y existaient jusque-là, et notamment la tradition gréco-romaine qui y était naturellement devenue prédominante, étant arrivées à une extrême dégénérescence qui indiquait que leur cycle d’existence était sur le point de se terminer. Cette « descente », insistons-y encore, n’était donc nullement un accident ou une déviation, et on doit au contraire la regarder comme ayant eu un caractère véritablement « providentiel », puisqu’elle évita à l’Occident de tomber dès cette époque dans un état qui eût été en somme comparable à celui où il se trouve actuellement. Le moment où devait se produire une perte générale de la tradition comme celle qui caractérise proprement les temps modernes n’était d’ailleurs pas encore venu ; il fallait donc qu’il y eût un « redressement », et le Christianisme seul pouvait l’opérer, mais à la condition de renoncer au caractère ésotérique et « réservé » qu’il avait tout d’abord ; et ainsi le « redressement » n’était pas seulement bénéfique pour l’humanité occidentale, ce qui est trop évident pour qu’il y ait lieu d’y insister, mais il était en même temps, comme l’est d’ailleurs nécessairement toute action « providentielle » intervenant dans le cours de l’histoire, en parfait accord avec les lois cycliques elles-mêmes.

Il serait probablement impossible d’assigner une date précise à ce changement qui fit du Christianisme une religion au sens propre du mot et une forme traditionnelle s’adressant à tous indistinctement ; mais ce qui est certain en tout cas, c’est qu’il était déjà un fait accompli à l’époque de Constantin et du Concile de Nicée, de sorte que celui-ci n’eut qu’à le « sanctionner », si l’on peut dire, en inaugurant l’ère des formulations « dogmatiques » destinées à constituer une présentation purement exotérique de la doctrine. Cela ne pouvait d’ailleurs pas aller sans quelques inconvénients inévitables, car le fait d’enfermer ainsi la doctrine dans des formules nettement définies et limitées rendait beaucoup plus difficile, même à ceux qui en étaient réellement capables, d’en pénétrer le sens profond ; de plus, les vérités d’ordre plus proprement ésotérique, qui étaient par leur nature même hors de la portée du plus grand nombre, ne pouvaient plus être présentées que comme des « mystères » au sens que ce mot a pris vulgairement, c’est-à-dire que, aux yeux du commun, elles ne devaient pas tarder à apparaître comme quelque chose qu’il était impossible de comprendre, voire même interdit de chercher à approfondir. Ces inconvénients n’étaient cependant pas tels qu’ils pussent s’opposer à la constitution du Christianisme en forme traditionnelle exotérique ou en empêcher la légitimité, étant donné l’immense avantage qui devait par ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà dit, en résulter pour le monde occidental ; du reste, si le Christianisme comme tel cessait par-là d’être initiatique, il restait encore la possibilité qu’il subsistât, à son intérieur, une initiation spécifiquement chrétienne pour l’élite qui ne pouvait s’en tenir au seul point de vue de l’exotérisme et s’enfermer dans les limitations qui sont inhérentes à celui-ci ; mais c’est là encore une autre question que nous aurons à examiner un peu plus tard.

D’autre part, il est à remarquer que ce changement dans le caractère essentiel et, pourrait-on dire, dans la nature même du Christianisme, explique parfaitement que, comme nous le disions au début, tout ce qui l’avait précédé ait été volontairement enveloppé d’obscurité, et que même il n’ait pas pu en être autrement. Il est évident en effet que la nature du Christianisme originel, en tant qu’elle était essentiellement ésotérique et initiatique, devait demeurer entièrement ignorée de ceux qui étaient maintenant admis dans le Christianisme devenu exotérique ; par conséquent, tout ce qui pouvait faire connaître ou seulement soupçonner ce qu’avait été réellement le Christianisme à ses débuts devait être recouvert pour eux d’un voile impénétrable. Bien entendu, nous n’avons pas à rechercher par quels moyens un tel résultat a pu être obtenu, ce serait plutôt là l’affaire des historiens, si toutefois il leur venait à l’idée de se poser cette question, qui d’ailleurs leur apparaîtrait sans doute comme à peu près insoluble, faute de pouvoir y appliquer leurs méthodes habituelles et s’appuyer sur des « documents » qui manifestement ne sauraient exister en pareil cas ; mais ce qui nous intéresse ici, c’est seulement de constater la chose et d’en comprendre la véritable raison. Nous ajouterons que, dans ces conditions, et contrairement à ce que pourraient en penser les amateurs d’explications rationnelles, qui sont aussi toujours des explications superficielles et « simplistes », on ne peut aucunement attribuer cette « obscuration » des origines à une ignorance trop évidemment impossible chez ceux qui devaient être d’autant plus conscients de la transformation du Christianisme qu’ils y avaient eux-mêmes pris une part plus ou moins directe, ni prétendre non plus, suivant un préjugé assez répandu parmi les modernes qui prêtent trop volontiers aux autres leur propre mentalité, qu’il y ait eu là de leur part une manœuvre « politique » et intéressée, dont nous ne voyons d’ailleurs pas très bien quel profit ils auraient pu retirer effectivement ; la vérité est au contraire que cela fut rigoureusement exigé par la nature même des choses, afin de maintenir, en conformité avec l’orthodoxie traditionnelle, la distinction profonde des deux domaines exotérique et ésotérique.

Certains pourraient peut-être se demander ce qu’il est advenu, avec un pareil changement, des enseignements du Christ, qui constituent le fondement du Christianisme par définition même, et dont il ne pourrait s’écarter sans cesser de mériter son nom, sans compter qu’on ne voit pas ce qui pourrait s’y substituer sans compromettre le caractère « non-humain » en dehors duquel il n’y a plus aucune tradition authentique. En réalité, ces enseignements n’ont pas été touchés par-là ni modifiés en aucune façon dans leur « littéralité », et la permanence du texte des Évangiles et des autres écrits du Nouveau Testament, qui remontent évidemment à la première période du Christianisme, en constitue une preuve suffisante ; ce qui a changé, c’est seulement leur compréhension, ou, si l’on préfère, la perspective suivant laquelle ils sont envisagés et la signification qui leur est donnée en conséquence, sans d’ailleurs qu’on puisse dire qu’il y ait quoi que ce soit de faux ou d’illégitime dans cette signification, car il va de soi que les mêmes vérités sont susceptibles de recevoir une application dans des domaines différents, en vertu des correspondances qui existent entre tous les ordres de réalité. Seulement, il y a des préceptes qui, concernant spécialement ceux qui suivent une voie initiatique, et applicables par conséquent dans un milieu restreint et en quelque sorte qualitativement homogène, deviennent impraticables en fait si on veut les étendre à tout l’ensemble de la société humaine ; c’est ce qu’on reconnaît assez explicitement en les considérant comme étant seulement des « conseils de perfection », auxquels ne s’attache aucun caractère d’obligation; cela revient à dire que chacun n’est tenu de suivre la voie évangélique que dans la mesure non seulement de sa propre capacité, ce qui va de soi, mais même de ce que lui permettent les circonstances contingentes dans lesquelles il se trouve placé, et c’est là en effet tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de ceux qui ne visent pas à dépasser la simple pratique exotérique.

D’autre part, pour ce qui est de la doctrine proprement dite, s’il est des vérités qui peuvent être comprises à la fois exotériquement et ésotériquement, suivant des sens se rapportant à des degrés différents de réalité, il en est d’autres qui, relevant exclusivement de l’ésotérisme et n’ayant aucune correspondance en dehors de celui-ci, deviennent, comme nous l’avons déjà dit, entièrement incompréhensibles quand on essaie de les transporter dans le domaine exotérique, et qu’on doit forcément se borner alors à exprimer purement et simplement sous la forme d’énonciations « dogmatiques », sans jamais chercher à en donner la moindre explication ; ce sont celles-ci qui constituent proprement ce qu’on est convenu d’appeler les « mystères » du Christianisme. À vrai dire, l’existence même de ces « mystères » serait tout à fait injustifiable si l’on n’admettait pas le caractère ésotérique du Christianisme originel ; en tenant compte de celui-ci, au contraire, elle apparaît comme une conséquence normale et inévitable de l’« extériorisation » par laquelle le Christianisme, tout en conservant la même forme quant aux apparences, dans sa doctrine aussi bien que dans ses rites, est devenu la tradition exotérique et spécifiquement religieuse que nous connaissons aujourd’hui.

Parmi les rites chrétiens, ou plus précisément parmi les sacrements qui en constituent la partie la plus essentielle, ceux qui présentent la plus grande similitude avec des rites d’initiation, et qui par conséquent doivent en être regardés comme l’« extériorisation » s’ils ont eu effectivement ce caractère à l’origine, sont naturellement, comme nous l’avons déjà fait remarquer ailleurs, ceux qui ne peuvent être reçus qu’une seule fois, et avant tout le baptême. Celui-ci, par lequel le néophyte était admis dans la communauté chrétienne et en quelque sorte « incorporé » à celle-ci, devait évidemment, tant qu’elle fut une organisation initiatique, constituer la première initiation, c’est-à-dire le début des « petits mystères » ; c’est d’ailleurs ce qu’indique nettement le caractère de « seconde naissance » qu’il a conservé, bien qu’avec une application différente, même en descendant dans le domaine exotérique. Ajoutons tout de suite, pour n’avoir pas à y revenir, que la confirmation paraît avoir marqué l’accession à un degré supérieur, et le plus vraisemblable est que celui-ci correspondait en principe à l’achèvement des « petits mystères » ; quant à l’ordre, qui maintenant donne seulement la possibilité d’exercer certaines fonctions, il ne peut être que l’« extériorisation » d’une initiation sacerdotale, se rapportant comme telle aux « grands mystères ».

Pour se rendre compte que, dans ce qu’on pourrait appeler le second état du Christianisme, les sacrements n’ont plus aucun caractère initiatique et ne sont bien réellement que des rites purement exotériques, il suffit en somme de considérer le cas du baptême, puisque tout le reste en dépend directement. À l’origine, malgré l’« obscuration » dont nous avons parlé, on sait tout au moins que, pour conférer le baptême, on s’entourait de précautions rigoureuses, et que ceux qui devaient le recevoir étaient soumis à une longue préparation. Actuellement, c’est en quelque sorte tout le contraire qui a lieu, et on semble avoir fait tout le possible pour faciliter à l’extrême la réception de ce sacrement, puisque non seulement il est donné à n’importe qui indistinctement, sans qu’aucune question de qualification et de préparation ait à se poser, mais que même il peut aussi être conféré valablement par n’importe qui, alors que les autres sacrements ne peuvent l’être que par ceux, prêtres ou évêques, qui exercent une fonction rituelle déterminée. Ces facilités, ainsi que le fait que les enfants sont baptisés le plus tôt possible après leur naissance, ce qui exclut évidemment l’idée d’une préparation quelconque, ne peuvent s’expliquer que par un changement radical dans la conception même du baptême, changement à la suite duquel il fut considéré comme une condition indispensable pour le « salut », et qui devait par conséquent être assurée au plus grand nombre possible d’individus, alors que primitivement il s’agissait de tout autre chose. Cette façon de voir, suivant laquelle le « salut » qui est le but final de tous les rites exotériques, est lié nécessairement à l’admission dans l’Église chrétienne, n’est en somme qu’une conséquence de cette sorte d’« exclusivisme » qui est inévitablement inhérent au point de vue de tout exotérisme comme tel. Nous ne croyons pas utile d’insister davantage, car il est trop clair qu’un rite qui est conféré à des enfants naissants, et sans même qu’on se préoccupe aucunement de déterminer leurs qualifications par un moyen quelconque, ne saurait avoir le caractère et la valeur d’une initiation, celle-ci fût-elle réduite à n’être plus que simplement virtuelle ; nous allons d’ailleurs revenir tout à l’heure sur la question de la possibilité de la subsistance d’une initiation virtuelle par les sacrements chrétiens.

Nous signalerons encore accessoirement un point qui n’est pas sans importance : c’est que, dans le Christianisme tel qu’il est actuellement, et contrairement à ce qu’il en était tout d’abord, tous les rites sans exception sont publics ; tout le monde peut y assister, même à ceux qui paraîtraient devoir être plus particulièrement « réservés », comme l’ordination d’un prêtre ou la consécration d’un évêque, et à plus forte raison à un baptême ou à une confirmation. Or ce serait là une chose inadmissible s’il s’agissait de rites d’initiation, qui normalement ne peuvent être accomplis qu’en présence de ceux qui ont déjà reçu la même initiation; entre la publicité d’une part et l’ésotérisme et l’initiation de l’autre, il y a évidemment incompatibilité. Si cependant nous ne regardons cet argument que comme secondaire, c’est que, s’il n’y en avait pas d’autres, on pourrait prétendre qu’il n’y a là qu’un abus dû à une certaine dégénérescence, comme il peut s’en produire parfois dans une organisation initiatique sans que celle-ci aille pour cela jusqu’à perdre son caractère propre ; mais nous avons vu que, précisément, la descente du Christianisme dans l’ordre exotérique ne devait nullement être considérée comme une dégénérescence, et d’ailleurs les autres raisons que nous exposons suffisent pleinement à montrer que, en réalité, il ne peut plus y avoir là aucune initiation.

S’il y avait encore une initiation virtuelle, comme certains l’ont envisagé dans les objections qu’ils nous ont faites, et si par conséquent ceux qui ont reçu les sacrements chrétiens, ou même le seul baptême, n’avaient dès lors nul besoin de rechercher une autre forme d’initiation quelle qu’elle soit, comment pourrait-on expliquer l’existence d’organisations initiatiques spécifiquement chrétiennes, telles qu’il y en eut incontestablement pendant tout le moyen âge, et quelle pourrait bien être alors leur raison d’être, puisque leurs rites particuliers feraient en quelque sorte double emploi avec les rites ordinaires du Christianisme ? On dira que ceux-ci constituent ou représentent seulement une initiation aux « petits mystères », de sorte que la recherche d’une autre initiation se serait imposée à ceux qui auraient voulu aller plus loin et accéder aux « grands mystères » ; mais, outre qu’il est fort invraisemblable, pour ne pas dire plus, que tous ceux qui entrèrent dans les organisations dont il s’agit aient été prêts à aborder ce domaine, il y a contre une telle supposition un fait décisif : c’est l’existence de l’hermétisme chrétien, puisque, par définition même, l’hermétisme relève précisément des « petits mystères » ; et nous ne parlons pas des initiations de métier, qui se rapportent aussi à ce même domaine, et qui, même dans les cas où elles ne peuvent être dites spécifiquement chrétiennes, n’en requéraient pas moins de leurs membres, dans un milieu chrétien, la pratique de l’exotérisme correspondant.

Maintenant, il nous faut prévoir encore une autre équivoque, car certains pourraient être tentés de tirer de ce qui précède une conclusion erronée, pensant que, si les sacrements n’ont plus aucun caractère initiatique, il doit en résulter qu’ils ne peuvent jamais avoir des effets de cet ordre, à quoi ils ne manqueraient sans doute pas d’opposer certains cas où il semble bien qu’il en ait été autrement ; la vérité est qu’en effet les sacrements ne peuvent pas avoir de tels effets par eux-mêmes, leur efficacité propre étant limitée au domaine exotérique, mais qu’il y a cependant autre chose à envisager à cet égard. En effet, partout où il existe des initiations relevant spécialement d’une forme traditionnelle déterminée et prenant pour base l’exotérisme même de celle-ci, les rites exotériques peuvent, pour ceux qui ont reçu une telle initiation, être transposés en quelque sorte dans un autre ordre, en ce sens qu’ils s’en serviront comme d’un support pour le travail initiatique lui-même, et que par conséquent, pour eux, les effets n’en seront plus limités au seul ordre exotérique comme ils le sont pour la généralité des adhérents de la même forme traditionnelle ; en cela, il en est du Christianisme comme de toute autre tradition, dès lors qu’il y a ou qu’il y a eu une initiation proprement chrétienne. Seulement, il est bien entendu que, loin de dispenser de l’initiation régulière ou de pouvoir en tenir lieu, cet usage initiatique des rites exotériques la présuppose au contraire essentiellement comme la condition nécessaire de sa possibilité même, condition à laquelle les qualifications les plus exceptionnelles ne sauraient suppléer, et hors de laquelle tout ce qui dépasse le niveau ordinaire ne peut aboutir tout au plus qu’au mysticisme, c’est-à-dire à quelque chose qui, en réalité, ne relève encore que de l’exotérisme religieux.

On peut facilement comprendre, par ce que nous venons de dire en dernier lieu, ce qu’il en fut réellement de ceux qui, au moyen âge, laissèrent des écrits d’inspiration manifestement initiatique, et qu’aujourd’hui on a communément le tort de prendre pour des « mystiques », parce qu’on ne connaît plus rien d’autre, mais qui furent certainement quelque chose de tout différent. Il n’est nullement à supposer qu’il se soit agi là de cas d’initiation « spontanée », ou de cas d’exception dans lesquels une initiation virtuelle demeurée attachée aux sacrements aurait pu devenir effective, alors qu’il y avait toutes les possibilités d’un rattachement normal à quelqu’une des organisations initiatiques régulières qui existaient à cette époque, souvent même sous le couvert des ordres religieux et à leur intérieur, bien que ne se confondant en aucune façon avec eux. Nous ne pouvons nous  étendre davantage pour ne pas allonger indéfiniment cet exposé, mais nous ferons remarquer que c’est précisément quand ces initiations cessèrent d’exister, ou tout au moins d’être suffisamment accessibles pour offrir encore réellement ces possibilités de rattachement, que le mysticisme proprement dit prit naissance, de sorte que les deux choses apparaissent comme étroitement liées. Ce que nous disons ici ne s’applique d’ailleurs qu’à l’Église latine, et ce qui est très remarquable aussi, c’est que, dans les Églises d’Orient, il n’y a jamais eu de mysticisme au sens où on l’entend dans le Christianisme occidental depuis le XVIe siècle ; ce fait peut donner à penser qu’une certaine initiation du genre de celles auxquelles nous faisions allusion a dû se maintenir dans ces Églises, et, effectivement, c’est ce qu’on y trouve avec l’hésychasme, dont le caractère réellement initiatique ne semble pas douteux, même si, là comme dans bien d’autres cas, il a été plus ou moins amoindri au cours des temps modernes, par une conséquence naturelle des conditions générales de cette époque, à laquelle ne peuvent guère échapper que les initiations qui sont extrêmement peu répandues, qu’elles l’aient toujours été ou qu’elles aient décidé volontairement de se « fermer » plus que jamais pour éviter toute dégénérescence.

Dans l’hésychasme, l’initiation proprement dite est essentiellement constituée par la transmission régulière de certaines formules, exactement comparables à la communication des mantras dans la tradition hindoue et à celle du wird dans les turuq islamiques ; il y existe aussi toute une « technique » de l’invocation comme moyen propre du travail intérieur (19), moyen bien distinct des rites chrétiens exotériques, quoique ce travail n’en puisse pas moins trouver aussi un point d’appui dans ceux-ci comme nous l’avons expliqué, dès lors que, avec les formules requises, l’influence à laquelle elles servent de véhicule a été transmise valablement, ce qui implique naturellement l’existence d’une chaîne initiatique ininterrompue, puisqu’on ne peut évidemment transmettre que ce qu’on a reçu soi-même. Ce sont là encore des questions que nous ne pouvons qu’indiquer ici très sommairement, mais, du fait que l’hésychasme est encore vivant de nos jours, il nous semble qu’il serait possible de trouver de ce côté certains éclaircissements sur ce qu’ont pu être les caractères et les méthodes d’autres initiations chrétiennes qui malheureusement appartiennent au passé.

Pour conclure enfin, nous pouvons dire ceci : en dépit des origines initiatiques du Christianisme, celui-ci, dans son état actuel, n’est certainement rien d’autre qu’une religion, c’est-à-dire une tradition d’ordre exclusivement exotérique, et il n’a pas en lui-même d’autres possibilités que celles de tout exotérisme ; il ne le prétend d’ailleurs aucunement, puisqu’il n’y est jamais question d’autre chose que d’obtenir le « salut ». Une initiation peut naturellement s’y superposer, et elle le devrait même normalement pour que la tradition soit véritablement complète, possédant effectivement les deux aspects exotérique et ésotérique ; mais, dans sa forme occidentale tout au moins, cette initiation, en fait, n’existe plus présentement. Il est d’ailleurs bien entendu que l’observance des rites exotériques est pleinement suffisante pour atteindre au « salut » ; c’est déjà beaucoup, assurément, et même c’est tout ce à quoi peut légitimement prétendre, aujourd’hui plus que jamais, l’immense majorité des êtres humains ; mais que devront faire, dans ces conditions, ceux pour qui, suivant l’expression de certains mutaçawwufîn, « le Paradis n’est encore qu’une prison ».

