Chapitre 4 M
- Z (René Guenon) |
4 M
mÉlanges |
René GUÉNON |
Edition Gallimard |
2001 |
||
Et n’y a-t-il en réalité qu’un Principe
unique de toutes choses? Si l’on envisage l’Univers total, il est bien
évident qu’il contient toutes choses, car toutes les parties sont contenues
dans le Tout; d’autre part, le Tout est nécessairement illimité, car, s’il
avait une limite, ce qui serait au-delà de cette limite ne serait pas compris
dans le Tout, et cette supposition est absurde. Ce qui n’a pas de limite peut
être appelé l’Infini, et, comme il contient tout, cet Infini est le principe
de toutes choses. D’ailleurs, l’Infini est nécessairement un, car deux
Infinis qui ne seraient pas identiques s’excluraient l’un l’autre; il résulte
donc de là qu’il n’y a qu’un Principe unique de toutes choses, et ce Principe
est le Parfait, car l’Infini ne peut être tel que s’il est le Parfait. »
Le rapport du Non-Etre à l’Etre est
alors le rapport du non-manifesté au manifesté, et l’on peut dire que le
non-manifesté est supérieur au manifesté dont il est le principe, puisqu’il
contient en puissance tout le manifesté, plus ce qui n’est pas, n’a jamais
été et ne sera jamais manifesté. En même temps, on voit qu’il est impossible
de parler ici d’une distinction réelle, puisque le manifesté est contenu en
principe dans le non-manifesté; cependant, nous ne pouvons pas concevoir le
non-manifesté directement, mais seulement à travers le manifesté; cette
distinction existe donc pour nous, mais elle n’existe que pour nous. » Il en
est de même pour tous les aspects de la Dualité. |
4 O
orient
et occident |
René
GUÉNON |
Edition
de la Maisnie |
1987 |
Selon
R. Guénon, l’Occident devra revenir à des valeurs traditionnelles s’il veut empêcher
la dissolution qui le menace. ’Orient pourrait être le support d’un retour
vers ces valeurs mais cela ne se fera pas sans difficulté. R. Guénon énumère
les écueils à éviter. Extrait du livre : ‘’ On ne peut qu’être frappé à
première vue de la disproportion des deux ensembles qui constituent
respectivement ce que nous appelons l’Orient et l’Occident : s’il y a
opposition entre eux, il ne peut y avoir vraiment équivalence ni même
symétrie entre les deux termes de cette opposition. Il y a à cet égard une
différence comparable à celle qui existe géographiquement entre l’Asie et
l’Europe, la seconde n’apparaissant que comme un simple prolongement de la
première ; de même, la situation vraie de l’Occident par rapport à
l’Orient n’est au fond que celle d’un rameau détaché du tronc. Si l’on voulait figurer schématiquement la
divergence dont nous parlons, il ne faudrait donc pas tracer deux lignes
allant en s’écartant de part et d’autre d’un axe, mais l’Orient devrait être
représenté comme l’axe lui-même et l’Occident par une ligne partant de cet
axe et s’en éloignant à la façon d’un rameau qui se sépare du tronc, ainsi
que nous le disions précédemment. Ce symbole serait d’autant plus juste que,
au fond, depuis les temps dits historiques tout au moins, l’Occident n’a
jamais vécu intellectuellement, dans la mesure où il a eu une
intellectualité, que d’emprunts faits à l’Orient, directement ou
indirectement. La civilisation grecque elle-même est bien loin d’avoir eu
cette originalité que se plaisent à proclamer ceux qui sont incapables de
voir rien au-delà, et qui iraient volontiers jusqu’à prétendre que les Grecs
se sont calomniés lorsqu’il leur est arrivé de reconnaître ce qu’ils devaient
à l’Égypte, à la Phénicie, à la Chaldée, à la Perse et même à l’Inde Dans
un rapprochement avec l'Orient, l'Occident a tout à gagner ; si l'Orient
y a aussi quelque intérêt, ce n'est point un intérêt du même ordre, ni d'une
importance comparable, et cela ne suffirait pas à justifier la moindre
concession sur les choses essentielles ; d'ailleurs, rien ne saurait
primer les droits de la vérité. Montrer à l'Occident ses défauts, ses erreurs
et ses insuffisances, ce n'est point lui témoigner de l'hostilité, bien au
contraire, puisque c'est la seule façon de remédier au mal dont il souffre,
et dont il peut mourir s'il ne se ressaisit à temps. La tâche est ardue,
certes, et non exempte de désagréments ; mais peu importe, si l'on est
convaincu qu'elle est nécessaire ; que quelques-uns comprennent qu'elle
l'est vraiment, c'est tout ce que nous souhaitons’’ |
4 P
PARIS – LE CAIRE - Correspondance entre René Guénon et Louis Cattiaux de 1947 à 1950 |
R. D’Oultremont |
Edition Le Miroir D’Isis |
2011 |