Au sommaire de cet ouvrage :

Introduction : Guénon, le restaurateur de la Tradition, et ses écueils

Première partie : René Guénon, le catholicisme et l'exotérisme chrétien  -  Marie-France James, ou l'exotérisme journalistique   -   Jean Borella : l'ornière de la philosophie exotérique   -   Jean Daniélou et la reconnaissance marginale de l'ésotérisme judéo-chrétien   -   L'anti-gnose d'André Allard L'Olivier : thomisme exotérique versus Christianisme initiatique  -  Jean-Marc Vivenza : l'augustinisme martinésiste contre la Tradition Primordiale de Guénon 

Deuxième partie : René Guénon, essais d'aboutissement, et rattachement à l'Islam  -  Les tentatives de concrétisation et d'« aboutissements » de l’œuvre de Guénon   -   Le passage ou conversion à l'Islam   -   Frithjof Schuon et le Christianisme par rapport à l'Islam   -   Michel Valsan, autre grand guénonien converti à l'Islam 

Troisième partie : René Guénon et le Christianisme primitif   -    Guénon et la tradition chrétienne    -    Restauration traditionnelle, Réforme et protestantisme   -  Mystique et ésotérisme, cette « quadrature du cercle » 

Conclusion : l'inébranlable possibilité chrétienne

 

renÉ guÉnon & le rite Écossais rectifiÉ

Jean-Marc vivenza

Edition DU SIMORGH

 2007

On sait la profonde et durable incompréhension de René Guénon (1886 – 1951) envers la pensée de Martinès de Pasqually (1710 – 1774) et les pratiques observées par l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, sa significative réserve s’agissant de la théosophie de Louis-Claude de Saint Martin (1743 – 1803), et ses vives critiques à l’égard de Jean-Baptiste Willermoz (1730 – 1824) et le Rite Écossais Rectifié, positions et jugements qui traverseront ses différentes analyses chaque fois qu’il abordera ces sujets, et sur lesquels il ne crut pas nécessaire de revenir.

Cette attitude surprenante, motivée par d’obscurs « sentiments », sous-tendue par une invraisemblable confusion à l’égard des fondements du christianisme, et, surtout, de bien troubles raisons sur le plan initiatique, obligeait à ce que soit enfin entrepris un travail de clarification et d’explication, de ce qui conduisit à la fois René Guénon, mais également ceux se réclamant aujourd’hui de son œuvre, à considérer que la doctrine de Martinès de Pasqually, la perspective théosophique du Philosophe Inconnu et la rectification élaborée par Jean-Baptiste Willermoz, étaient toutes trois entachées d’éléments les disqualifiant et les excluant des sphères réservées de la « Tradition », alors même que c’est au contraire ce courant spécifique au sein de l’ésotérisme chrétien, dont participèrent les Élus Coëns, la Société des Intimes de Saint-Martin et la Franc-maçonnerie willermozienne, qui est sans doute le plus clairement autorisé à pouvoir se revendiquer d’une véritable authenticité et profonde fidélité à l’égard de ce que l’Écriture sainte regarde comme étant la « vraie » source spirituelle de l’homme, et désigne sous le nom de « Tradition Divine ».


Il semble donc, lorsque l’on cherche à examiner sereinement les causes qui participèrent aux inexactes affirmations de René Guénon, qu’elles reposent sur une complète méconnaissance de l’histoire et des structures propres de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, et, surtout, une incroyable ignorance à l’égard des enseignements originaux et de la doctrine spécifique qui sous-tendent secrètement, mais cependant foncièrement et formellement, le Régime Écossais Rectifié.

 

renÉ guÉnon & le roi du monde

Bruno hapel

Edition TRÉDANIEL

 2001

Ne doit-on pas considérer René Guénon comme le porte-parole en Occident du Roi du Monde ? Prenant appui sur une documentation précise et souvent ignorée, cet ouvrage livre des informations sur la question du Roi du Monde et souligne l’importance du langage mathématique dans l’œuvre de René Guénon.

Après René Guénon et l’Archéomètre, puis René Guénon et l’Esprit de l’Inde, ce troisième dossier complète une base documentaire sans précédent et offre lui aussi un support de lecture à ceux qui veulent connaître ce que René Guénon a véritablement écrit et publié.

 

Ce livre de René Guénon est sûrement celui qui, de toute son œuvre, présente l'étude la plus étrange et, en même temps, le document le plus révélateur des vrais mystères sur lesquels repose l'ordre cosmique et traditionnel du monde entier.  Les doctrines et les symboles de toutes les traditions attestent de façon concordante l'existence d'une "Terre Sainte" par excellence, prototype de toutes les autres "Terres Saintes", qui est aussi le séjour du centre spirituel auquel tous les autres centres sont subordonnés. Le chef de ce centre suprême est le "Roi du Monde". Ce séjour est situé dans un monde nécessairement invisible pour les regards des profanes, et inaccessible à leurs recherches.

Pour couper court aux risques d'acceptations grossières et aux illusions à peu près inévitables, il est précisé qu'un tel accès (du reste extrêmement rare dans l'histoire traditionnelle du monde extérieur) est lié à un très haut degré de réalisation spirituelle. On peut naturellement se demander si certaines précisions que ce livre donne étaient vraiment opportunes. René Guénon a répondu d'avance à une telle question : "Dans les circonstances au milieu desquelles nous vivons présentement, les événements se déroulent avec une telle rapidité que beaucoup de choses dont les raisons n'apparaissent pas encore immédiatement pourraient bien trouver, et plus tôt qu'on ne serait tenté de le croire, des applications assez imprévues, sinon tout à fait imprévisibles."»
En marge de ce dernier dossier, cet ouvrage renferme une étude inédite intitulée : René Guénon, Le Solitaire.

 

RenÉ GUÉNON et les Destins de la Franc-maçonnerie

Denys ROMAN

Editions Traditionnelles

 1995

Suite à divers ouvrages de R.Guénon sur la F. M. l’auteur nous explique pourquoi R.Guénon fustige les déviations politiques ou moralisantes de certains ordres maçonniques tout en considérant que la F. M. fait partie des 2 traditions occidentales qui conservent le dépôt et la transmission de la tradition primordiale.

 

Denys Roman (1901-1986) est connu par ses textes consacrés à la Maçonnerie considérée avant tout en tant qu’Ordre initiatique. Il est également réputé pour son adhésion inconditionnelle aux idées exposées par René Guénon. En 1950, à la demande de celui-ci, il publie son premier article dans les Études Traditionnelles (E. T.). Dès lors, durant les trente-six années qui vont s’écouler jusqu’à sa mort, il collabore à diverses revues avec nombre d’articles et de comptes rendus dont la plupart traitent de sujets touchant à l’Ordre et son histoire.

Le premier livre de l’auteur, René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, paraît en 1982 et sera réédité en 1995 en même temps que la parution de son ouvrage posthume, Réflexions d’un chrétien sur la Franc-MaçonnerieL’Arche vivante des Symboles. Denys Roman est l’un des derniers correspondants de R. Guénon qui résidait alors au Caire. Cet échange épistolaire, principalement axé sur un rétablissement de rituels d’esprit vraiment initiatique, le confortera dans sa conviction de la nécessité, pour les Frères, de renouer avec la tradition maçonnique abandonnée dans une large mesure. C’est pourquoi l’auteur s’attache à traiter du symbolisme qui constitue la doctrine de l’Ordre, de même qu’à mettre en relief la méthode initiatique de la Maçonnerie notamment dans sa composante rituelle qui est essentielle.

Lors des dernières années de la vie de l’auteur des Aperçus sur l’Initiation, la création à Paris en avril 1947 de la Loge « La Grande Triade » constituera un des prolongements « logiques » de l’œuvre de René Guénon dans le milieu initiatique occidental de l’époque, cela dans une perspective plus générale de restauration intellectuelle qui n’est présentement plus envisageable. Et pourtant, de nos jours encore et par-delà cette initiative qui fut un point de départ pour quelques-uns, on peut mesurer la portée essentiellement positive de l’œuvre de René Guénon : hors du temps et des « valeurs » modernes, cette œuvre ne manque toujours pas de susciter des réactions de tous ordres, opérant ainsi, par elle-même et au-delà de son auteur, une « discrimination » ou « séparation » qui n’est pas sans rapport avec celle qui scellera « la fin des temps » : Denys Roman considère d’ailleurs que l’œuvre de René Guénon « ne pouvait surgir qu’aux abords de la fin du cycle ».

Par son étroite communion d’idées avec R. Guénon, D. Roman n’est sans doute pas étranger à cette remise en vigueur de l’esprit traditionnel et à ce rappel à l’urgente nécessité de l’appliquer dans le domaine ésotérique et initiatique. Disons-le nettement : quiconque s’affranchit de cet esprit traditionnel se coupe par là même de la finalité de la voie initiatique dans sa conformité au Plan du Grand Architecte, ce Plan tracé de toute éternité pour le rétablissement de l’être dans ses prérogatives originelles. Tout au long des textes ici proposés, l’auteur suggère l’indispensable adhésion à cette démarche intrinsèque à la voie initiatique maçonnique envisagée dans sa plénitude. Ainsi est mise en œuvre, dans ses aspects les plus fondamentaux, la voie Royale propre au bâtisseur qui participe de l’Art de la Construction universelle.

En point d’orgue, la réflexion de Denys Roman l’amène à mettre l’accent sur la vocation eschatologique de l’Ordre auquel R. Guénon n’avait cessé d’accorder un intérêt privilégié : comment, en effet, ne pas aborder un domaine lié au rôle spécifique dévolu à Saint Jean, « Fils du Tonnerre », jusqu’à « la fin des temps » ?

L’œuvre de Denys Roman s’inscrit dans l’enseignement universel transmis par R. Guénon, cela suivant une continuité, une constance doctrinale, et, faut-il le souligner, une fidélité rare dans un milieu sujet à nombre d’influences ; par la complémentarité des deux aspects chrétien et maçonnique de l’engagement de son auteur, elle participe de cette universalité qui fonde l’authentique esprit traditionnel et initiatique.

 

renÉ guÉnon & l’esprit de l’inde

Bruno hapel

Edition TRÉDANIEL

 1998

Tout laisse à penser que l’on a le plus souvent ignoré l’un des fils directeurs de l’œuvre de René Guénon. N’a-t-on pas ainsi sous-estimé l’importance des doctrines hindoues dans cette œuvre ? Héritage le plus direct de la Tradition primordiale, la tradition hindoue donne à René Guénon la possibilité de rappeler ce qu’est le véritable esprit traditionnel dans toute son orthodoxie et sa pureté. S’appuyant alors sur cette base infaillible, il peut ainsi retrouver cet esprit dans toutes les autres traditions authentiques et notamment dans celles qui se sont révélées durant l’âge sombre de la présente humanité.

 

Après une première partie consacrée au Védânta, l’ouvrage, prenant toujours appui sur une documentation précise et bien souvent ignorée, aborde la question très controversée du Bouddhisme dans l’œuvre de René Guénon. Une troisième partie montre le rôle essentiel qu’il convient d’attribuer aux doctrines hindoues pour la compréhension du Christianisme.

La tradition hindoue est omniprésente dans l’œuvre de René Guénon, qui la considérait comme « l’héritage le plus direct de la Tradition primordiale ». S’il n’a consacré que deux ouvrages à l’hindouisme proprement dit (plus un recueil posthume d’études et de comptes rendus), il n’est aucun de ses autres livres où l’Inde – sa métaphysique, sa cosmologie, ses sciences traditionnelles, son organisation sociale – n’apparaisse comme une référence majeure, quasi absolue, à tel point que certains ont pu se demander pourquoi, dans sa voie personnelle, il n’avait pas embrassé l’hindouisme plutôt que l’islamisme.

 

Paul Chacornac, son premier biographe, nous fournit une réponse dont beaucoup se sont contentés : « Les modalités d’initiation hindoue étant liées à l’institution des castes, on ne voit pas comment un Occidental, par définition sans caste, pourrait y accéder. D’autre part, le rituel hindou ne se prête, en aucune manière, à la vie occidentale, tandis que le rituel islamique, quelles que soient les difficultés pratiques qu’il présente, n’est tout de même pas incompatible avec la vie de l’Occidental moderne. » A quoi l’on peut objecter qu’il y a eu malgré tout, des exemples, rares mais non douteux, d’Occidentaux qui se sont intégrés dans l’hindouisme ; eût-il décidé de vivre en Inde que Guénon eût certainement mené la vie rituelle d’un hindou, tout comme, établi en Egypte, il a mené la vie rituelle d’un musulman.

 

 On ne voit donc pas, dans son cas si exceptionnel, d’impossibilité radicale à « devenir hindou », la notion de « caste » s’effaçant dans certains types d’initiation et n’ayant plus le moindre sens dans le cas du samnyâsin. La « conversion » à l’islam – bien antérieure, comme on le sait, à l’installation en Egypte - s’explique peut-être par la place « intermédiaire » entre l’Orient et l’Occident qu’occupe cette tradition, en accord avec la propre fonction intermédiaire de Guénon, et aussi par le caractère « ultime » de la religion du Prophète, en correspondance avec le caractère ultime du message guénonien. Ce serait là néanmoins, reconnaissons-le, des motivations assez abstraites, même pour un homme dont la vie revêt un incontestable « symbolisme » et que l’on a de plus en plus tendance à « mythifier ». La véritable raison du « choix » d’une forme traditionnelle (choisit-on, est-on choisi ?) relève de l’intimité mystérieuse de chaque être et n’est pas comparable à une stratégie militaire ou à un mariage de raison.

 

Un peu moins vaine mais aussi peu résoluble apparaît cette question maintes fois posée : Guénon, dans ses années de formation parisiennes, a-t-il eu un ou des maîtres hindous ? Quels que fussent ses dons intellectuels, il est difficile de croire qu’il ait pu parvenir seul ou juste avec l’aide de quelques livres à cette compréhension lumineuse du Vêdânta qu’il manifeste dès l’âge de vingt-trois ans, lors de ses premiers articles publiés sous le nom de Palingenius dans la Gnose. A moins d’aller chercher des explications fantastiques, il faut donc supposer une rencontre et un contact humain, une transmission orale et directe. Or celle-ci ne pouvait assurément pas venir des indianistes français, auprès desquels René Guénon a pris quelques cours, ni des membres de la Société théosophique, dont l’enseignement était extravagant, ni d’autres individualités néo-spiritualistes vivant alors dans la capitale. On inclinera donc à croire Chacornac lorsqu’il affirme : « Guénon a eu un Maître ou des Maîtres hindous. Il nous a été impossible d’avoir la moindre précision sur l’identité de ce ou ces personnages, et tout ce qu’on peut en dire avec certitude, c’est qu’il s’agissait en tout cas d’un ou de représentants de l’école Védânta adwaita, ce qui n’exclut pas qu’il y en eut d’autres. » Ce que vient corroborer le témoignage du Hollandais Frans Vreede, qui fut un ami très proche de Guénon pendant trente ans : « Il [Guénon] fut initié par une personnalité hindoue, affiliée à une branche régulière d’un ordre initiatique remontant à Shankarâchârya.»

 

En dehors de cet « initiateur » dont il est peu probable et d’ailleurs peu utile qu’on ne découvre jamais l’identité, Guénon eut aussi, tout au long de sa vie, de bons informateurs d’une certaine réalité indienne, tel Hiran Singh qui lui procura une partie de sa documentation pour le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion (1921). Assez gratuitement, d’aucuns ont supposé que les « contacts hindous » de Guénon s’interrompirent après la parution du Roi du monde (1927), ouvrage dans lequel il en aurait « trop dit » sur l’Agarttha. Rien ne permet de l’affirmer. Il est évident que les jugements sévères (et parfois légèrement excessifs, nous y reviendrons) que Guénon porta sur telle ou telle personnalité hindoue alors à la mode – et relevant plutôt du « néo-hindouisme » que de l’hindouisme orthodoxe – lui attirèrent quelques rancœurs tenaces, non éteintes encore aujourd’hui, dans ce milieu qui n’est ni vraiment d’Orient ni vraiment d’Occident.

 

L’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, qui est en fait une introduction générale à tout le grand œuvre guénonien – la « charpente et comme la structure » de celui-ci selon Jean-Claude Frère, l’ « indispensable prolégomène » selon Jean Robin –, fut publiée en 1921 par l’éditeur Marcel Rivière et présentée en Sorbonne comme thèse de doctorat ès lettres. Sylvain Lévi, dont Guénon avait suivi les cours au Collège de France, régnait alors sur l’indianisme français. Voici la conclusion du rapport mitigé qu’il fit de la thèse de Guénon au doyen Brunot : « En tout cas, il [Guénon] témoigne d’un effort personnel de pensée qui est respectable et que les philosophes apprécieront ; il apporte une conception curieuse des systèmes philosophiques de l’Inde, qui tout en choquant les indianistes peuvent les inviter à d’utiles réflexions. Enfin, la Faculté donnera une preuve manifeste de son libéralisme en acceptant cette critique violente de la ‘science officielle’ des philosophes comme des indianistes. Je crois donc devoir vous engager, Monsieur le Doyen, à accorder votre visa à la thèse de Monsieur Guénon. » Ledit Doyen ne fut point sensible à l’argument « libéral » puisqu’il refusa la thèse. Noëlle Maurice-Denis Boulet, qui rédigea un compte rendu de l’Introduction générale dans la Revue universelle du 15 juillet 1921 (compte rendu élogieux à l’exception d’une phrase finale un tantinet perfide due à Maritain), devait plus tard attribuer ce refus au fait que « la méthode d’exposition de René Guénon n’avait rien de la méthode historique et critique universitaire », ce qui tombe sous le sens.

 

 Ce fut-là, en tout cas, le point de départ ou peut-être la cristallisation du long « désamour » entre René Guénon et l’Université française. Il faut constater que, sournoise ou virulente, allant de la conspiration du silence au dénigrement systématique (Louis Renou en fut un spécialiste), l’hostilité des indianistes hexagonaux envers Guénon n’a jamais vraiment cessé. Si quelques-uns aujourd’hui admettent son apport constructif, c’est généralement en privé ou du bout des lèvres, comme si un hommage public (voire une simple mention bibliographique) risquait de compromettre leur carrière. En 1921, ce n’était sans doute pas cette crainte qui prévalait. Tout simplement les idées de Guénon étaient trop nouvelles – en dépit ou à cause de leur référence à une Tradition immémoriale – pour être entendues de ces bons docteurs nourris aux mamelles du scientisme et du positivisme, ces orientalistes « officiels » qui, en réalité, pour leur mode de pensée, ne différaient guère de leurs collègues latinistes ou hellénistes.

 

Qu’ils fussent chrétiens, athées ou agnostiques, ils ne pouvaient penser l’hindouisme qu’en termes de religion ou de philosophie occidentales et, au nom de l’ « objectivité scientifique » (grande vache sacrée de l’alma mater), étouffaient en eux-mêmes toute sensibilité spirituelle qui eût pu les rendre réceptifs à l’interprétation guénonienne. Lui parlait « du dedans », eux « du dehors ». Et le fait que cet indianiste non patenté s’exprimât en un langage clair, précis, « classique » sans effets littéraires, « cartésien » (un « Descartes de l’ésotérisme », dira-t-on plus tard avec un brin de malice) et s’appuyât sur une érudition discrète mais évidente n’arrangeait rien, bien au contraire, rendant l’adversaire encore plus insaisissable. Comme il eût été plus facile de le classer définitivement parmi ces « néo-spiritualistes » et ces « théosophistes », ces plumeurs de chimères et ces marchands d’exotisme frelaté dont il ne cessait, et avec beaucoup plus de détermination que les orientalistes eux-mêmes, de dénoncer les impostures !

 

RENḖ GUḖNON ET LA TRADITION PRIMORDIALE

Jean-Marc  Vivenza

Edition la Pierre Philosophale

2017

La nature de la fameuse « Tradition primordiale » qui occupe une place centrale à l’intérieur de l’œuvre de René Guénon, de par les nombreuses questions qu’elle soulève, pose d’évidentes difficultés dans ses principales affirmations pour ceux qui sont rattachés aux voies initiatiques issues de l’Illuminisme chrétien. En effet, la conception de René Guénon s’oppose directement à la doctrine du Régime Écossais Rectifié, fondé par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), qui rappelle que, dès l’origine, de par la division religieuse qui s’opéra entre Caïn et Abel, il n’y a pas une « Tradition », mais deux, ce qui signifie deux « transmissions » antagonistes, deux « initiations » et deux « dépôts spirituels » qui portent, certes, le même nom (tradition), mais n’ont pas du tout le même contenu, ni la même finalité ; la tradition de Caïn ne pouvant se réclamer que d’une origine babélienne qui, outre son caractère réprouvé, ne possède qu’une antériorité limitée à la période post-diluvienne, alors que seule la Tradition des « élus de l’Éternel » par Abel, est en mesure de se prévaloir du titre de « primitive ».

De ce fait, le concept guénonien de « Tradition primordiale », de par son aspect univoque problématique, obligeait à ce que soit enfin effectué un examen attentif des affirmations soutenues par René Guénon à la lumière de l’ésotérisme chrétien, afin de comprendre pourquoi le Régime Écossais Rectifié, s’appuyant sur l’enseignement de Martinès de Pasqually (+ 1774) – suivi en cela par les disciples de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) -, ne détient aucunement sa légitimité d’un « rattachement » à une tradition placée sous l’autorité d’un prétendu « Roi du Monde » régnant à l’intérieur du royaume souterrain de l’Agarttha, mais, de par sa fidélité à l’authentique « Tradition divine », celle qui, révélée et sainte, œuvre silencieusement depuis Abel, Seth, Énoch, Elie, Noé, Melchisédech, Moïse et Zorobabel jusqu’au Messie, à la contemplation et méditation des mystères célestes, travaillant, avec amour, à la défense de la sainte religion du Divin Réparateur : ad Majorem Dei Gloriam.

L’idée d’une tradition universelle à l’origine des religions de l’humanité, et par là même d’une unité essentielle des religions, remonte pour l’essentiel à la Renaissance, à la conception d’une sagesse immuable et immémoriale. Diversement appelée prisca theologia, prisca philosophia ou philosophia perennis, on la trouve exprimée dans les oeuvres de Marsile Ficin (1433-1499), Pic de la Mirandole (1463-1494), Agostino Steuco (1496-1549), Guillaume Postel (1510-1581) ou Francesco Patrizi (1529-1596).


Avec le développement de l’étude comparée des mythes et des religions, l'idée d'une « philosophie pérenne » connaîtra une vigueur nouvelle dès la fin du XVIIIe siècle chez des auteurs comme Antoine Court de Gébelin (1725-1784), Fabre d’Olivet (1768-1825) Joseph Görres (1776-1848) ou Friedrich Creuzer (1771-1858). L’occultisme du XIXe et du début du XXe siècle (Saint-Yves d’Alveydre, la Société Théosophique d’Helena Petrovna Blavatsky, Édouard Schuré) adhérera largement à l’idée d’une sagesse une et universelle, à l'origine et à la source des religions et spiritualités de l'humanité. Fondateur d'un courant de pensée métaphysique et ésotériste, René Guénon (1886-1951) reprendra à son compte l'idée universaliste d'une tradition originelle, d'une « tradition primordiale », dont toutes les traditions et religions de l'Histoire seraient des manifestations, des émanations ou - selon Guénon - des réadaptations cycliques. La force et l'originalité du métaphysicien français mort au Caire fut de donner à une notion communément répandue à son époque un contenu à la fois rigoureux, clarifié, profond et ample, qui échappe aux conceptions vagues des occultistes comme aux limitations des universalismes confessionnels ou littéraires (L’universalisme de Guénon et de Schuon au regard des universalismes). Dès les années 1920, Guénon a ainsi refondé avec une précision quasi géométrique la problématique philosophique de l’universalisme, que son héritier le plus direct, Frithjof Schuon (1907-1908), développera encore, avec d'autres nuances et herméneutiques, à travers le concept de sophia perennis ou religio perennis.

 

Guénon n’a pas consacré d’article ou de livre spécifique à la tradition primordiale, où il aurait concentré les données essentielles la concernant, comme il l’a fait par exemple pour le symbolisme de la croix. Si l’idée d’une Tradition primitive apparaît très tôt dans son oeuvre, ce n’est qu’à partir du milieu des années 1920 qu’il va préciser cette notion et en évoquer de plus en plus clairement les implications. C’est d’abord dans le cadre d’un symbolisme hindou et chrétien (articles de Regnabit) qu’il en parlera entre 1921 et 1927. Dans son premier livre publié en 1921, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, Guénon ne mentionne pas l’idée de « tradition primordiale », mais évoque brièvement le Manu hindou, principe révélateur de la Loi ou du Dharma dans l’hindouisme. Il le décrit comme étant, non « un personnage mythique, légendaire ou historique », mais « la désignation d’un principe ». Manu est ainsi « intelligence cosmique » ou « pensée réfléchie de l’ordre universel ». Prototype de l’homme, il correspond, sous certains rapports, à l’Homme universel de la Kabbale et de l’ésotérisme musulman et au Roi-Pontife du taoïsme. Dans L’Homme et son devenir selon le Vêdânta (1925), il affirme encore de Manu qu’il est le Législateur de notre cycle et l’Intelligence cosmique, image réfléchie de Brahma, mais demeurant néanmoins « une avec Lui » 

 

Ces affirmations reprennent, parfois mot pour mot, ce que Guénon avait déjà écrit dans une note de La Gnose (juillet-août 1910), dans le cadre d’un article sur L’Archéomètre. De « Manou », il écrivait alors : « Intelligence cosmique ou universelle, créatrice de tous les êtres, image réfléchie du Verbe émanateur.  il est ainsi le Législateur primordial et universel ». On remarquera l’emploi de la notion chrétienne de « Verbe » associée ici à un symbole hindou : Guénon emploie indifféremment des termes et des notions appartenant à des traditions différentes. Les expressions sont pour lui interchangeables, dans la mesure même où elles recouvrent des réalités identiques, et où les formes traditionnelles sont des langues que l’on peut employer alternativement selon les situations. On notera toutefois une différence. En effet, dans un cas, notre auteur fait de Manu le reflet de Brahma, dont il écrit qu’il est le Principe suprême, alors que Brahmâ est le Principe non-suprême. Dans sa note de L’Archéomètre, en revanche, il fait de Manu « l’image réfléchie du Verbe émanateur ». Or, le Verbe, dans la perspective guénonienne, ne saurait être le Principe suprême (Brahma) et correspondrait plutôt au Principe qualifié ou non-suprême (Brahmâ). Certes, selon Guénon, le Principe est un, si bien qu’il est possible de dire que Manu est aussi bien l’image réfléchie de Brahma que du Verbe, puisque la Réalité divine est fondamentalement une. Dans ses articles de Regnabit puis dans Le Roi du monde, Guénon fera du Roi du monde et du Manu une émanation du Verbe ou Logos éternel, et non d’un Principe suprême et non-qualifié.

 

Dans L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, Guénon rapproche en note le Manu hindou, « Législateur primordial », du Ménès ou Mina de l’Egypte ancienne, du Minos des Grecs et du Menw des Celtes. Déjà présente chez Frédéric de Rougemont, ces correspondances sont reprises assez directement de L’Archéomètre de Saint-Yves d’Alveydre, que Guénon ne cite pas. Elles montrent en tous les cas qu’en parlant du Manu, c’est bien la tradition primordiale et universelle qu’il a en vue, même s’il ne développera vraiment la relation entre les deux notions que dans un article paru en 1949, consacré au « Sanâtana Dharma ». Le Sanâtana Dharma, écrit-il alors, est prononcé par le Manu pour le cycle. Il est le centre et l’axe des révolutions cycliques : il comprend principiellement toutes les branches de l’activité humaine et n’est pas autre chose que la Tradition primordiale, pérenne et hors du temps. Toute tradition est une expression voilée et imparfaite et un substitut de cette Tradition primordiale, et la tradition hindoue en est la continuation extérieure 

 

Le premier article de Regnabit (août-septembre 1925) inaugure une mise en évidence de la tradition primordiale par le biais d’un comparatisme des symboles. Guénon y évoque le paradis terrestre, Centre du monde, Coeur de Dieu, dans lequel tout était contemplé sous l’aspect de l’éternité. Dans un addendum publié en décembre de la même année, et qui entendait répondre à des objections formulées à la suite de ce premier article, il distingue deux aspects du Christ : un « Christ-principe », c’est-à-dire le « Verbe manifesté au point central de l’Univers », et sa « manifestation historique, terrestre et humaine ». Il revient sur la question dans son article « Le Verbe et le Symbole », paru en janvier 1926. Il y affirme que la Révélation primordiale est l’oeuvre du Verbe, de l’Intellect divin, et qu’elle s’est incorporée dans des symboles transmis depuis l’origine de l’humanité

 

Guénon exprime alors en termes chrétiens ce qu’il avait déjà exprimé plus partiellement ou différemment en termes hindous dans ses livres précédents. On relèvera néanmoins ce qui peut apparaître, compte tenu de la rigueur du langage guénonien, comme une imprécision. Dans l’addendum cité plus haut, il parle du « Verbe manifesté au point central de l’Univers » ; dans la phrase suivante, il parle du « Verbe éternel » et de sa « manifestation historique, terrestre et humaine » et remarque qu’il s’agit là d’un « seul et même Christ sous deux aspects différents ». Par l’expression, « Verbe manifesté au point central de l’Univers », il veut certainement évoquer le Verbe en tant qu’il profère le Fiat Lux ordonnateur. Dans les Aperçus sur l’initiation (1946), il évoque ainsi le « point central où a été proféré le Fiat Lux initial. »

 

Toutefois, l’expression de « Verbe manifesté » comporte une relative ambiguïté et pourrait aussi donner lieu aux considérations suivantes. En effet, elle suggère qu’il s’agit là d’une réalité transcendante mais néanmoins manifestée, alors que l’expression « Verbe éternel », que Guénon évoque dans le même passage, suggère en revanche une réalité principielle, laquelle transcende la manifestation. Or, dans ce cas, il n’y a pas seulement deux aspects du Christ (Christ comme Verbe éternel et Christ comme Incarnation), mais trois aspects (Verbe divin – Verbe manifesté – Incarnation) qui correspondraient pour les deux premiers à la distinction opérée par Guénon en parlant de la tradition hindoue : le Principe (correspondant au Verbe éternel), le Manu ou l’Intelligence cosmique (correspondant au « Verbe manifesté »), la loi énoncée par Manu (la tradition primordiale). Dans son article « Le Verbe et le Symbole », Guénon n’évoque que le Verbe divin ou Intellect divin, auteur de la Création comme de la Révélation primordiale. Il condense ainsi en une seule notion (Verbe) ce qu’il avait différencié en Brahma et en Manu dans L’Homme et son devenir selon le Vêdânta. C’est dans son livre suivant, Le Roi du monde, qu’il va faire de Melchisédech ou Melkitsédeq le symbole occidental correspondant à Manu. Par là même, il semble qu’il ait voulu inscrire plus précisément la tradition judéo-chrétienne dans un « schéma ternaire » : Principe – Manu – Tradition primordiale.

 

Dans Le Roi du monde, publié au début de 1927, Guénon fait apparaître, pour la première fois de façon développée et explicite depuis ses articles de La Gnose, l’universalité d’une direction transcendante du monde. Il évoque ainsi les différents noms reçus par le Centre ou le Coeur du monde, « lieu » de la tradition primordiale : Agarttha, Pardès, Paradis, Terre pure Tula. Il revient aussi sur la question de Manu en montrant que ce Législateur est une notion universelle présente dans toutes les traditions. Manu est le principe conservant la tradition sacrée par laquelle la Sagesse primordiale se communique à travers les âges. Il est le Roi du monde, à la fonction régulatrice et ordonnatrice. Guénon identifie le Roi du monde à Melchisédech, reprenant, en lui donnant un développement plus net, une idée déjà présente dans la Mission des Juifs de Saint-Yves d’Alveydre. Melchisédech réunit en une seule figure les trois fonctions (Prophète, Prêtre, Roi) représentées par les Rois Mages (RM, 52). Guénon cite l’Epître aux Hébreux qui commente la rencontre d’Abraham et de Melchisédech dans la Genèse (XIV, 19-20). Saint Paul écrit que Melchisédech est semblable au Fils de Dieu. Guénon en conclut que Melchisédech est, pour notre monde, « l’expression et l’image même du Verbe divin »

 

Reflet du Principe universel au Centre du cosmos, la Tradition primordiale est l’unité essentielle et atemporelle de toutes les traditions manifestées au cours de notre cycle historique. Cette tradition primordiale s’inscrit dans une conception cosmologique et métaphysique que Guénon a notamment exposée dans L’homme et son devenir selon le Vêdânta (1925), Le symbolisme de la croix (1931) et Les états multiples de l’être (1932). Les sources de cette conception sont anciennes : cinq articles repris presque entièrement dans le Symbolisme de la croix avaient été publiés dans La Gnose de février à juin 1911 et trois articles de La Gnose (septembre à décembre 1911) offraient un résumé des futurs développements de L’homme et son devenir selon le Vêdânta (« La Constitution de l’être humain et son évolution posthume selon le Védânta »). Par ailleurs, écrit Marie-France James, une longue lettre de Guénon à Noële Maurice-Denis du 12 août 1917 traite « les grands thèmes de sa doctrine métaphysique des "états multiples de l’être" ». Enfin, comme en témoignent des procès-verbaux cités par Jean-Pierre Laurant, les conférences de « l’Ordre du Temple rénové » (1908) signalent déjà plusieurs thèmes que Guénon reprendra plus tard : on y trouve notamment mentionnés les futurs titres du « Symbolisme de la Croix » et des « États multiples de l’Être ». Ces oeuvres portent la marque de l’influence de Matgioi, mais transformée et intégrée à un langage plus précis (Guénon reprochait au style de Matgioi « un défaut de précision », employant largement le symbolisme mathématique et géométrique et se servant principalement d’une base doctrinale hindoue. L’originalité de Guénon sera de concevoir la Tradition primordiale au sein d’une vision géométrique rigoureuse de la réalité métaphysique et de la manifestation universelle, échappant au flou conceptuel et langagier fréquent dans l’occultisme et suggérant ainsi une vérité cristalline, qu’il voulait impersonnelle et anhistorique.

 

D’après des indications éparses dans l’oeuvre guénonienne, il est possible de résumer ainsi les principaux aspects de la tradition primordiale.

 

• L’UNITÉ ET LA SYNTHÈSE. – La tradition primordiale est Une,  comme la Vérité, si bien qu’elle est le « "monothéisme" le plus transcendant et le plus absolu ». Toutes les traditions régulières étant issues de la tradition primordiale, il en résulte ainsi une unité fondamentale de toutes ces traditions, une unité doctrinale essentielle La métaphysique pure est universelle, ni orientale ni occidentale, même si, dans les temps actuels, elle est effective en Orient, mais perdue en Occident

 

• LA COMPLEXITÉ. – La tradition primordiale n’est pas simple : elle comprend tout ce qui a été manifesté par les formes traditionnelles, « avec quelque chose de plus encore ». Le centre suprême conserve à l’état latent, jusqu’à la fin du cycle actuel, toutes les formes traditionnelles qui ont cessé de se manifester. Autrement dit, la tradition primordiale est le principe commun des traditions passées ou présentes du cycle historique actuel : elle les contient et les synthétise toutes, tout en étant qualitativement plus qu’elles.

 

L’INTEMPORALITÉ. – Alors que des traditions peuvent disparaître, la tradition primordiale est la seule qui demeure du début à la fin de notre cycle. D’autre part, l’origine des doctrines métaphysiques est hors du temps et non-humaine, puisque la Tradition primordiale est au-delà de l’humanité et remonte aux origines du cycle lui-même : ces doctrines ne sont pas apparues à un moment donné dans l’histoire de l’humanité, car la vérité est éternelle et n’est pas affectée par ses manifestations multiples. L’origine non-humaine des traditions les distingue radicalement de la coutume qui, elle, est humaine. Toutefois, la Tradition primordiale ne s’identifie pas à l’Éternité, que Guénon réserve au Principe divin. Dans un article de 1949 sur le « Sanâtana Dharma », il écrit que la Tradition primordiale est pérenne et non éternelle : elle dure la durée d’un cycle ou Manvantara. Il précise : « Enfin, il doit être bien entendu que cette perpétuité, avec la stabilité qu’elle implique nécessairement, si elle ne doit aucunement être confondue avec l’éternité et n’a même avec elle aucune commune mesure, est cependant comme un reflet, dans les conditions de notre monde, de l’éternité et de l’immutabilité qui appartiennent aux principes mêmes dont le Sanâtana Dharma est l’expression par rapport à celui-ci. » Ailleurs, il écrit que pendant le cataclysme qui sépare chaque cycle, le Véda (qu’il relie à la tradition primordiale) est sauvegardé afin qu’il puisse se manifester au début du cycle suivant. En d’autres termes, la Tradition primordiale est un reflet cosmique, et donc conditionné, de l’Éternité, en sorte qu’elle est intemporelle et immuable sans être éternelle comme le Principe dont elle est issue.

 

LA TRANSCENDANCE. – Guénon écrit que le paradis terrestre, qui n’est autre que la tradition primordiale, est effectivement une partie du « cosmos », bien que sa position soit virtuellement supra-cosmique : il « représente le "sommet de l’être contingent" ». Le centre, écrit-il ailleurs à propos du centre spirituel suprême et des centres secondaires qui le reflètent, a un caractère principiel et peut être appelé « le lieu de la non-manifestation ». Dans un article de 1939 : « Il importe de remarquer que, quoique le Paradis terrestre soit encore effectivement une partie du "cosmos", sa position est virtuellement "supra-cosmique" ». En d’autres termes, le paradis terrestre, lieu de la tradition primordiale, est à l’intérieur du cosmos, tout en le transcendant par sa nature principielle, puisqu’il est une réflexion cosmique du Verbe divin. Autrement dit, le paradis terrestre ou le Centre du monde ou la tradition primordiale est un reflet du Principe dans le cosmos : il est au centre intemporel du monde, mais il est néanmoins à l’intérieur du cosmos qu’il transcende par sa qualité principielle. Guénon précise ailleurs que l’on peut envisager le centre sous deux aspects : soit dans un sens relatif : c’est le paradis terrestre, centre de l’état humain, faisant encore partie du cosmos ou de la manifestation ; soit dans un sens plus universel : c’est le paradis de l’Essence, centre de l’être total affranchi du cosmos.

 

Guénon insiste ainsi sur le fait que la tradition primordiale ou son énonciateur et représentant (Manu, Roi du monde, etc.) sont des reflets du Verbe divin. Dans un chapitre des Aperçus sur l’initiation, repris d’un texte de Regnabit, il écrit à propos du symbolisme que son origine « est dans l’oeuvre même du Verbe divin : elle est tout d’abord dans la manifestation universelle elle-même, et elle est ensuite, plus spécialement par rapport à l’humanité, dans la Tradition primordiale qui est bien, elle aussi, "révélation" du Verbe ». Dans Le Roi du monde, il note que le Manu hindou n’est pas un personnage, mais « l’Intelligence cosmique qui réfléchit la Lumière spirituelle pure et formule la Loi (Dharma) propre aux conditions de notre monde ou de notre cycle d’existence ». Plus loin dans le même livre, il précise : « une des significations contenues dans ce nom de Manu indique précisément la réflexion de la Lumière divine. ». Il ajoute quelques lignes plus loin que Manu est issu « de Swayambhû, "Celui qui subsiste par soi-même", ou le Logos éternel ».

 

De fait, la tradition primordiale de Guénon ne possède ni l’éternité, ni l’universalité, ni la perfection du Verbe divin, puisqu’elle se présente comme son reflet conditionné, pérenne, relatif et « cosmique ». Toutefois, il affirme également que la tradition primordiale et le Manu qui l’énonce s’identifient en dernière analyse avec leur Source principielle. Dans L’homme et son devenir selon le Vêdânta (1925), il écrit ainsi que Manu « ne doit aucunement être regardé comme un personnage ni comme un "mythe" (du moins au sens vulgaire de ce mot), mais bien comme un principe, qui est proprement l’Intelligence cosmique, image réfléchie de Brahma (et en réalité une avec Lui), s’exprimant comme le Législateur primordial et universel. ». Quant à Brahma, on peut lire dans le même livre qu’il est « le Principe suprême ». Guénon distingue Brahma d’Ishwara qui est, selon lui, la « Personnalité Divine » : Ishwara « n’est qu’une détermination en tant que principe de la manifestation universelle et par rapport à celle-ci. ». Il ajoute à propos d’Ishwara : « c’est la plus haute des relativités, la première de toutes les déterminations, mais il n’en est pas moins vrai qu’il est "qualifié" (saguna), et "conçu distinctivement" (savishêsha), tandis que Brahma est " non-qualifié" (nirguna), "au-delà de toute distinction" (nirvishêsha), absolument inconditionné » Autrement dit, Manu est à la fois distinct du Principe divin et un avec lui. Par conséquent, la Tradition primordiale, tout en étant un reflet conditionné de l’Unité suprême, ne fait essentiellement qu’un avec elle.

 

renÉ guÉnon et les 7 tours du diable

Jean-Marc ALLEMAND

Edition Trédaniel

 1990

L’auteur étudie avec minutie les 7 tours du Diable qui selon René Guénon sont les centres de projection des influences sataniques à travers le monde.

 

7 centres sont répertoriés qui vont du centre de l’Afrique à la Sibérie.

 

Très bon ouvrage en relation avec les mythes Saturne et la chute les géants et les dieux et le règne de l’Age de fer avec le rapport avec Mars le fer planète impulsive, de guerre non de paix dans son côté négatif ayant un rapport directe avec la précipitation, l’impatience en définitif de la chute qui est le monde d’aujourd'hui l’Age de toutes les fraudes psychiques comme la science la psychanalyse les divers dieux polythéistes la matérialités le progrès et la technologie autant de divers cause qui serait le trouble pour toute libération possible.

 

 

Dans cet ouvrage nous voilà replongé a nouveau dans la religion monothéiste (un seul Dieu ) a l’image du soleil en astrologie représenté par le symbole avec un cercle qui en son centre a un point, c’est à dire le dieux unique, le centre parfait où il n’y a nulle question à se poser car le mental et ses concepts n’intervienne plus dans cette état là où il y a le véritable cœur de toute chose le centre de la supra conscience au-delà de l’infini et du fini de toute manifestation ou il n’y a plus ni alpha ni oméga mais l’éternel présent englobent à la fois le les commencement de la fin d’un ou des temps bon livre qui respecte fidèlement la tradition ce qui fait encore une fois hommage à un homme d’une grande valeur René Guénon.

 

Et merci à Jean-Marc Allemand pour ses remarquable description sur les Sept Tours du Diable mais surtout ne pas oublier, afin de ne pas tomber dans de maintes culpabilités que le pécheur fait le plus grand saint nous revoilà replongé dans la descente au enfer qui nécessairement nous fait remonté de la terre au ciel très bon ouvrage en relation avec les mythes de Saturne et la chute les géants et les dieux et le règne de l’Age de fer avec le rapport avec Mars le fer, planète impulsive, de guerre non de paix dans son côté négatif ayant un rapport directe avec la précipitation.

 

RENÉ GUÉNON  -  LA DERNIÈRE CHANCE DE L’OCCIDENT

Jean Robin 

Edition  Trédaniel

 1983

A l’approche des plus terribles échéances que l’Occident ait eu à affronter, l’œuvre de René Guénon revêt une importance vitale. Ce n’est certes pas par hasard que le général de Gaulle avait désigné le grand métaphysicien comme un maître spirituel, à ses « compagnons secrets ».

 

En dépit de toutes les incompréhensions, la voie qu’il a tracée, explicitement ou implicitement, s’impose comme la dernière chance de réaliser l’indispensable « jonction des extrêmes », et de consacrer, enfin, l’union du spirituel et du temporel, même dans une perspective eschatologique.

 

Jean Robin, en s’appuyant sur l’œuvre et sur la correspondance inédite, dévoile dans cet ouvrage le message le plus secret de René Guénon, « ce grand Français », qui est aussi un auteur authentiquement « révolutionnaire ». L’histoire contemporaine, vue de la coulisse, révèle son véritable sens, et les forces qui s’affrontent sous nos yeux, s’investissent d’une dimension archétypale.

 

Lorsqu’on a lu tout ou partie de l’œuvre de Guénon, et que l’on croit avoir compris, on peut se poser la question, et maintenant que faire ? Alors il faut peut-être méditer ces paroles de Ramana Maharishi qui invitent au seul voyage qui ne soit pas dispersion et futilité « Vous ne serez satisfait que lorsque vous aurez atteint la Source, jusque-là vous n’aurez aucun repos »

 

Alors mettons-nous en route, faisons ce pèlerinage aux innombrables étapes, par-delà le temps et l’espace. C’est une périlleuse navigation, comme celle des Argonautes, mais la Toison d’Or est au bout, cette Pax Profunda qui était aussi le but des petites Mystères antiques. Ce Pérégrin qui traverse le Tarot, nous fait sentir les nombreuses difficultés de cette recherche et de ce voyage, on connaît le but, mais nous devons apprendre quels sont nos ennemis et nos amis, quel est l’ennemi à combattre, mais aussi quelles armes avons-nous à notre service.

 

Mais ce grand voyage initiatique passe aussi par le centre de la croix, là « où se concilient et se résolvent toutes les oppositions ». André Breton qui admirait René Guénon disait : Tout porte à croire qu’au centre de la croix existe un point d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement ; or c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point ou centre (second manifeste du surréalisme).

 

Au sommaire de cet ouvrage :

Le Gallicanisme et la mission de la France     -      De Mélusine  aux Rois Mages    -    Les faux prophètes de la Guerre Sainte       -        Les 7 tours du diable      -       Peuple et prolétariat      -     la pyramide tronquée ou la mission de Benjamin Franklin       -    Gengis Khan et les chapeaux-cachettes        -        Les reniements de  Pierre    -  L’imposture du Pentecôtisme      -          Le Géant et la Louve      -       Le Messie menteur, au pays de l’Antéchrist        -      La nouvelle Jérusalem        -        Les noces de l’agneau et la Réalisation ultime

 

RENÉ GUÉNON - L’APPEL DE LA SAGESSE PRIMORDIALE

Sous la direction de Philippe Faure

Edition du Cerf

 2015

Figure difficilement classable de l’histoire intellectuelle du XXe siècle, le métaphysicien français René Guénon (1886-1951) s’est consacré à l’exploration des doctrines traditionnelles et de leurs expressions symboliques, en cherchant à mettre en lumière leur unité et leur sens profonds, il nous a laissé ainsi un patrimoine intellectuel magnifique.

Dans le contexte actuel de mutation du monde et de rencontre des religions, son oeuvre apparaît à bien des égards comme pionnière et mérite d’être revisitée dans une perspective historique. Réunissant une vingtaine d’études pluridisciplinaires, cet ouvrage entend situer l’auteur dans son contexte intellectuel et spirituel, analyser son approche des grandes traditions vivantes, l’hindouisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam, explorer la réception de l’oeuvre dans certains milieux et les perspectives ou les débats qu’elle a pu contribuer à nourrir dans plusieurs domaines.

De la diversité des points de vue et des sujets traités se dégagent une vision et une évaluation renouvelées de l’une des œuvres les plus influentes du XXe siècle, longtemps négligée par la recherche universitaire mais qui est en train d’être revisitée et redécouverte par les jeunes générations en recherche de spiritualité.

Un magnifique ouvrage de référence, livre de 530 pages qui fait le tour de l’oeuvre de Guénon et donne la parole a ceux qui l’ont connu et à ceux qui connaissent et apprécient son oeuvre.

Au sommaire de cet ouvrage :

Philippe Faure, introduction

Xavier Accart, La réception de l’œuvre de René Guénon par les milieux littéraires et intellectuels de son temps. Les phases de la réception et le rôle des générations - l’écart entre une représentation politique tardivement forgée et la réalité de l’influence -

P. Laude, Sources traditionnelles et contextes contemporains.

J.-P. Laurant, La correspondance Guénon/Coomaraswamy ou l’échange de bons procédés. – Un historien de l’art hors du commun - Guénon enseigné, Guénon enseignant - Une doctrine et une dimension personnelle - Léopold Ziegler avec André Préau, leurs diverses correspondances ainsi que celle de Ziegler avec Guénon en 1932 -

M. Korger, L’image de René Guénon dans les écrits de Léopold Ziegler et André Préau.

J. Moncelon, René Guénon et Louis Massignon. Les appels de l’Orient.

J.-L. Gabin, René Guénon et Alain Daniélou : un témoin et sa parodie. Recueil de la correspondance entre Guénon et Alain Daniélou - démarcage de Guénon avec Alain Daniélou -

J.-M. Vivenza, René Guénon et la connaissance métaphysique - L’intuition métaphysique - la tradition hindoue est-elle de nature métaphysique en son essence ? - Universalité métaphysique et acosmisme philosophique -

J. Borella, René Guénon et « l’erreur » philosophique. La philosophie repoussoir de la métaphysique - la philosophie d’Aristote, seule métaphysique d’Occident - Descartes et son système -

Ph. Faure, René Guénon et la Bible : la voie des symboles. Une approche par les symboles des sciences traditionnelles - Discours sur le Verbe-Principe et ses manifestations - Une exégèse universaliste et eschatologique -

P. Fenton, René Guénon et le judaïsme - La tradition hébraïque - le sionisme - Guénon et les juifs - les juifs et Guénon - Guénon en Egypte et le milieu judéo-francophone - guénoniens et guénonisants juifs - Guénon et l’école d’Orsay - lettres à Hillel -

J.-P. BrachChristianisme et « Tradition primordiale » dans les articles de René Guénon pour la revue catholique Regnabit. 1925-1927 - Théologie du Sacré Cœur - les ambigüités d’une collaboration - Orient et Occident -

P. Urizzi, Présence du soufisme dans l’œuvre de René Guénon - le rattachement de Guénon au soufisme - Présence de la doctrine d’Ibn Arabi dans l’oeuvre de Guénon - des expressions soufies -

Patrick Ringgenberg, Tradition primordiale et universalisme selon Frithjof Schuon et le pérennialisme - la Pistis Perennis - la Tradition Primordiale chez Guénon - la réinterprétation de Schuon -

J. Rousse-Lacordaire - Pensée traditionnelle et théologie chrétienne des religions - Théologie - religion - Christologie du Verbe -

L. Nefontaine, Haine et/ou vénération ? Ambivalence de l’image de René Guénon dans la franc-maçonnerie d’aujourd’hui. Du guénonisme à la guénolatrie - guénophobie -

S. Hossein Nasr, L’influence de René Guénon dans le monde islamique. Egypte et Maghreb - Iran - Turquie - Pakistan - le cas de la Bosnie -

B. Pinchard, Le symbolisme spatial de René Guénon et sa mathématique.

E. Phalippou, l’ethnologie de l’intérieur : une discipline « semi-profane » ? Entre européocentrisme et connaissance de l’autre - des précurseurs de l’ethnologie cognitive - la convergence entre René Guénon et Arthur-Maurice Hocart - Guénon et Théodore Monod -

J. Viret - Musique et Tradition. La perspective traditionnelle en musicologie -

 

RenÉ GUÉNON Le philosophe invisible

J.Luc MAXENCE

Edition Presse de la Renaissance

 2001

Cet ouvrage très complet explique simplement la pensée de René Guénon, pensée qui appartient au patrimoine des cherchant et des chercheurs. À l'instar de Krishnamurti, de Lanza Del Vasto ou de Teilhard de Chardin, René Guénon est une des figures les plus originales (et dérangeantes) de la spiritualité contemporaine. Né en 1886 (l'année de la conversion de Claudel), mort en 1951 au Caire, René Guénon est élevé dans la tradition catholique. La rencontre de l'occultiste Papus et de la franc-maçonnerie, l'étude des traditions soufi et hindouiste vont le faire évoluer vers une recherche de la tradition spirituelle fondamentale.

 

Par ailleurs, sa conscience aiguë de la crise de l'âme contemporaine l'amène à instruire le procès de l'univers technologique et des dérives matérialistes qui mènent le monde à sa ruine. À cette course à l'abîme, Guénon oppose une reconsidération épurée des grands mythes et des traditions spirituelles les plus diverses. De cette vie confondue avec une terrible quête du sens, Jean-Luc Maxence donne une analyse claire et profonde, allant à l'essentiel.

 

 Le lecteur y croisera Maurras et Bachelard, Maritain et Daumal, Henry Corbin et Rudolf Steiner, sera initié au mythe de l'Agarttha et accompagnera Guénon en Égypte où, devenu le cheik Abd-el-Wahed-Yahia, il n'est plus qu'un être de prière et de contemplation

 

Voilà ce que dit Borella sur Guenon et le livre de Maxence : Pas facile d’être juste avec Guénon. L’œuvre semble exiger une adhésion totale tant son unité est forte. On l’accepte en bloc ou on la rejette de même. Autant que personne, je suis sensible à la maîtrise qui règne dans les moindres lignes de ce penseur hors du commun : unité du style qui ne fait que refléter l’unité de la doctrine et qui tranche sur la majeure partie des productions intellectuelles du XXe siècle.

 

Ces traits objectifs marquent l’œuvre d’une manière si nette et si accusée que nul ne peut les contester et qu’elle est par là assurée de sa durée. De cette œuvre, et quelles que soient par ailleurs les divergences d’idées, on ne peut nier l’importance ni la grandeur. Et nul doute que l’une et l’autre iront en s’affirmant, comme le montrent les cinquante années qui se sont écoulées depuis la mort de son auteur.

Cependant, en devenant en quelque sorte plus classique, plus universellement reconnue. Il n’est pas certain que l’œuvre ne perde de sa singularité, voire de son sens.

 

Destinée primitivement à restaurer l’intellectualité sacrée, l’ésotérisme véritable, à rouvrir le chemin des doctrines orientales, et à favoriser la formation d’une élite occidentale en vue des événements annoncés de la fin du cycle, l’œuvre de Guénon, désormais inscrite au tableau culturel du monde moderne, court le risque d’une reconnaissance académique : elle se trouvera rangée, à côté d’autres gloires aussi indiscutables, mais comme elles, neutralisée, cataloguée, dictionnarisée, ensevelie sous les rubriques aseptisées de l’information régnante. On parlait autrefois, à son propos, d’une conspiration du silence ; on parle encore aujourd’hui, dans un livre au demeurant de bon aloi, du « philosophe invisible ».

 

On évoque la présence incontestable d’une œuvre qui a effectivement exercé un magistère « secret » sur beaucoup d’auteurs célèbres ; et l’on ne manque pas de citer André Gide, lequel, à mon avis, avait poussé l’art de se moquer du monde au-delà des limites ordinaires de la comédie littéraire : les guénoniens qui se félicitent de ce témoignage ambigu seraient-ils aussi naïfs que le reste des profanes ? Et n’oublions pas qu’il y a également des conspirations du bruit ; le vacarme n’est pas moins assourdissant que le silence n’est étouffant, ou plutôt, il est davantage mortifère. Certes, s’agissant de Guénon, nous n’en sommes pas encore là, Dieu merci. Mais ne nous imaginons pas que le « zapping culturel » de notre époque soit en mesure d’accorder plus qu’une attention distraite à un auteur dont l’originalité, voire la marginalité, flatte notre goût pour les curiosités intellectuelles, en attendant autre chose.

 

renÉ guÉnon – les dossiers h

 Divers auteurs

Edition L’âge d’Homme-Suisse

 1984

Livre très important de 320 pages avec des articles sur R. GUENON par TOURNIAC, Gérard de SORVAL, J. BORELLA, M.M. DAVY, André GIDE etc. Correspondance importante de René  Guénon chronologie et bibliographie.

 

« Dans le monde moderne où les voies de la transmission normale de la connaissance ésotérique sont fermées pour la plupart, les livres jouent un rôle très différent de celui qu'ils jouaient dans des circonstances normales, de sorte que certains enseignements jusque-là préservés sous forme orale se mirent à circuler sous forme écrite, constituant ainsi véhicules d'enseignement et de guidance pour ceux qui se trouvent privés de tous les autres moyens. Cette manifestation compense la disparition des voies traditionnelles de transmission de la connaissance, au moins dans son aspect théorique, sans que cela implique que cette situation elle-même puisse entraîner la manifestation de l'intégralité de la connaissance traditionnelle dans les livres sous une forme facilement accessible à tous. » 

 

Dans le Dossier H consacré à Guénon, Daniélou aborde la question de l'accès à l'intégralité du Sanâtana Dharma, à propos du Védisme. Le Védisme, précise Daniélou, est « censé représenter la tradition primordiale d'un point de vue, disons, officiel. Mais, du point de vue ésotérique, il apparaît comme une religion qui en est devenue, à un certain moment, le véhicule ». Daniélou s'étonne que Guénon n'ait pas eu accès au Shivaïsme, car les plus hauts degrés de l'initiation ésotérique, transmis « presque exclusivement par les Sannyasis, sont shivaïtes. Ils sont en dehors du Brahmanisme, comme d'ailleurs de toute religion, et représentent en fait ce que Guénon appelle la Tradition primordiale ». Mais Daniélou considère que l'Introduction aux doctrines hindoues est le premier ouvrage à avoir tracé un tableau authentique du Sanâtana Dharma, « cette conception d'une révélation première transmise à travers les âges par des initiés, telle qu'elle apparaît dans l'hindouisme mais dont les traces doivent inévitablement se retrouver, sous une forme plus ou moins cachée, dans toutes les civilisations puisqu'elles sont la raison d'être de l'homme ». Comme souvent avec Daniélou, tout est dit en très peu de lignes ; notamment le fait que cette révélation première affleure dans toute société humaine, mais que sa signification intégrale n'est transmise que par des voies initiatiques, lesquelles ne sont pas faciles d'accès, ne sont pas destinées à tout le monde et, pour commencer, ne sont pas présentes partout.

 

Afin d'éviter autant que se peut toute méprise, Daniélou reprend, dans le même texte, la question de l'origine transcendante, supra-humaine dirait Guénon, du Sanâtana Dharma :« La première révélation de ce que l'homme doit connaître des lois qui régissent l'Univers et des destinées des êtres vivants a été donnée à des Rishis (Voyants), des sages des premiers âges. Leur enseignement a été ensuite transmis par des initiés, des hommes jugés dignes d'assurer la continuité de cette fonction essentielle, à travers toutes les mutations, les alternances de décadence et de progrès, les changements de religion, de langue, de société. Ceci n'exclut pas que des révélations ultérieures viennent parfois rafraîchir la mémoire des représentants de la Tradition ».

 

Accord total, aussi, sur ce que Guénon nomme, dans Le Règne de la Quantité, la pseudo-initiation et la contre-initiation. Daniélou écrit, toujours dans ce témoignage du Dossier H : « Guénon, qui avait pris contact avec les diverses organisations initiatiques, les Rose-Croix, les Francs-maçons, les Théosophes, etc., en avait aussitôt avec justesse décelé les artifices. Certains de ces ouvrages, tels que Le Théosophisme, histoire d'une pseudo-religion, et L'Erreur spirite en sont une condamnation très bien documentée ». Daniélou ne cite pas Le Règne de la Quantité qui me semble, personnellement, un ouvrage de tout premier plan pour la quête du Sanâtana Dharma, du moins pour nous aujourd'hui, en Europe, qui cherchons à travers les livres et n'avons pas bénéficié d'un enseignement régulier dans une instance traditionnelle, comme ce fut le cas pour les 2 auteurs dont nous parlons. Le Règne de la Quantité consacre plusieurs chapitres aux organisations syncrétiques et aux sectes, permettant de mieux identifier les culs-de-sac et les pièges de l'entreprise anti-traditionnelle multiforme qui marque la dernière période du Kali Yuga.

 

Un vrai trousseau de clefs pour aujourd'hui que Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, d'autant plus stupéfiant qu'il fut publié pour la première fois en 1946. Je me contenterai d'une brève citation, en rapport avec ce que disait Coomaraswamy tout à l'heure des chemins où se sont perdus tant d'artistes et de “poètes maudits”, ces martyrs météoriques de la modernité : « Certains recherchent avant tout de prétendus “pouvoirs”, c'est à dire, en somme, sous une forme ou une autre, la production de phénomènes plus ou moins extraordinaires (..). Bien entendu, il ne s'agit aucunement ici de nier la réalité des “phénomènes” (..) ils ne sont même que trop réels, pourrions-nous dire, et ils n'en sont que plus dangereux (..). En général, l’être qui s'attache à ces choses devient ensuite incapable de s'en affranchir et d'aller au-delà, et il est irrémédiablement dévié (...). Il peut y avoir là une sorte de développement “à rebours” qui (...) éloigne toujours davantage de la réalisation spirituelle jusqu'à ce que l'être soit définitivement égaré dans ces prolongements inférieurs (…) par lesquels il ne peut qu'entrer en contact avec “l'infra-humain” ».

 

Il y a ainsi dans Le Règne de la Quantité des mises en garde nombreuses et détaillées contre l'action des organisations pseudo-traditionnelles, qui d'ailleurs se haïssent entre elles avec une virulence que Guénon compare aux haines qu'on observe entre des chapelles politiques rivales. J'emploie d'ailleurs à dessein l'expression “chapelle politique”, parce qu'à mes yeux, j'y reviendrai dans un instant, la politique et “l'actualité”, si importantes dans la vie de nos contemporains, me semblent fonctionner comme de véritables substituts du religieux. Daniélou, lui aussi, met en garde expressément contre toutes les formes d'enrôlement, particulièrement contre les pièges dans lesquels tombent en Inde les Occidentaux trop crédules, « parfois attirés par des sectes prétendues initiatiques ou enrôlés par des aventuriers pseudo-mystiques, en particulier certains Indiens qui diffusent un Védanta très simplifié et exploitent leur crédulité ». Il faut remarquer qu'A. Daniélou a cru nécessaire de revenir sur ces questions à la fin de sa vie, lors de la réédition du Chemin du labyrinthe, comme si les illustrations terrifiantes contenues dans « Le Maître des Loups » et « Le bétail des dieux » ne suffisaient pas à dessiller nos yeux occidentaux, imbus de positivisme et du sentiment de supériorité que décerne si prodigalement l'enseignement massifié de nos Universités.

 

On pourra se reporter en particulier à ce que Daniélou écrit à propos de « Wolfgang », qui « confondit, comme beaucoup, la fumée du haschich et la spiritualité indienne » et se laissa entraîner par un de ces « ascètes hirsutes qui, par des pratiques liées au yoga, acquièrent d'étranges pouvoirs qui vont de la lévitation à l'hypnotisme, en passant par la vision à distance, l'insensibilité à la chaleur et au froid, l'envoûtement, l'asservissement de leurs victimes, etc. J'ai toujours eu très peur de ces êtres étranges dont le regard fulgurant fait aussitôt vaciller votre raison et votre volonté, et dont il vaut mieux s'éloigner sans délai ». On peut aussi faire son profit, dans ces ultimes pages d'A. Daniélou, des précisions qu'il apporte au sujet de prétendues activités politiques qu'il aurait eues en Inde, ou de sympathies politiques qui auraient été les siennes en Occident. On ne voit pas très bien pour quelle raison A. Daniélou, qui n'a jamais été effrayé d'assumer son anticonformisme, aurait dissimulé au soir de sa vie des appartenances ou des sympathies, dans une biographie qui est à mille lieues du nombrilisme mais dont la sincérité ne fait aucun doute. Contrairement à Julius Evola, mais proche encore sur ce terrain de Guénon, Daniélou s'est toujours tenu volontairement à l'écart de la politique.

Le dernier texte du Chemin du labyrinthe s'intitule symboliquement « le choix du libre arbitre » : « Dans la société orthodoxe où je vivais (pendant la seconde guerre mondiale, à Bénarès) s'affrontaient subtilement et se mêlaient une orthodoxie védique sympathisant avec les théories aryennes du nazisme et une tradition shivaïte profondément opposée aux aryens. Swami Karpâtrî, dont je suivais fidèlement les enseignements, avait créé un mouvement culturel, le Dharma Sangh (association pour la défense des valeurs morales et religieuses) afin d'opérer un retour aux valeurs de la culture et de la société traditionnelle. Il critiquait les idées socialistes représentées par le Congrès national de Gandhi et Nehru mais aussi les réformateurs pseudo-traditionnels comme Aurobindo ou Tagore, qui prétendaient revenir à une tradition idéalisée, mais étaient très imbus d'idées occidentales. Par ailleurs, Karpâtrî était très hostile aux idées du Rashtrya Svayam Sevak Sangh (association pour la défense des valeurs nationales) qui préconisait des méthodes inspirées du fascisme dans la lutte contre le Congrès et les idées modernistes (...). De par mon opposition à la domination anglaise et mon attachement à l'Inde, j'avais des rapports très proches avec les dirigeants du mouvement indépendantiste, avec Nehru et sa famille et aussi avec la célèbre poétesse Sarojini Naïdu, tous membres influents du Congrès (…). À aucun moment et en aucune façon je n'ai voulu me mêler des mouvements politiques, ni d'un côté ni de l'autre ».

Le chemin pour retrouver une sagesse oubliée n'est pas toujours facile à suivre, mais il est à présent bien tracé. « Dans le monde moderne où les voies de la transmission normale de la connaissance ésotérique sont fermées pour la plupart, les livres jouent un rôle très différent de celui qu'ils jouaient dans des circonstances normales, de sorte que certains enseignements jusque-là préservés sous forme orale se mirent à circuler sous forme écrite, constituant ainsi véhicules d'enseignement et de guidance pour ceux qui se trouvent privés de tous les autres moyens. Cette manifestation compense la disparition des voies traditionnelles de transmission de la connaissance, au moins dans son aspect théorique, sans que cela implique que cette situation elle-même puisse entraîner la manifestation de l'intégralité de la connaissance traditionnelle dans les livres sous une forme facilement accessible à tous

Pour l'approche intellectuelle de cette sagesse, les langues occidentales, requalifiées métaphysiquement, en quelque sorte, par tous ces auteurs extrêmement attentifs à la précision du vocabulaire, disposent à présent d'un grand nombre de textes fondamentaux, aisément accessibles. S'agissant du désir de “pratiques”, en revanche, on peut noter les mises en garde répétées de tous ces auteurs. On a oublié dans notre monde profane combien toutes les sociétés traditionnelles étaient attentives aux questions de purification, de qualification, aux instants favorables et défavorables, aux précautions pour neutraliser les forces dangereuses, grâce à des “techniques de pointe”, si l'on ose dire, dont l'origine et l'inspiration, analysées comme “primitives” par les ethnologues positivistes, sont toujours présentées comme “non-humaines”.

La recherche du savoir est toujours légitime, mais l'utilisation de ce savoir pour jouir d'un pouvoir est un obstacle, une disqualification dans cette sorte de jeu de l'oie qui consiste à retrouver patiemment le chemin du divin. Et quant à l'incorporation effective dans une tradition régulière, ce qui peut être également une aspiration légitime, les auteurs traditionnels sont encore unanimes : la première règle consiste à accepter de devenir ce que l'on est, accepter sa naissance hic et nunc, car si l'esprit souffle où il veut, on sait qu'invariablement, du point de vue initiatique, « c'est en réalité la voie qui choisit l'homme et non l'homme qui choisit la voie ».

Il semble qu'au fur et à mesure que le monde moderne descend plus bas dans l'inharmonie et l'empoisonnement de la planète, des lumières apparaissent, différentes comme sont différentes les voies. Les auteurs traditionnels du XXe siècle ont en commun des connaissances immenses et des clés pour l'interprétation des grands symboles qui soudain se répondent et correspondent dans une unité éclatante — et non plus ténébreuse comme chez Baudelaire. Ils ont en même temps des styles très différents et même des formulations qui pourraient sembler contradictoires : Nasr se réfère au Dieu de l'Islam et du Christianisme, alors que le mot “Dieu” est beaucoup moins prononcé dans l'œuvre de Guénon ; Coomaraswamy traduit “Deva” par “Anges”, alors que Daniélou, qui a consacré un ouvrage entier à la réhabilitation intellectuelle du polythéisme, parle évidemment de Vishnou et de Shiva comme d'autant de Dieux ou d'aspects du divin.

Ouvrage de référence.

 

renÉ guÉnon – les enjeux d’une lecture

Jean-Pierre laurAnt

Edition DERVY

2006

René Guénon, dont la destinée et l’œuvre sont singuliers – intellectuel catholique, il est mort musulman au Caire en 1951 –, s’est insurgé toute sa vie contre l’évolution de la civilisation occidentale. Considérant que celle-ci était pervertie par un mauvais usage de la raison, il a plaidé avec force et conviction pour un retour à la Tradition originelle, telle qu’on peut encore la voir « vivante » dans d’autres civilisations.

Entreprenant la recherche de la « parole perdue », fréquentant les cercles occultistes, spirites, maçonniques, se frottant aux maîtres des grandes religions traditionnelles, René Guénon développe une oeuvre visant à démontrer que le but de toute vie est de parvenir à la réalisation spirituelle, en se basant sur la « tradition primordiale ». Rejetant le « règne de la quantité », toute son oeuvre vise à retrouver, au-delà des formes « dégénérées » de l'initiation vulgaire, la source correspondant aux deux fins de la destinée individuelle : la perfection de l'état humain, la perfection de l'état divin. Cette voie exige une véritable réforme des repères mentaux de l'homme « moderne » : ne pas sombrer dans les séductions, les impostures religieuses et les parodies d'un ésotérisme vulgaire pour, par la connaissance gnostique, retrouver la doctrine métaphysique originelle de l'Occident.

 

Pour Guénon, le symbolisme a une importance fondamentale, sur laquelle il insiste dès son premier livre : le symbole est « la langue métaphysique par excellence » Il possède par ailleurs, ajoute-t-il, une efficacité réelle en tant que moyen de réalisation spirituelle : les rites, qui « ont un caractère éminemment symbolique », facilitent la réalisation métaphysique, « c’est-à-dire la transformation de cette connaissance virtuelle qu’est la simple théorie en une connaissance effective. »

 

Du symbolisme, Guénon va principalement évoquer trois aspects, pour lui indissociables. D’abord, et si l’on suit l’ordre chronologique d’apparition de ces thématiques dans son oeuvre, il souligne l’emploi des symboles dans l’enseignement initiatique et traditionnel. Ce thème est déjà présent dans une conférence publiée comme article en 1913 et consacrée à « L’enseignement initiatique » ; il apparaît ensuite régulièrement dans les textes des années 1920 pour connaître un développement particulier dès 1932, dans les articles qu’il consacre aux principes et aux méthodes de l’initiation. Ensuite, une métaphysique du symbole, qu’il esquisse dans des articles de Regnabit en 1925-1926 et à laquelle il va donner une dimension plus vaste en 1931 avec Le symbolisme de la croix, en exposant une théorie des degrés de la réalité universelle, fondement du symbolisme. Enfin, le comparatisme des symboles traditionnels, qui vise à montrer l’existence d’une tradition primordiale, source unique et non-humaine de tous les symboles traditionnels manifestés dans l’histoire.

 

Ce comparatisme apparaît de manière systématique dès 1925 avec L’ésotérisme de Dante et les articles de Regnabit, et se poursuit par la suite jusqu’aux derniers livres et articles. Dans l’oeuvre guénonienne, ces trois aspects de la question du symbolisme sont indissociables et elles commandent la logique interne de ses exposés : lorsque Guénon explicite tel symbole, c’est à la fois pour évoquer une doctrine métaphysique, suggérer la concordance des traditions et leur rattachement à la tradition primordiale, et donner au lecteur des clés intellectuelles susceptibles d’éveiller en lui une intelligence profonde des traditions. Nous allons à présent détailler ces trois aspects, en développant plus particulièrement le comparatisme des symboliques.

Pour Guénon, le symbolisme est inséparable d’une conception métaphysique. Dans l’addendum de son premier article pour Regnabit, il note que les significations multiples des symboles expriment « les applications d’un même principe à des ordres divers, selon une loi de correspondance sur laquelle se fonde l’harmonieuse multiplicité des sens qui sont inclus dans tout symbolisme. » Dans son article suivant, « Le Verbe et le Symbole » (janvier 1926), il entend apporter « quelques précisions complémentaires » sur la question du symbolisme. Il remarque d’abord que le symbole est particulièrement adapté aux exigences de la nature humaine, car c’est à partir de formes sensibles que l’homme peut accéder aux réalités supérieures Il reprend des idées déjà exprimées en écrivant que le symbole, avec ses sens multiples et son caractère synthétique, s’adresse à l’intuition intellectuelle. Puis, il évoque une métaphysique du symbolisme en affirmant que le symbole « a son fondement dans la nature même des êtres et des choses »

 

En effet, si le monde est l’effet de la Parole divine proférée à l’origine des temps, la nature entière peut être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. Tout ce qui est, sous quelque mode que ce soit, ayant son principe dans l’Intellect divin, traduit ou représente ce principe à sa manière et selon son ordre d’existence ; et, ainsi, d’un ordre à l’autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est comme un reflet de l’Unité divine elle-même


Il en résulte pour Guénon que l’inférieur symbolise le supérieur, et non l’inverse : « le sensible peut symboliser le suprasensible ; l’ordre naturel tout entier peut, à son tour, être un symbole de l’ordre divin ». Le principe du symbolisme repose selon lui sur la structure hiérarchisée de l’existence universelle : chaque degré d’existence symbolise le degré qui lui est supérieur selon une loi d’analogie. Le symbole, qu’il s’agisse de la nature, des symboles traditionnels ou même des faits historiques, comprend des significations superposées correspondant aux degrés superposés de l’existence universelle issue de l’Être. C’est ce que Guénon va particulièrement développer dans Le symbolisme de la croix en 1931, et notamment dans l’avant-propos qui condense en quelques pages une théorie métaphysique du signe


Les symboles traditionnels comme traces de la tradition primordiale : Presque simultanément avec les premières esquisses d’une métaphysique du symbole dans Regnabit, Guénon inaugure une série d’études, dans lesquelles il se propose de rendre compte de l’existence d’une tradition primordiale en montrant la concordance des symboles appartenant à des traditions différentes. Dans son premier article de Regnabit, « Le Sacré-Cœur et la Légende du Saint Graal » (août-septembre 1925), il étudie la symbolique du Graal et ses correspondances avec celle du vase sacré en Orient. En conclusion, il considère que les rapprochements qu’il vient d’établir tendent à montrer l’existence d’une tradition primordiale qui serait l’origine unique des symboles traditionnels

 

Dans L’ésotérisme de Dante, publié la même année, les similitudes qu’il relève entre le voyage céleste de Dante et les conceptions islamiques, persane et indiennes « ne montrent pas autre chose que l’unité de la doctrine qui est contenue dans toutes les traditions ». Dans le « Verbe et le Symbole » (Regnabit, janvier 1926), il fait le lien entre le principe métaphysique des symboles et les symboles traditionnels manifestés dans l’histoire. Il insiste sur l’origine non-humaine du symbolisme et sur le rattachement des symboles au Verbe, auteur de la Création comme de la Révélation primordiale. Le symbole, écrit-il, a son origine dans le Verbe divin et, par rapport à la présente humanité, dans la « Révélation primordiale », c’est-à-dire dans la tradition primordiale énoncée par le Verbe. Dans le cours de l’histoire, cette Révélation s’est incorporée « dans des symboles qui se sont transmis d’âge en âge depuis les origines de l’humanité » Toujours dans Regnabit, en mai 1926 (« L’idée du Centre dans les traditions antiques »), il évoque les symbolismes graphiques rattachés à l’idée de Centre, d’origine et d’unité primordiale : le point au centre d’un cercle, dont il fait l’image du Principe (le centre) et du Monde et le motif du swastika, qui exprime selon lui l’idée de giration autour d’un centre immuable Il souligne l’universalité de ces symboles, rencontrés un peu partout dans le monde et depuis des époques préhistoriques : preuve, pour lui, que ces signes se rattachent à la tradition primordiale et qu’ils expriment des vérités universelles propres à toutes les traditions


Depuis ces textes de 1925 jusqu’aux ultimes articles, ce sera un leitmotiv de l’oeuvre guénonienne : la concordance entre les symboles venant de traditions différentes prouverait leur origine unique, et par conséquent la réalité d’une tradition primordiale. Dans Autorité spirituelle et pouvoir temporel (1929), il écrit en note que la concordance de certaines traditions relatives aux pouvoirs spirituel et temporel « prouve à la fois la communauté d’origine, donc le rattachement à une tradition primordiale, et la rigoureuse fidélité de la transmission orale » Dans un article de 1932, il conclut des rapprochements symboliques qu’il vient d’effectuer qu’il « faudrait être aveugle pour ne pas voir, dans des faits de ce genre, une marque de l’unité foncière de toutes les doctrines traditionnelles » À la fin d’un article de juillet-août 1950, et après avoir établi des concordances de sens entre le swastika, la lettre G et l’Étoile polaire, il conclut que « tout cela appartient à un symbolisme qu’on peut dire vraiment "œcuménique" et qui indique par là même un lien assez direct avec la tradition primordiale »

 

renÉ guÉnon l’Éveilleur 1886 – 1951

 

Edition Dervy

 2002

Ce recueil d’études consacré à R. Guénon a fait appel à de nombreux philosophes et écrivains tels que F. Bonardel – J. Biès – J. Cantein – J. Borella – H. Montaigu et bien d’autres.

 

On y trouve les thèmes suivants : René Guénon et les modernes – Hiram et le Graal – Pourquoi je lis René Guénon etc…

 

Henri Montaigu : René Guénon ou la mise en demeure - Florilège - J-B Aymard : la naissance de la loge "La grande triade" dans la correspondance de René Guénon à Frithjof Schuon - Jean Biès : les solutions et leur bilan - Françoise Bonardel :

 

Guénon et les modernes - Jean Borella : Questions sur l'autorité de René Guénon - Jean Canteins : René Guénon et l'ésotérisme médiéval toscan - François Chenique : René Guénon, ma potion magique - J-C Dubois : René Guénon et la Chine : réflexion sur l'importance de l'orientation dans les sciences traditionnelles - Pierre Feuga : René Guénon et l'hindouisme - Patrick Geay : Hiram et le Graal - René Luong : l'écriture intellectuelle - Roger Parisot : l'alchimie et la pensée traditionnelle selon René Guénon - Jean Biès : la diffusion de la pensée traditionnelle dans la seconde moitié du XXème siècle.

 

RENÉ GUÉNONLE VISAGE DE L’ÉTERNITÉ

Erik Sablé

Edition Points 

 2013

Violemment critiqué ou célébré comme un maître, Guénon n’a pourtant jamais revendiqué une œuvre personnelle : il s’est présenté comme le témoin de la Tradition, ce noyau de vérité au cœur des diverses traditions et religions qu’on trouve évoqué par les grands spirituels, des kabbalistes aux soufis en passant par Maître Eckhart pu Shankara.

Sa passion de l "Eternité" s’est ainsi déployée comme un travail de transmission de cette Tradition, qu’il s’est attaché à définir et à présenter tout au long de ses livres. Les valeurs de la modernité, particulièrement la prépondérance de la raison, ont en effet dissous le lien avec elle, encore vivante, par exemple, dans certaines communautés tibétaines ou soufies.

L’essence de l’homme est spirituelle, et une société qui ne respecte pas cette essence s’égare, vidée de toute dimension sacrée, nous dit Guénon. Son œuvre ne peut que résonner avec le besoin de spiritualité de notre société asséchée par la technique et le rendement.

Pour qui a compris la spécificité de l’œuvre de René Guénon, son caractère hors norme, et qui se pose sérieusement la question de la Vérité, ce qui compte est sa conformité avec la Tradition.

Il ne s’agit donc pas de discuter l’œuvre de Guénon en la confrontant à des références qui appartiennent à notre patrimoine culturel, ni à l’étudier en fonction de la philosophie contemporaine et à la théologie chrétienne, non, cet ouvrage veut plutôt mettre en parallèle la parole de René Guénon avec la Tradition, telle qu’elle s’exprime à travers des maîtres spirituels et quelques textes sacrés fondamentaux, afin de voir dans quelle mesure elle parvient à la refléter et à la rendre compréhensible et évidente.

En même temps, cet ouvrage va tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir, ce qu’est cette Tradition dans sa réalité, sa plénitude, sa vérité universelle largement oubliée en Occident depuis la fin du Moyen-Âge et qui nous permet d’avoir un socle de réflexion.

Au sommaire de ce petit livre de 135 pages :

L’Infini - La connaissance - L’initiation - Les pièges de la voie - Les sociétés traditionnelles et la modernité - La Tradition Primordiale -

 

RENÉ GUÉNON.   L’HOMME ET SON  MESSAGE

DIVERS  AUTEURS

PLANETE PLUS

 1969

Il est des esprits qui bouleversent le cours de leur temps et la secouent la succession des idées sans que pour autant ils deviennent les étincelantes vedettes des engouements fugitifs.

René Guénon est de ceux-là. Humble et effacé, ayant mené une vie silencieuse, il semble passer lentement d’un clair-obscur à la nuit complète sans s’occuper beaucoup des figures de son époque et des recettes qui assurent la célébrité.

Ce solitaire amoureux éperdu des grandes perceptions spirituelles fut-il un philosophe ?
Assurément pas. IL contempla la philosophie et pu, chose insigne et légitime dans son cas, se permettre d’en sourire. Fut-il un orientaliste de talent, mais simplement un orientaliste quand même ; un de ceux qui ont l’Inde facile ?

Non point, il « aperçut » l’Orient, et s’y arrêta bien moins qu’on se plaît à dire. En fait, il le survola, mais le survola comme un aigle : en oiseau de proie qui plonge chaque fois qu’il découvre la victime qui assurera son alimentation.

De toute façon son propos couvrait trop de chose et dévoilait trop de richesse pour qu’il soit possible d’en faire l’homme d’une spécialité. Nul « dada » ne fut son domaine. La synthèse de l’homme et de l’univers seule le préoccupait réellement. Et, ayant peut-être découvert des arcanes de la grande mécanique céleste il put bientôt se moquer de nos agitations, de nos concepts sitôt remplacés par d’autres concepts tout aussi éphémères.

Son style est celui des rois et des mages (toujours il courtise le « nous »). Son pluriel est celui de la majesté incontestable. Guénon ne propose pas, ne suggère pas. Il affirme. Sa devise serait bien celle de quelque brahmane védique : « Connaître et imposer ».

Nul dogmatisme pour autant, mais l’assurance de celui qui revient d’un voyage étonnant. Un voyage pendant lequel il aurait été transporté sur une montagne d’où il aurait pu découvrir, de l’extérieur enfin, les choses et les astres pour, une fois revenu, pouvoir en rire délicieusement et assurer comme faits inexorables ce qui est gros encore dans le ventre de l’avenir. Car le chemin de Guénon passa par un sentier où l’instant dépasse le futur pour rejoindre le passé.

Ont participé à cet ouvrage : Jean Baylot, le Cardinal Danielou, René Abellio, Paul Serant, F. Schuon, J.C Frère, Jean During et Jean Filliozat

 

RENÉ  GUÉNON - MESSAGER DE LA TRADITION PRIMORDIALE ET TÉMOIN DU CHRIST UNIVERSEL

J. CHOPITEL et C. GOBRY

ÉDITION LE MERCURE DAUPHINOIS

 2010

L’œuvre de René Guénon démontre l’identité profonde des grandes traditions spirituelles, toutes issues de la Tradition Primordiale, toutes révélées pour que l’homme retrouve le chemin de sa divinité.

 

Elle présente la dégénérescence du « monde moderne » comme une conséquence directe de la chute de l’humanité dans l’inconscience spirituelle, caractérisée par sa perte du sens sacré et son abandon des principes et méthodes portés par ces différentes expressions traditionnelles.

 

Elle montre la nécessité en ces temps véritablement apocalyptiques, d’un réveil de conscience général, pour sortir du cercle vicieux des théories et pratiques matérialistes, et elle annonce l’imminence du retour du -Messie Universel- qui viendra réapprendre aux hommes les secrets de la réalisation en soi.

 

Sommaire de cet ouvrage :

 

René Guénon le métaphysicien et le monde moderne – la notion de Tradition – René  Guénon, le Christ et le christianisme- Esotérisme, exotérisme et mysticisme- la résurrection de Lazare- sacrements et rites initiatiques - le symbolisme de la Croix - le Roi du Monde - le Saint Graal - le cœur et le Sacré Cœur - Saint Bernard - l’ésotérisme de Dante  la grande triade - le christianisme dans « la crise du monde moderne » et dans « le règne de la quantité » - René Guénon et l’Eglise exotérique Catholique et Orthodoxe - Jean Danielou - Nicolas de Cusa - La Franc-maçonnerie - J. B. Willermoz - les Elus Coëns et le martinisme – Martinez de Pascually et L. C. de Saint Martin -  Joseph de Maistre – L’Eglise catholique et la gnose - le Messianisme – L’évangile de Jean – Saint Cassien-

 

RENÉ GUÉNON : ORIENS ET OCCIDENS

Commentaires de Mircea A. Tamas

Edition Rose-Cross Books

 2014

Avant- propos de Mircea A. Tamas :

« Imaginons : nous avons fait naufrage sur une île déserte, isolée et entourée d’eaux profondes, toujours sombres et agitées, une île où nous nous nourrissons de débris d’aliments empoisonnés, et bien que nous nous efforcions de trouver un moyen de nous en échapper, nous sommes incapables d’appréhender clairement notre situation et ce qui nous est arrivé. Appelons cette île Occidens.

Un jour, nous sommes surpris de découvrir, flottant près de la côte, un tonneau qui semble être poussé vers l’île par les vents d’est, un tonneau qui semble être aussi un coffre quand le soleil levant éclaire les eaux plus brillamment, un tonneau sur la surface duquel est gravé le mot Oriens. Or, chose surprenante, lorsque le tonneau atteint le rivage de notre île, il se révèle rempli de livres.

Supposons maintenant que le tonneau contienne les ouvrages de René Guénon et que pendant une période plus ou moins longue, nous, les naufragés, les ayons lus et ayons commencé à prendre conscience d’un Oriens si ineffable, si supérieur et si profond, qu’étudiant ces livres inlassablement, nous plongions de plus en plus profondément à l’intérieur du tonneau pour y rechercher de nouveaux écrits.

Bien entendu, un jour nous atteignons le fond du tonneau, un fond où ne se trouvent plus que quelques articles, quelques comptes rendus, des notes et des lettres de Guénon. Le temps passe et les gens se détournent du tonneau et, assez vite, le vent d’ouest commence à le recouvrir de sable et de poussière ».

Après avoir publié Fragments Doctrinaux, il nous restait des éléments qui n’avaient pas encore été utilisés, et qui, nous le pensions, méritaient d’être imprimés dans un nouveau et dernier volume. Nous ne savons que trop bien à quel point la détresse associée au fait de ne pas avoir d’autres livres de Guénon peut amener à publier tout et n’importe quoi : des cours de psychologie de sa période dans l’enseignement, des lettres concernant sa vie privée, des notes de jeunesse (qui n’étaient précieuses que pour Guénon), etc. Ce que nous avons à l’esprit est très différent.

Le premier chapitre du premier livre de René Guénon, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues (Marcel Rivière, 1921), est intitulé Orient et Occident ; quelques années plus tard, il publia un livre appelé aussi Orient et Occident (Paris, Payot, 1924) ; en accord avec sa pensée, le Recueil que nous avons publié a pour premier chapitre un article de Guénon intitulé Orient et Occident (publié dans la revue Le Radeau, janv. 1925). Nous pensons que, de nos jours, ce syntagme sera mieux exprimé par Oriens et Occidens, si l’on considère à quel point la mentalité moderne a remplacé l’esprit traditionnel marchant vers l’Orient ; de plus, à cause de ce même envahissement par la mentalité moderne, nous avons décidé de dédier ce livre aux écrits de René Guénon sur ce sujet, un sujet qu’il a choisi pour commencer son premier livre, un sujet qui fut maîtrisé et traité par Guénon à un niveau sans égal, si on le compare à tous les autres livres publiés à cette époque (défendant l’Occident ou l’Orient) tels ceux de Massis, de Spengler ou d’Evola (où l’on peut détecter de la confusion, sinon des erreurs pures et simples). L’Orient et Occident de René Guénon n’est pas « pour » ou « contre » quiconque ou quoi que ce soit ; il ne traite que de la vérité.

Le présent volume va essayer de mettre tout ceci en valeur en présentant l’ambiance de l’époque à laquelle Guénon a écrit son œuvre, une ambiance illustrée par des textes et des commentaires spécifiques, à commencer par la Défense de l’Occident et se terminant avec des commentaires de premier ordre sur son ouvrage Orient et Occident.

 

RENÉ GUÉNON OU LA MISE EN DEMEURE

Henry Montaigu

Edition La Place Royale 

 1986

L’ultime critique de la crise moderne a situé son grand oeuvre de paix métaphysique dans la perspective d’un combat contre les démons des néo-spiritualismes d’une part, et des menaces de dérives que la modernité fait subir aux formes traditionnelles, orthodoxes.

Il s’agit tout à la fois d’un déchiffrement en vue de trouver la transcendance et d’un déchiffrement des voies d’accès. Pour Guénon, le monde moderne est une ‘’déviation’’, reste à désencombrer la droite route, afin peut être, et s’il est possible encore, pour quelques- uns et pour tous, de la prendre à nouveau.

Henry Montaigu, en marge de cette oeuvre considérable dont il lui semble que tout reste à dire, s’interroge sur la suite à donner, et il n’est pas sans inquiétude devant certains abus et détournements opérés par la littérature post-guénonienne…

Dans cet ouvrage, Henry Montaigu développe 145 mots de Guénon, et donne sa version sur l’esprit guénonien. Par exemple ‘’Silence’’ : Faire silence pour Guénon, c’est ce qui est au bout de la musique comme la plus sublime des musiques ; au bout de la connaissance, c’est au silence que Guénon nous renvoie, à l’indicible réalité, auprès de quoi ‘’tout est rigoureusement nul’’ et non aux gloses et disputes de docteurs, car il est aussi venu pour fermer l’école.

L’humilité fondamentale de la démarche traditionnelle : Toutes ces choses faisant partie de la Tradition Primordiale et des sciences ésotériques qui entourent l’oeuvre de René Guénon ont générées autour de lui un rempart d’incompréhension et de haine. La modernité ne sort du mensonge que par l’accident du « j’ai trouvé tout seul, c’est mon invention, ma découverte, ma trouvaille. » Le scribe véritable doit perpétuellement redire avec son langage de vivant qui s’adresse à des oreilles vivantes. Sa fonction est de recréer ce qui est. Il n’ajoute que par nécessité extérieure de façon à n’altérer le dépôt que comme instrument de miséricorde. Mais quel que soit le moyen choisi et la condition des temps, tout ce qui importe est de redire.

Dans cet ouvrage, Henry Montaigu dit “L’Occident ne pouvait être dégénéré au point que Guénon l’a dit puisque Guénon justement était là pour le dire.
Guénon nous a permis, malgré la décadence actuelle de la liturgie et du symbolisme chrétien, de nous ressourcer aux sources fondamentales. Il a donc remis en valeur la tradition proprement métaphysique du christianisme, c’est-à-dire la tradition platonicienne et gnostique.
On peut dire que la scolastique chrétienne avait en germe tout le cartésianisme dans sa partie la moins défendable et tout l’humanisme moderne dans son rationalisme étroit et réducteur. On peut dire également que Guénon a fécondé l’œuvre de Pierre Gordon et de Fulcanelli. Qu’on me permette de dire en conclusion que René Guénon aura, dans la première moitié de notre siècle, joué le rôle d’un véritable Avatar eschatologique et sapientiel, et qu’il aura réveillé en profondeur la plupart des connaissances traditionnelles, les libérant par là même de l’occultisme, et permettant, par cet apport même, un retour en pleine clarté spirituelle vers les pratiques spirituelles.’’

Henry Montaigu est né à  Marmande (Lot et Garonne) en 1936 et mort  à Lavardac (Lot et Garonne) en 1992. il était un auteur et chroniqueur français. Il s'est fait connaître notamment par la publication de son roman Le Cavalier bleu (1982) et pour son engagement politique en faveur de la monarchie.

Il s'appliqua particulièrement à approfondir l'histoire de la France médiévale et aussi à la personnifier dans quelques romans. En 1982, il fonde la revue  La Place Royale « revue de combat pour la France », dont la ligne éditoriale s'inscrivait dans le courant traditionaliste, dans la continuité de l'œuvre de René Guénon. Auteur chrétien atypique, il n'approuvait guère les « évolutions » de l’église romaine. Olivier Gissey le présentait comme l' « une des dernières grandes figures qui incarnaient l'idée royale en France, sur les traces de Joseph de Maistre et de Georges Bernanos».

 

RenÉ GUÉNON ou la sagesse initiatique

Lucien MEROZ

Edition La Recherche de l’Absolu

 1962

L’auteur (L. Meroz) commente certains aspects de l’œuvre de R. Guénon

 

Quand on est dégoûté du matérialisme et du sensualisme modernes, quand on a devant les yeux seulement la spiritualité sentimentale charismatique, ou la spiritualité de pacotille des théosophes et autres spirites contre lesquels Guénon réagit le premier, on peut être tenté par cette pensée.

 

Ajoutons un mot sur le qualificatif de guénonien, ou de disciple de René Guénon, que nous employons. Nous savons que certaines personnes qui partagent en grande partie les idées de René Guénon refusent de se dire guénoniens. Guénon, disent-ils, n’est que le représentant passager de la « Tradition »  non humaine. Ces personnes se diront « traditionalistes » sans plus.

 

Peu importe. Ce que nous voulons analyser ici, c’est la nature de l’influence spirituelle que René Guénon lui-même a subie et qu’il décrit dans ses ouvrages. À partir de là on peut facilement déduire s’il convient ou non de tenter une expérience spirituelle semblable à celle que Guénon a suivie, même si on refuse de se dire son disciple.

Dans cette première partie, nous voudrions donner un résumé de la pensée de René Guénon de la manière la plus objective possible, conservant même la typographie (notamment l’emploi des capitales) utilisée par cet auteur.

René Guénon note avec une majuscule tous les mots qui ont rapport avec des états supra-individuels.  La voie spirituelle proposée par René Guénon comprend trois conditions qui forment autant d’étapes : L’initiation implique trois conditions qui se présentent en mode successif, et qu’on pourrait (aire correspondre respectivement aux trois termes de potentialité, de virtualité et d’actualité :

 

la « qualification », constituée par certaines possibilités inhérentes à la nature propre de l’individu, et qui sont la materia prima sur laquelle le travail initiatique devra s’effectuer ;

 

la « transmission », par le moyen du rattachement à une organisation traditionnelle, d’une influence spirituelle donnant à l’être l’« illumination » qui lui permettra d’ordonner et de développer ces possibilités qu’il porte en lui ;

 

le « travail intérieur » par lequel, avec le secours d’« adjuvants » ou de « supports » extérieurs s’il y a lieu et surtout dans les premiers stades, ce développement sera réalisé graduellement, faisant passer l’être, d’échelon en échelon, à travers les différents degrés de la hiérarchie initiatique, pour le conduire au but final de la « Délivrance » ou de l’« Identité Suprême ».

 

La première condition, la qualification, est déjà une condition qui distingue la voie initiatique de la voie mystique : Il est clair que le mystique doit avoir, lui aussi, une disposition naturelle spéciale, quoique entièrement différente de celle de l’« initiable », voire même opposée par certains côtés ; mais cette condition, pour lui, si elle est également nécessaire, est de plus suffisante ; il n’en est aucune autre qui doive venir s’y ajouter, et les circonstances font tout le reste, faisant passer à leur gré de la « puissance » à l’« acte » telles ou telles des possibilités que comporte la disposition dont il s’agit.

 

Ceci résulte directement de ce caractère de « passivité » dont nous avons parlé plus haut : il ne saurait en effet, en pareil cas, s’agir d’un effort ou d’un travail personnel quelconque, que le mystique n’aura jamais à effectuer, et dont il devra même se garder soigneusement, comme de quelque chose qui serait en opposition avec sa « voie », tandis que, au contraire, pour ce qui est de l’initiation, et en raison de son caractère « actif », un tel travail constitue une autre condition non moins strictement nécessaire que la première, et sans laquelle le passage de la « puissance » à l’« acte », qui est proprement la « réalisation », ne saurait s’accomplir en aucune façon.

 

[Il résulte de là, entre autres conséquences, que les connaissances d’ordre doctrinal, qui sont indispensables à l’initié, et dont la compréhension théorique est pour lui une condition préalable de toute "réalisation", peuvent faire entièrement défaut au mystique ; de là vient souvent chez celui-ci, outre la possibilité d’erreurs et de confusions multiples, une étrange incapacité de s’exprimer intelligiblement Il y a donc une différence profonde entre les deux voies, mystique et initiatique, la première étant passive tandis que la seconde est active : Dans le cas de l’initiation, au contraire, c’est à l’individu qu’appartient l’initiative d’une « réalisation » qui se poursuivra méthodiquement, sous un contrôle rigoureux et incessant, et qui devra normalement aboutir à dépasser les possibilités mêmes de l’individu comme tel.

 

La deuxième étape de la réalisation initiatique est la plus importante. Il s’agit de la réception de l’influence spirituelle lors de l’initiation : Pour que ce chaos puisse commencer à prendre forme et à s’organiser, il faut qu’une vibration initiale lui soit communiquée par les puissances spirituelles, que la Genèse hébraïque désigne comme les Elohim ; cette vibration, c’est le Fiat Lux qui illumine le chaos, et qui est le point de départ nécessaire de tous les développements ultérieurs ; et, au point de vue initiatique, cette illumination est précisément constituée par la transmission de l’influence spirituelle dont nous venons de parler.  Dès lors, et par la vertu de cette influence, les possibilités spirituelles de l’être ne sont plus la simple potentialité qu’elles étaient auparavant ; elles sont devenues une virtualité prête à se développer en acte dans les divers stades de la réalisation initiatique.  

 

Le symbolisme de la croix, le labyrinthe cosmique, le démiurge et le mal sont quelques-uns des thèmes commentés.

 

RENÉ GUÉNON. QUI SUIS-JE ?

David GATTEGNO

Edition PARDES

 2001

A la fin du XIXe siècle, l’héritage de la France compte un formidable appareil cérébral pseudo-religieux dans lequel d’informes « idéaux » politiques vont trouver à se condenser jusqu’à savoir donner le tour exclusif, à nuque plate et à front arrogant, de l’idéologie aujourd’hui dominante.

Par quelque bout que l’on prenne les choses, le niveau intellectuel et culturel de cette vague, finalement appelée « occultisme », s’avère totalement affligeant. Cela dit, les ambitions n’étant qu’enfantines, l’indulgence devrait présider à leur observation ; mais il y a ceci que l’infantilisme, quand il est solennel, devient monstrueux.

René Guénon a généralement été envisagé dans son rapport avec le courant en question. Or, s’il diffère des figures qui l’ont principalement marqué, c’est bien, pour commencer, par la stature intellectuelle et culturelle qui est la sienne. Autrement dit, vouloir présenter René Guénon dans sa mouvance de l’esprit occultiste d’alors, c’est, d’emblée, l’y réduire et, partant, biaiser immédiatement la compréhension que l’on en propose. Alors, plutôt que de s’attarder sur le panorama d’un « ésotérisme » au XIXe siècle que tout amateur du genre peut trouver dans d’excellentes études, nous préférons nous situer dans une perspective d’abord différente, ayant la faiblesse d’imaginer ainsi pouvoir éviter d’enfoncer les portes déjà ouvertes.

Dans le Stupide XIXe siècle, cet implacable « Exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans », Léon Daudet s’est arrêté sur ce qu’il appelle « vingt-deux âneries, auxquelles il serait aisé de donner une suite, mais qui tiennent un rang majeur ». Si ce « 22 » pouvait ravir le zèle d’occultisants glossateurs, la teneur de l’ouvrage les décevrait profondément.

Le retentissant polémiste ne semble pas avoir su, ou voulu, observer l’« insanité » particulière du néo-spiritualisme. Les noms d’Eliphas Lévi, Saint-Yves d’Alveydre et consorts sont, d’ailleurs, significativement absents des recueils de Souvenirs, alors qu’il côtoya beaucoup de leurs émules.

Pourtant, évoquant les vastes « mouvements de l’esprit humain qui déferlent, au cours de l’histoire, sur les sociétés », Léon Daudet n’hésite nullement à observer que leur « origine demeure obscure ». Mais, plutôt que de démontrer cette « obscurité » pour l’analyser ensuite, il a choisi de constater. Si bien qu’il ne put qu’enregistrer l’indigence culturelle du courant néo-spiritualiste. Il eut fallu « démontrer » qu’il pouvait avoir valeur d’origine, mais c’eut été résoudre la polémique en des sortes de vaticinations.

D’ailleurs, il cite précisément la maçonnerie comme n’appartenant pas exactement aux objectifs visés. Pour produire des résultats qui soient tangibles, il importe plus, selon lui, de s’attaquer nommément à ceux qui propagent une doctrine pernicieuse, que de se contenter « d’un ensemble de lutte et de fausse victoires académiques » dans l’hypothétique espoir de lui nuire.

Après la lecture d’Orient et d’Occident, il déclare être arrivé, par des voies différentes, à une conclusion analogue dans l’examen du stupide XIXe siècle (L’Action française, 15 juillet 1924), mais, ajoute-t-il, « (son) ignorance de la philosophie orientale – que possède à fond M. Guénon – ne (lui) avait pas permis de dresser le redoutable parallèle qu’il (Guénon) nous expose.

Ouvrir sur René Guénon par l’invocation de l’autorité d’un Léon Daudet ne manquera pas d’étonner, voir d’irriter. Nous voulons poser ceci qui, en matière d’autorité intellectuelle publique, avant René Guénon, il y a lieu d’en chercher partout, pourvu que ce ne soit pas dans les parodies occultistes, néo-spiritualistes et pseudo-religieuses. Il n’y avait pas l’ombre d’une seule intelligence un tant soit peut synthétique dans le fatras des plumitifs correspondant.

D’autre part, un parallèle s’esquisse entre Léon Daudet et René Guénon : le premier a crû en force et en intelligence, précisément, dans le milieu qu’il entreprit de « déboulonner », selon son expression savoureuse ; le second, pareillement, a poussé sa frondaison sur le tronc que, sitôt feuillu, il entreprendra de bûcheronner ; il n’y a aucun hasard, donc, à ce que chacun eût été un fidèle lecteur de l’autre et que, aux points de vue qui étaient respectivement les leurs, les conclusions de l’un se fussent rencontrées avec celles de l’autre.

Et encore, au titre de leurs dispositions intellectuelles, on appréciera les revendications d’indépendances vis-à-vis de tout souvent répétées par Guénon et le souffle d’un esprit authentiquement libre parcourant l’œuvre de grande salubrité publique de Léon Daudet.

De plus, si l’on voulait dessiner les contours de l’époque dans laquelle celui-là a vu le jour, c’est à la plume de celui-ci qu’il conviendrait de recourir pour en tracer les lignes sur le vif, plutôt qu’à l’emporte-pièce muséographique des études spécialisées, quelques érudites fussent-elles ; pour paraphraser une formule qui n’eut pourtant pas l’air de plaire, ne craignons pas d’affirmer que les « détails de l’histoire » sont essentiellement appuyés pour compliquer l’intelligence profonde des origines, d’une part, et, d’autre part, soulignés pour troubler l’intelligibilité d’une perspective des objectifs.

Il suffira donc de savoir que l’occultisme représentait le noyau « évolutionniste », « progressiste », etc…, atteint par les diverses spéculations autour de « l’Être suprême » léguées par le Siècle des Lumières à la Révolution Française. Et foin des bémols que d’aucuns pourraient vouloir mettre !

Il n’en reste pas moins que René Guénon naquit en 1886, c’est-à-dire l’année où Saint-Yves d’Alveydre écrivait la Mission de l’Inde en Europe, l’un des deux comburants de la plus mystérieuse des études de René Guénon, Le Roi du monde (1927) ; ce fut, également, le titre le plus ciblé par les polémiques dirigées contre son œuvre…

 

 RENÉ  GUÉNON    -        RECUEIL

RENÉ GUÉNON

Edition Rose-Cross Books Canada 

 2013

Toute sa vie, R. Guénon insista pour dénoncer la crise du monde moderne et ses méfaits sur l’homme dans sa dimension spirituelle. Plus de 62 ans (nous sommes en 2013) après sa mort, il est clair que le déclin du monde s’est transformé en une véritable chute, de plus en plus rapide et destructrice, avec un abandon des valeurs et une précipitation que seule la fin des temps peut expliquer. C’est pourquoi les signes des temps semblent nous submerger comme s’il s’agissait d’un déluge de putréfaction.

On est en droit d’insister sur cette période -1951-2013 – car il est incontestable qu’elle correspond à un affermissement du matérialisme et une fin de cycle. Elle est marquée par une phase agressive engluée dans une aporie destructrice.

Aujourd’hui le monde n’a jamais été aussi éloigné de l’esprit traditionnel, la jeunesse est coupée des choses spirituelles et les médias détruisent à tour de bras le sacré, l’athéisme sous une coloration doucereuse continu son œuvre de destruction et les philosophes en mal de renommé n’ont pas le courage ni l’envie d’aller à contre courant de l’air du temps.

Ce « recueil » édité au Canada (Au Canada l’œuvre de R. Guénon est tombé dans le domaine public depuis 2011, ce qui n’est pas le cas en France) rassemble dans ce livre posthume les articles et comptes rendus provenant de diverses publications qui n’avaient pas encore été mises à la disposition du grand public. Seuls les articles signés de sa main figurent dans cet ouvrage, c'est-à-dire, ses notes personnelles, ses lettres, et les écrits parus dans des journaux étrangers.

Cela permet de mieux comprendre l’œuvre de René Guénon et de pouvoir en retirer plus de bénéfice dans notre réflexion, car chaque écrit de René Guénon nous apprend quelque chose, non pas du coté quantitatif mais du coté qualitatif, c'est-à-dire qu’il peut éveiller en nous des pensées spéciales, ouvrir des portes inconnues, et qu’importe si on y trouve des articles redondant, la répétition fait partie de l’apprentissage traditionnel.

Au sommaire de cet ouvrage :

Orient et Occident : 9 écrits et lettres et 7 comptes rendus 1912- 1929

Le centre spirituel et le monde : 6 écrits et 8 comptes rendus 1910- 1935

Tradition et symbolisme : 2 écrits parus dans la gnose 1910 et 20 comptes rendus 1914-1936

La Franc-maçonnerie : 4 écrits parus entre 1911 et 1914

La crise du monde moderne : 4 écrits 1911-1914 et une cinquantaine de comptes rendus parus entre 1912 et 1929

 

RENÉ  GUÉNON.  TÉMOIN DE LA TRADITION

Jean  Robin

Edition  Trédaniel

 1986

Dans un monde dont les certitudes s’effondrent comme château de cartes, l’œuvre de René Guénon – en révélant à l’Occident moderne le sens véritable de la Connaissance métaphysique – se présente tel un incomparable monument érigé à la gloire de la Sagesse éternelle.

 

Après qu’elle eut été longtemps condamnée, par l’incompréhension d’un siècle matérialiste, à une influence secrète dont l’importance n’échappa pourtant à des personnalités aussi diverses et inattendues qu’André Breton, Antonin Artaud, André Gide, André Malraux ou Jean Paulhan, entre beaucoup d’autres, elle est désormais reconnue par tous les « pèlerins de l’Absolu ». Boussole admirable qui permet de retrouver, à l’approche des échéances ultimes, le chemin occulté de la Tradition Primordiale, fil d’Ariane de l’œuvre de René Guénon.

 

Jean Robin, démontre le parallélisme étroit entre la destinée humaine de René Guénon et la genèse d’une œuvre providentielle, qui éclaire de façon véritablement prophétique la situation spirituelle de notre société. On ne peut plus parler d’ésotérisme, d’initiation, de tradition, sans  avoir lu Guénon, et nul n’est jamais sorti de son œuvre tel qu’il y est entré…

Il est deux manières d’envisager l’œuvre de René Guénon :

 

On peut y voir la synthèse géniale, ou discutable, formulée pour notre temps, d’antiques vérités longtemps occultées, dont des précurseurs portèrent un discret témoignage au long des 18e et19e siècle et qui, attendaient d’être regroupées en un corpus cohérent. Il s’agissait alors d’un travail de mise en forme à partir de données préexistantes, effectué par une individualité tributaire de son milieu, de ses sources, de sa psychologie propre enfin, qui l’amenait peut être à orienter arbitrairement l’héritage intellectuel que le destin lui avait confié.

 

Mais on peut aussi considérer aussi cette œuvre, tout au contraire comme une somme magistrale qui puise sa force et sa certitude en un fond mystérieux dont aucune référence, aucune étude des sources ne peut rendre compte, et que l’on est obligé, qu’on le veuille ou pas, d’accepter ou de refuser en bloc comme un ensemble indiscutable, indissociable et invariable dès l’origine, préexistant dans sa totalité à l’exposé progressif qui en fut fait au long des centaines d’articles et de livres publié à ce jour.

 

Ce faisant il ne faut pas oublier une donnée fondamentale de l’œuvre de Guénon, c’est la dimension de l’inspiration, qui d’ailleurs parait fort mystérieuse, il n’en demeure pas moins certain que c’est de l’Orient contemporain et non de celui de la compagnie des Indes, que Guénon reçu directement par transmission ces enseignements, et dont il tira par la suite la quintessence dans ses exposés.

 

Au sommaire de cet ouvrage :

 

Des vestiges épars   -   L’énigme du Sphinx   -   La métaphysique orientale   -   Le symbole des symboles   -   L’initiation   -   Le sort de l’Occident   -   Le Sheikh Abdel Wahed Yahia   -   Les magiciens noirs   -   La personnalité de René Guénon   -   « Du voile d’Isis » aux Etudes Traditionnelles »   -

Très nombreuses photos de R. Guénon et d’illustrations complètent ce livre

 

RENÉ GUÉNON - UNE POLITIQUE DE L’ESPRIT

David Bisson

Edition Pierre Guillaume de Roux

 2013

Né à Blois et enterré au Caire sous le nom d’Abd-el-Yahiâ en 1951, René Guénon est l’homme par qui le scandale arrive. Il dénonce la décadence de l’Occident moderne, fruit d’une lente dégénérescence de son héritage métaphysique et se tourne, au grand dam des catholiques, vers l’Orient devenu, selon lui, le refuge ultime de la « Tradition ».

Cette dernière notion, centrale chez Guénon, élève toutes les traditions religieuses de l’humanité au même niveau de transcendance tout en reconnaissant à chacune d’entre elles sa dimension spirituelle spécifique. Un point de vue tout simplement révolutionnaire dans les années 30.

Dès lors, il appartient à l’individu de se déterminer spirituellement par un processus de connaissance graduée qui dépasse largement le seul exercice d’un rite religieux. C’est la voie ésotérique par essence, qui suscitera l’émergence à travers le monde (Europe, Etats Unis, Russie, Asie et autres) d’innombrables chapelles initiatiques se réclamant de Guénon, avec notamment les groupes soufis dirigés par Schuon, Valsan, ou Pallavicini.

Chose frappante, un lien inextricable s’est peu à peu tissé entre cette perspective ésotérique et l’horizon politique. En témoignent la « spiritualité héroïque » de Julius Evola dans l’Italie des années trente mais aussi les résonnances guénoniennes qu’on découvre dans l’engagement politique de Simone Weil ou de Carl Schmitt. Parallèlement à l’activité des revues Le Voile d’Isis/Etudes Traditionnelles, les apports de Mircea Eliade, d’Henry Corbin ou de Raymond Abellio achèvent de perpétuer le rayonnement guénonien, si controversé soit-il.

Cette mise en perspective monumentale de l’œuvre de René Guénon, révèle de manière décisive, une figure cardinale du XXe siècle et dévoile l’étendue de son rôle dans la construction de la pensée moderne occidentale.

Au sommaire de cet ouvrage de 525 pages, l’auteur nous parle de :

1e Partie : La tradition en théorie 1925-1932

L’intuition gnostique ou la genèse de l’œuvre 1906-1914 - son enfance, sa jeunesse et sa soif de l’occulte, du mystérieux et de la métaphysique - L’exposé oriental ou l’incarnation de l’idée 1914-1930 - Un intellectuel inclassable, un penseur engagé et un ésotériste convaincu - La raison ésotérique ou la synthèse Traditionnelle 1930-1932 - La Tradition Primordiale et la réalisation métaphysique - L’écriture de René Guénon - La fin du monde moderne, une métaphysique de l’histoire - le salut de l’Occident chrétien, une civilisation traditionnelle et sa réforme intellectuelle - Où situer René Guénon sur l’échiquier politique ?

2e Partie : La Tradition en pratique 1930-1951

Le traditionalisme ésotérique et ses formes diverses d’engagement - L’exil de René Guénon - Une école de pensée traditionnelle - les lieux du repli ésotérique 1941-1951 - L’horizon apocalyptique - les dernières œuvres - La Tradition comme mode de résistance à la modernité - La tradition en politique - Le fascisme ésotérique de Julius Evola, les diverses métapolitiques avec bilan et perspectives de l’engagement évolien - Le nationalisme archaïque de Mircea Eliade - La découverte du sacré - L’historien des religions - Les lectures parcellaires de la Tradition - Carl Schmitt - Drieu la Rochelle - Simone Weil - Comment identifié le mouvement impulsé par René Guénon ?

3e Partie : La Tradition en perspective 1951-1980

Un traditionisme régulier et fermé - La reconnaissance posthume de l’œuvre, la filiation discrète des disciples - La survivance des pôles initiatiques - La gnose universaliste de Frithjof Schuon et le soufisme guénonien de Michel Valsan - Roger Maidort - Une science aux visées gnostiques - L’espace imaginal d’Henry Corbin - La science traditionnelle de Gilbert Durand - Le cercle Eranos - L’Université de Saint-Jean de Jérusalem - Une métapolitique antimoderne - Raymond Abellio : rénovateur de l’ésotérisme occidental - Louis Pauwels : entrepreneur de culture ésotérique - la stratégie culturelle de la nouvelle droite - La Tradition aujourd’hui ? - La Tradition demain ? -

4 S

saint bernard

René GUÉNON

Editions Traditionnelles

 1987

Écrit en 1929 cette plaquette de 20 pages  décrit le destin exceptionnel de St Bernard et à travers celui-ci illustre les liens étroits mais non contradictoires qu’entretiennent autorité spirituelle et pouvoir temporel. « Bernard ne fut aucunement un métaphysicien, mais il devra aussi rester un théologien que sa puissance de synthèse et sa vigueur spéculative apparentent aux plus grands. Sans doute, sa théologie mystique est essentiellement la science d’une pratique, mais j’espère montrer que c’est bien une science et qu’il était difficile de pousser plus loin la rigueur de la synthèse. Les principes et la langue de l’auteur une fois connus, ses traités, et même ses sermons, s’expliquent aussi exactement et techniquement que les pages les plus denses de saint Anselme ou de saint Thomas d’Aquin. Nul ne commettra la faute d’oublier l’âme du mystique; je pense qu’on la connaître mieux, au contraire, si l’on oublie moins à l’avenir la pensée du théologien 

 

C’est vers sa vingtième année que Bernard conçoit le projet de se retirer du monde. Il entreprend alors son premier apostolat : réussir en peu de temps à faire partager ses vues à tous ses frères, à quelques-uns de ses proches et à un certain nombre de ses amis. Sa force de persuasion est telle, en dépit de sa jeunesse, que bientôt « il devint, dit son biographe, la terreur des mères et des épouses; les amis redoutaient de le voir aborder leurs amis ».C’est donc accompagné d’une trentaine de jeunes gens que Bernard, en 1111, entre au monastère de Cîteaux, qu’il choisit en raison de la rigueur avec laquelle y est observée la règle de Saint-Benoît, contrastant avec le relâchement qui s’était introduit dans toutes les autres branches de l’Ordre bénédictin. C’est en l'an 1098 que le bienheureux Robert, abbé de Molesmes, prend avec lui douze religieux de ce monastère et se retire dans le désert de Cîteaux, où il construit un nouveau monastère dans le diocèse de Châlons-sur-Saône, avec l'aide et l'approbation de Gautier, évêque de Châlons-sur-Saône, et d’Hugues, archevêque de Lyon. Eudes, duc de Bourgogne, lui donna l'endroit où il devait, avec ses compagnons, pratiquer, dans toute sa pureté, la règle de saint Benoît. Vingt-trois ans plus tôt, il avait construit l’abbaye de Molesmes, dans les mêmes conditions d’indigence, dans le seul but d’y mener une vie religieuse fervente et stricte. Vers 1090, Molesmes devient un monastère comme les autres qui connaît rapidement une forme d’indigence spirituelle, une forme de tiédeur. Robert y est alors rappelé.

Albéric devient l’abbé de Cîteaux. Il jette les bases de la législation cistercienne. La situation est précaire. Les moines sont très pauvres. Le monastère ne recrute pas beaucoup. Cîteaux effraye par sa pauvreté, sa rigueur. Albéric meurt en janvier 1108, dix ans après la fondation sans même pressentir l’essor extraordinaire de l’ordre. Il semble que pendant ces dix années, Cîteaux n’ait accueilli aucun postulant. Etienne Harding succède à Albéric. Le monastère continue de vivre difficilement, la réforme cistercienne est contestée, discutée, condamnée même par certains bénédictins qui taxent les cisterciens d’être des esprits schismatiques et prétentieux. C’est en avril 1111, époque où Cîteaux semble déchoir, où la nourriture manque, que Bernard et ses recrues se présentent. Les médisances qui se répandent sur Cîteaux l’attirent, Bernard sait que la calomnie accompagne le serviteur du Christ, que la persécution est une béatitude. Et si les hommes blasphèment, c’est parce que Cîteaux est aimé de Dieu. Novice à 21 ans, il se montre un écolier docile. La rude ascèse de la nouvelle observance lui plait d’emblée : nourriture frugale (fèves, raves et soupes de feuilles de hêtre), mobilier rustique et branlant, paillasses et couvertures juste nécessaires. Dans cette école de Charité, il apprend à aimer ses frères, et à aimer Dieu. Il s’investit dans une vie ascétique. Il prie sans cesse, lit les Ecritures, les Pères de l’Eglise, s’imprégnant des textes. Il met en pratique sur lui-même ce qu’il enseignera aux autres plus tard. 

 

Trois ans plus tard, ses supérieurs n’hésitent pas à lui confier, malgré sa jeunesse et sa santé chancelante, la conduite de douze religieux pour fonder une nouvelle abbaye, celle de Clairvaux, qu’il va gouverner jusqu’à sa mort, repoussant toujours les honneurs et les dignités qui s’offriront si souvent à lui au cours de sa carrière. L’abbaye se construit avec les mêmes difficultés matérielles que Cîteaux : défrichage de la forêt, mise en culture, cabanes sommaires tenant lieu de bâtiments, nourriture frugale. Les villageois environnants aident au début, mais se retirent rapidement. Tout fait défaut, mais la confiance en Dieu de Bernard est là. Une aura de sainteté gagne Clairvaux, son rayonnement se répand rapidement. Partout on va bientôt réclamer la présence de Bernard, celui qui souhaitait vivre reclus et ignoré au monastère. Bernard compte parmi les bâtisseurs de l’ordre cistercien. Il rédige la Charte de Charité, avec les abbés des premières fondations : La Ferté, Pontigny et Morimond.

 

En 1115, Il est ordonné prêtre par l’évêque de Chalons sur Marne, Guillaume de Champeaux, avec qui il restera ami. Pendant toute sa vie, Bernard n’aura de cesse de participer à l’organisation et à l’expansion de l’ordre cistercien. Clairvaux à peine fondée, exerce une attirance immense. Etre abbé nécessite, pour lui, la pureté de cœur, l’intention toujours droite, une charité forte, une volonté de donner l’exemple. D’une extrême sensibilité mais aussi d’une très grande exigence, il parle avec véhémence,  avec une telle foi, un tel désir d’arracher à l’inertie que les moines qui le comprennent, le suivent avec ardeur et l’aiment. Bernard n’a de cesse de convertir, de convaincre de jeunes recrues, de les mener jusqu’aux portes du monastère. Il encourage, il exhorte les jeunes gens à entrer et à persévérer dans la vie religieuse, à quitter leurs vies mondaines, leurs familles : « Vous dirai-je d’allier en même temps Dieu et le monde ?… On ne peut servir deux maîtres à la fois. » Il est un homme absolu, uniquement spirituel, par impossibilité d’être autre chose. Il n’admet pas de compromis entre Dieu et le siècle. Il place comme un absolu la fidélité à Dieu. Mélange de douceur et de passion, de tendresse et d’ardeur, de fougue et de sensibilité, il possède un charisme extraordinaire. La piété mariale du moyen-âge est également inséparable de saint Bernard. C’est lui qui interprète le rôle de médiatrice de Marie : « Voulez-vous un avocat près de Jésus : recourez à Marie. Je le dis sans hésitation : Marie sera exaucée à cause de la considération qui lui est due. Le fils exaucera sa Mère et le Père son Fils. Voici l’échelle des pécheurs : une absolue confiance. Voici sur quoi mon espérance est fondée. »

 

La vie de Bernard se situe en pleine phase de transformations : philosophie, poésie, transformations économiques et sociales, naissance de l’urbanisme, apparition du commerce, mise en place de la royauté, avec sa centralisation face à la noblesse féodale. Ce 12ème siècle, dont il sera l’un des hommes les plus représentatifs, verra aussi des heurts entre l’Eglise et l’Etat, la naissance d’hérésies, le début des croisades ouvrant les portes de l’orient. Bernard est de cette époque de grands changements. L’enseignement de Bernard transparaît à travers ses nombreuses lettres : fidélité, humilité, obéissance, persévérance, vie simple, travail, prière, méditation. Il s’adresse au cœur de ses interlocuteurs, avec franchise, parfois dureté, il adapte son discours, pour être écouté, pour convaincre. Peu à peu, grâce à cet enseignement, et sa force de persuasion, il obtient une certaine renommée. Il est sollicité par d’autres abbés, des dignitaires de l’Eglise, des nobles et des souverains, pour prodiguer des conseils, résoudre des conflits, arbitrer des négociations. Ainsi celui qui voulait vivre loin du monde, doit sillonner l’Europe, et prendre part aux grandes décisions de son siècle, tant dans l’ordre politique que dans l’ordre religieux. Par le seul rayonnement de sa foi, il devient le juge des maîtres les plus réputés de la philosophie et de la théologie, le restaurateur de l’unité de l’Église, le médiateur entre la Papauté et l’Empire, et le prédicateur des croisades.

 

Bernard avait commencé de bonne heure à dénoncer le luxe dans lequel vivaient alors la plupart des membres du clergé séculier et même les moines de certaines abbayes. Ses remontrances avaient provoqué des conversions retentissantes.- Il intervient dans les conflits qui ont éclaté entre Louis le Gros et divers évêques, et proteste hautement contre les empiètements du pouvoir civil sur les droits de l’Église.- en 1130, des événements d’une toute autre gravité, mettent en péril l’Église tout entière, divisée par le schisme de l’antipape Anaclet II. C’est à cette occasion que le renom de Bernard se répandra dans toute la Chrétienté. Les cardinaux, partagés en deux factions rivales, avaient élu successivement Innocent II et Anaclet II. Le premier, contraint de partir, en appelle à l’Église universelle. C’est la France qui répond la première. Bernard est invité au concile convoqué par le roi à Étampes. Les évêques et les seigneurs réunis suivent son avis (comme celui d’un envoyé de Dieu), et reconnaissent la validité de l’élection d’Innocent II. Bernard entreprend alors de nombreux voyages pour asseoir cette décision. Il parcourt les principaux diocèses et est partout accueilli avec enthousiasme.

 

 L’abbé de Clairvaux se rend auprès du roi d’Angleterre et triomphe promptement de ses hésitations; Il a aussi une part, au moins indirecte, dans la reconnaissance d’Innocent II par le roi Lothaire et le clergé allemand. Il rejoint ensuite l’Aquitaine pour combattre l’influence de l’évêque Gérard d’Angoulême, partisan d’Anaclet II. En 1135, il réussit à détruire le schisme en opérant la conversion du comte de Poitiers. Dans l’intervalle, il doit se rendre en Italie, appelé par Innocent II qui y était retourné avec l’appui de Lothaire, et qui le missionne pour accommoder les deux cités rivales Pise et Gênes. Innocent peut enfin rentrer dans Rome, mais Anaclet demeure retranché dans Saint-Pierre dont il est impossible de s’emparer. Lothaire, couronné empereur à Saint-Jean de Latran, se retire bientôt avec son armée. Après son départ, l’antipape reprend l’offensive, et le pontife légitime doit s’enfuir de nouveau et se réfugier à Pise.

 

C’est de l’Allemagne seule qu’on peut espérer un secours efficace. Malheureusement, l’Empire est toujours en proie à la division, et Lothaire ne peut retourner en Italie avant d’avoir assuré la paix dans son propre pays. Bernard part pour l’Allemagne et travaille à la réconciliation des Hohenstaufen avec l’empereur. Là encore, ses efforts sont couronnés de succès. Il se rend ensuite au concile qu’Innocent II a convoqué à Pise. Bernard est l’âme du concile, dans l’intervalle des séances, raconte un historien du temps, sa porte est assiégée par ceux qui ont quelque affaire grave à traiter, comme si cet humble moine avait le pouvoir de trancher à son gré toutes les questions ecclésiastiques. Délégué ensuite à Milan pour ramener cette ville à Innocent II et à Lothaire, il s’y voit acclamer par le clergé et les fidèles qui, dans une manifestation spontanée d’enthousiasme, veulent faire de lui leur archevêque, et il a la plus grande peine à se soustraire à cet honneur. Il n’aspire qu’à retourner à son monastère. Il y rentre en effet, mais ce n’est pas pour longtemps. Il doit se rendre en Sicile pour concilier Lothaire et le roi Roger, qui s’affrontent en Italie méridionale. Il entreprend et réussit la conversion d’un des principaux auteurs du schisme, le cardinal Pierre de Pise, qu’il ramène avec lui auprès d’Innocent II. Cette conversion porte sans délai un coup terrible à la cause de l’antipape. En 1137, vers l’époque des fêtes de Noël, Anaclet meurt subitement. Quelques-uns des cardinaux les plus engagés dans le schisme élisent un nouvel antipape sous le nom de Victor IV. Mais leur résistance ne peut durer longtemps, et, le jour de l’octave de la Pentecôte, tous font leur soumission. Dès la semaine suivante, l’abbé de Clairvaux reprend le chemin de son monastère…

 

science sacrÉe   -    Revue

Numéro Spécial René guÉnon

Edition Science Sacrée

 2003

Science sacrée est une revue d’études traditionnelles réservée à toutes les expressions de la tradition perpétuelle et unanime. Placée sous l’égide de l’enseignement de René Guénon, elle suit également les prolongements doctrinaux et les applications de l’œuvre guénonienne selon l’orientation spirituelle de Michel Vâlsan (Sheikh Mustafa ‘Abd-al-’Azîz en Islam), le fondateur reconnu des études en Occident sur Muhy-d-dîn Ibn ‘Arabî, le plus grand Maître de l’ésotérisme islamique.

 

Souhaitant rendre actuelle l’œuvre de Michel Vâlsan et permettre également une meilleure compréhension de sa fonction, Science sacrée donne aujourd’hui accès à ses écrits, publiés initialement dans la revue Etudes Traditionnelles - ou inédits pour certains - qui ne circulaient plus jusqu’à présent qu’en des cercles assez restreints, les diverses reprises plus tardives des Editions de l’Œuvre étant presque toutes épuisées.

 

Fondée en 2001 par Muhammad Vâlsan, Science sacrée reprend son activité éditoriale, selon de nouvelles modalités, en cette date du 16 février 2011,  dix ans après sa première publication. Souhaitant une meilleure diffusion, elle fait aujourd’hui appel au support internet qui grâce à la mise en ligne d’archives de la revue, permettra l’accès à certains articles des numéros aujourd’hui épuisés mais en cours de réédition. Les travaux que souhaite accueillir la revue ont vocation à témoigner d’une démarche intellectuelle pure qui rende compte des principes métaphysiques s’exprimant à travers les différentes formes particulières dont se revêt la Tradition primordiale pour diffuser sa science et sa sagesse universelle.

 

SYMBOLES DE LA SCIENCE SACRḖE

René  Guénon

Edition Gallimard

1998

Le présent recueil réunit tous les articles concernant le symbolisme que René Guénon n'avait pas lui-même inclus dans l'un de ses ouvrages. Il constitue la partie la plus importante de ses travaux dans ce domaine, et vient illustrer en quelque sorte la doctrine qu'il a exposée dans toute son œuvre, tout en offrant ce qu'on pourrait appeler les moyens d'une universelle vérification dans la multitude innombrable mais concordante de données sacrées provenant des traditions les plus diverses. Malgré tout ce que l'auteur avait déjà traité en cette matière dans ses autres livres, ce volume constitue un trésor unique de science symbolique et restera comme un véritable monument de l'intellectualité sacrée

 

L’œuvre de René Guénon s’organise autour d’un certain nombre de pôles. Définir ces pôles et les relations qui les ordonnent en un tout structuré, c’est non seulement s’en donner une vision synthétique qui seule permet à l’intelligence de l’embrasser c’est aussi comprendre la situation particulière de chaque élément polaire, et la fonction qu’il remplit par rapport à l’ensemble. Ces éléments polaires sont au nombre de cinq : critique du monde moderne, tradition, métaphysique, symbolique, réalisation spirituelle1. Le premier et le dernier constituent respectivement le pôle préparatoire à la connaissance de l’œuvre (réforme de la mentalité) et son pôle terminal et transcendant (dans la mesure où l’œuvre est essentiellement de nature doctrinale et vise expressément la réalisation comme une fin qui la dépasse). L’essentiel du corpus doctrinal est donc défini par les trois éléments polaires centraux : tradition, métaphysique, symbolique

 

Chacun de ces pôles marque le sommet d’un triangle que nous appellerons triangle doctrinal de base, par rapport auquel le pôle réalisation et le pôle critique occuperont respectivement le sommet supérieur et le sommet inférieur des pyramides La tradition unifie activement métaphysique et symbolique puisqu’elle exprime précisément la vérité universelle du Principe à l’aide d’une constellation ordonnée de formes particulières. Enfin – et nous aurons à développer plus spécialement ce point de vue – la symbolique réalise de facto l’union de l’universel métaphysique et de la contingence de la tradition : unité par la métaphysique, unification par la tradition, union par le symbole. Telle est la situation du symbole chez Guénon, et l’on conviendra que cette synthèse doctrinale frappe autant par son ampleur que par sa clarté et sa précision. Il nous faut maintenant tenter de caractériser la conception propre que Guénon nous présente du symbole.

 

A vrai dire une telle entreprise présuppose qu’il existe bien quelque chose comme une conception guénonienne du symbolisme, ce que Guénon lui-même récuserait formellement. La doctrine qu’il expose en la matière s’identifie à ses yeux à la vérité pure et simple du symbolisme sacré. Une telle prétention peut sembler exorbitante. Nous la croyons cependant justifiée, et c’est précisément pourquoi elle est paradoxalement unique et originale, dans la mesure même où elle se distingue de toutes les autres théories du symbolisme. Ce n’est pas ici le lieu d’en exposer la démonstration. Il faudrait restituer la doctrine guénonienne dans son intégralité et passer en revue les diverses théories modernes et contemporaines qui se sont proposé d’expliquer le symbole 3. Mais on peut au moins reconnaître ceci, qu’on ne saurait discuter : cette doctrine est la seule qui soit parfaitement et rigoureusement accordée à son objet, c’est-à-dire aux symboles sacrés eux-mêmes. C’est là un fait que le monde est à même de constater, et sur lequel il convient d’abord de nous arrêter, car s’il n’est peut-être pas de domaine où l’influence de Guénon ait été aussi féconde et étendue que celui du symbolisme, il s’en faut cependant que les théoriciens du symbolisme lui accordent autre chose qu’une dédaigneuse inattention.

 

« L’interprétation de Guénon, écrit Michel Deguy dans l’un des rares articles consacrés à sa doctrine du symbolisme, reste indécidable du point de vue scientifique et, chose curieuse, elle vient se ranger en définitive à côté des autres vues totalitaire, freudienne ou structuraliste, etc., sa prétention de détenir le sens dernier des symboles et du symbole. » Au contraire, chez Guénon, la nécessité du symbole ne dérive pas fondamentalement d’une volonté (ou d’un travail inconscient) de déguisement, mais de la nature des choses. Il n’y a en effet, pour une telle réalité supérieure, aucune possibilité de se manifester comme telle sur un plan inférieur, parce que les conditions plus limitatives de ce plan d’existence ne le permettent pas. Elle ne peut se manifester que d’une manière qu’il faut bien qualifier de symbolique. Mais alors le symbole n’est pas un déguisement, il ne ment pas, il exprime seulement la vérité aussi adéquatement que le permettent les propres conditions d’existence de son plan de manifestation. Plus encore, il en est lui-même la projection : autrement dit, son être (de réalité seconde et inférieure) et sa fonction (de symbole d’une réalité supérieure) ne font qu’un. L’herméneutique ne sera donc plus suspicieuse à l’égard du symbole, au contraire elle sera accueillante à sa forme et à ses qualités sensibles dont elle suivra scrupuleusement toutes les indications. Une telle herméneutique, nous la qualifierons volontiers d’obédientielle.

 

Au demeurant, le symbolisme n’est pas seulement réduit quant au petit nombre des éléments que les herméneutiques modernes prélèvent sur la totalité interprétable, mais, d’une façon générale, il est par elles amputé de son intention première et irrécusable, qui est de nous parler du Transcendant et de nous Le rendre présent autant que faire se peut. Au lieu que l’herméneutique obédientielle de la tradition, telle que Guénon nous la restitue dans ses principes fondamentaux et ses applications majeures, assume le symbole en totalité, aussi bien dans l’interprétation de ses éléments particuliers, que dans sa signification globale et essentielle qui est de nous faire entendre Cela même qui est au-delà de toute parole.

 

Or, la première question que pose à l’homme moderne l’existence du symbolisme sacré est exactement celle-ci : « s’il portait sur le monde, le discours symbolique serait irrecevable, et il faudrait voir en ceux qui le tiennent, à la fois des virtuoses de l’imagination et des débiles de la raison. Force est de constater que, dans l’esprit et le cœur de ceux qui le tiennent, et quoi que l’on en pense par ailleurs, le discours symbolique « porte bien sur le monde », en d’autres termes, que ce discours a bien l’intention de nous dire quelque chose sur la réalité. C’est précisément cette prétention ontologique que le rationalisme scientifique, depuis Galilée, a rendu impossible. Pour la pensée moderne, le choix est clair : ou bien le discours symbolique procède à sa propre neutralisation ontologique, ou bien il doit être considéré comme dément. Car il faut être fou pour continuer à croire à la vérité d’un discours contraire à tout ce que la raison tient pour certain. Tel est le jugement que la science et la philosophie modernes portent sur toute culture religieuse. On s’en est accommodé sans trop de difficultés pour ce qui est des « autres » religions, et l’on accepta volontiers de ne voir en tout cela que du « symbolisme », c’est-à-dire de l’imagination et de la poésie. Le jour vient pourtant – et il est déjà venu – où les chrétiens eux-mêmes, se retournant vers leurs propres croyances et Ecritures sacrées, se trouveront contraints de reconnaître leur évidente parenté, en dépit des différences, avec les discours symboliques et mythiques de toutes les religions de la Terre. Terrible épreuve ! On pourra bien s’acharner à distinguer l’historicité de l’Ancien et du Nouveau Testament et à la dégager de son revêtement symbolique.

 

Quel est donc le fondement métaphysique que Guénon assigne au symbolisme, et qui lui permet d’en établir du même coup la vérité sans pour autant tomber dans ce que l’on pourrait appeler un fondamentalisme littéral ? On peut exprimer ce fondement de deux manières, d’ailleurs équivalentes, mais qui envisagent les choses d’un point de vue différent : il s’agit de la doctrine des correspondances et celle des états multiples de l’être, la première étant macrocosmique ou « objective », la seconde microcosmique et « subjective » ; ce qui signifie que la seconde n’est que la traduction de la première lorsqu’on passe de la considération des degrés de réalité à celle d’un être déterminé, l’homme par exemple.

 

Cette doctrine est le plus nettement exprimée dans l’avant-propos du Symbolisme de la croix 18, qui est d’ailleurs immédiatement suivi du chapitre I : « La multiplicité des états de l’être » ; nous verrons tout à l’heure pourquoi le chapitre II est consacré à « l’Homme Universel », car il y a là un enchaînement rigoureux et plein d’enseignement. Ajoutons que ce n’est pas non plus un hasard si la « Loi de correspondance » est formulée à propos du symbolisme de la croix, car la croix est justement la représentation symbolique la plus claire de cette loi. Autrement dit, nous avons affaire à une sorte de réciprocité entre symbolisme et métaphysique : la métaphysique, qui fonde le symbolisme, se présente comme un commentaire du symbole de la croix, commentaire qui en déploie toutes les significations, tandis que la croix apparaît comme une figuration synthétique et concentrée de toute la doctrine métaphysique. S’ensuit-il qu’il faille considérer la croix comme le symbole par excellence, le « symbole des symboles 19 » ? Nous ne le croyons pas. Elle n’est symbole suprême que du point de vue de l’«explicitation », du développement, de la différenciation, mais du point de vue de l’implication, de l’enveloppement ou de l’indifférenciation, c’est le point ou le cercle (qui n’en est qu’une autre forme 20) qui joue ce rôle. La croix est symbole de la réalisation en acte de l’être total ; le point ou le cercle est symbole de cette totalité même, soit originelle, soit terminale (le « vortex sphérique universelle »). Au niveau nécessairement formel de toute expression symbolique, il ne saurait y avoir de symbole suprême.

 

SOUFISME  D’ORIENT ET D’OCCIDENT  -  REVUE No  6 -   SPḖCIAL     RENÉ     GUÉNON

DIVERS    AUTEURS

Edition LIBRAIRIE DE L’ORIENT

 2001

Il y a 50  ans, s’éteignait au Caire dans la plus grande discrétion un écrivain français : René Guénon, dont l’œuvre métaphysique est probablement une des plus importantes du XXe siècle. Ce qui est frappant lorsqu’on aborde  l’œuvre de René Guénon aujourd’hui, c’est son actualité, malgré  certaines voix dissonantes et toujours prêtes à critiquer, les écrits de R.Guénon ont une force, une acuité, une vérité  étonnante, bien sûr, si R.Guénon devait  réécrire  ses  textes aujourd’hui, emploierait-il d’autres mots, peut-être plus adapté au vocabulaire du XXIe siècle, il n’empêche que le fond serait très certainement le même.


Tous ceux qui sont aujourd’hui engagés dans un chemin initiatique véritable, sont redevables plus ou moins directement des ouvertures nées de la parution de l’œuvre écrite de R.Guénon. Le  travail de Guénon a été avant tout préparatoire pour que des hommes et des femmes vivant en Occident, et en France en particulier, soient en mesure de répondre présent lorsqu’un enseignement authentique provenant d’Orient ou d’Occident se présentait à eux.


Le monde actuel va de bouleversement en bouleversement, de révolution culturelle en révolution technologique, de nationalismes en mondialisation, de désacralisation  en intégrismes, cependant, on peut prendre le risque d’affirmer que l’œuvre de René Guénon continuera d’accompagner ceux qui se sentent emprisonnés dans une civilisation de plus en plus matérielle et qui sont prêts à répondre à l’appel de vérité enfoui au plus profond d’eux -même.

 

Est développé :


Un éveilleur et un compagnon de route
par J.L Girotto
Lire R. Guénon entre les lignes    par  M.H  Dassa
Le plus discret des dynamiteurs     par Najm Bammate
Des bords de Loire aux rives du Nil    -  biographie –
Un des plus grands esprits  contemporain disparaît,  par A. Gide, P. Sérant, A. Rousseaux
Au contact de cheikh Abd  al- Wähid  Yahia  par cheikh Mahmoud et J.L Michon
Correspondances inédites de R. Guénon entre Le Caire et Amiens
Ni d’Orient, ni d’Occident
par Cheikh Bentounés  et  F. Skali
Filiation spirituelle  par Fréderic Tessier
Bibliographie  commentée

4 U

UN   SOUFI    D’OCCIDENT : RENÉ GUÉNON

HALÎM  MAHMÛD

Edition GEBO- ALBOURAQ

 2007

Le présent ouvrage témoigne des efforts du Shaykh Halîm Mahmûd visant à offrir à tous ceux qui cultivent une aspiration sincère à la connaissance de Dieu, des précisions doctrinales utiles ainsi que des clés efficaces de discernement sur le Taçawwuf, la spiritualité islamique. C’est en cela que résident avant tout l’actualité et la portée des enseignements de René Guénon, « un soufi d’Occident », témoin et interprète de la dimension métaphysique qui est représenté dans la Tradition islamique.

 

Comme le rappelle l’excellente introduction de Jean Gouraud, René Guénon a su à travers ses inlassables explications, redonner la conscience du « But ultime » que constitue la réalisation spirituelle, mais aussi faire accepter la nécessité d’une méthode, c'est-à-dire d’une insertion dans les dimensions exotériques, et si possible ésotérique, d’une tradition orthodoxe et régulière, et surtout montrer l’exemple d’une « mise en œuvre » de ces principes, dans cette vie simple dont son premier biographe, Paul Chacornac, nous a rapporté quelques échos. C’est un témoignage de même nature que nous livre ici le  shaykh Halîm Mahmûd, qui a côtoyé René Guénon au Caire, et témoigne ici de la piété, de la sagesse, et de la sainteté de celui-ci.

4 V

vers la tradition

 Divers auteurs

 

 1981

Revue Guénonienne dont la devise est « Répandre la lumière et rassembler ce qui est épars ». Cette revue paraît quatre fois par an. L’œuvre de R. Guénon y est disséquée et expliquée par beaucoup de penseurs et de Franc-maçons. Cette revue est parue en 1987. Disponible du n° 1 à aujourd'hui.

Son directeur et fondateur René Goffin nous a quitté en 2008 pour l'orient éternel.

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