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Alors quel sens peut-on trouver à cette correspondance, qui reflète en partie les préoccupations des esprits de l’époque ? Pour Louis Cattiaux un des buts était qu’il souhaité avoir une introduction de Guénon pour son ouvrage, en contrepartie il lui apportait des éléments de réflexions sur la genèse de son ouvrage. Finalement Guénon ne pourra écrire cette introduction, mais les échanges de lettres prouvent que René Guénon aimait ces échanges, tout en se détachant de plus en plus de ce monde. |
politica hermetica n° 16 |
par
Divers Auteurs |
Edition
L’ÂGE D’HOMME |
2002 |
René
GUENON
(1886 – 1951) – Vingt ouvrages publiés entre 1921 et 1965 et régulièrement réédités
témoignent de la portée d’une œuvre devenu emblème de l’anti modernité. Son
influence s’est répandue sur les deux rives de l’Atlantique puis, plus
tardivement, dans l’ensemble du monde musulman. René
Guénon voulut témoigner de la tradition éternelle et universelle, conservée
en Orient dans l’Inde Védantique en particulier, pour servir de modèle à
l’Occident dévoyé. Ses écrits s’adressaient à une élite capable de discerner
les traces de cette tradition éparses dans la symbolique religieuse ou dans
la Franc-Maçonnerie considéré par lui comme la dernière initiation régulière
de l’Occident. La théorisation de cette approche permettait de saisir la
vraie nature de l’ésotérisme. Deux
communications ont abordé la question fondamentale du statut et de la
fonction du texte écrit. Enfin la place du bouddhisme dans son œuvre et
l’enseignement à tirer de sa vision du Moyen Âge ont mis en relief les
articulations et les points de rupture entre les deux attitudes, critique et
engagée.
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prÉsence de renÉ guÉnon
– 2 TOMes- |
Jean
tourniac |
Edition
SOLEIL NATAL |
1993 |
2 volumes par Jean Tourniac, sur la présence invisible mais réelle de René Guénon dans l’œuvre et la métaphysique de la Franc-maçonnerie et de la chevalerie templière moderne. Le
1er tome est consacré à l’œuvre et l’univers rituel, le second parle de la
maçonnerie templière et de son message traditionnel. Je
crois qu’il est important ici de faire la distinction entre la Tradition
(écrite avec un « T » majuscule) et l’expression « Tradition
Primordiale » même si cette distinction n’est pas toujours très
clairement formulée chez Guénon. Pour le dire simplement, la Tradition est
l’essence de toutes les grandes traditions religieuses de l’humanité, ce qui
en fait un concept universel – c’est à mon sens le « génie » de
Guénon – puisqu’il serait possible de retrouver cette essence, autrement dit
le noyau spirituel de l’humanité, dans le corps substantiel des autres
religions. Dès lors, l’homme traditionnel, dans le sens guénonien du terme,
est en quelque sorte l’homme qui a creusé sa propre religion jusqu’à y
découvrir la sève première, la lumière originelle, qui est partout la même.
Ce que Frithjof Schuon appellera « l’unité transcendante des
religions ». Cette
Tradition est « réinventée » en fonction des lieux et des époques
où vivent les hommes ; elle est réinventée, bien sûr, dans la façon dont
les hommes l’appréhendent, et en témoignent dans leur vécu, mais demeure
immobile au regard de la roue du temps qui tourne. L’expression
« Tradition Primordiale » me semble plus problématique dans la
mesure où elle permet à Guénon de resituer, tout du moins tenter
de le faire, cette tradition dans le cours de l’histoire : il existerait
donc une souche primordiale de laquelle partiraient les différentes branches
religieuses au cours de l’humanité. Avec un début, l’hindouisme, et une fin,
l’islam, soit un processus linéaire, voire téléologique, qui expliquerait les
choses à partir de leur point d’arrivée, une forme d’évolutionnisme religieux
tout de même étonnant de la part de Guénon. Ce n’est d’ailleurs pas le sujet
sur lequel il est le plus à l’aise. L’impact
de l’œuvre de Guénon épouse les formes de sa réception et l’on peut dire à ce
sujet que l’auteur de La Crise du monde moderne a réussi un tour de
force : être lu par peu de personnes mais être lu et donc relu de façon
régulière au fil des générations qui passent. Cela prouve deux choses qui
sont intimement liées : la lecture de Guénon provoque, et c’est encore
le cas aujourd’hui, une sorte de secousse qui prend à revers tous les
préjugés qui fondent notre existence « moderne ». Dès lors, et
c’est le deuxième point, cette lecture marquante laisse une empreinte
profonde chez des personnes qui vont s’en faire par la suite les passeurs
privilégiés autour d’eux. Ainsi
s’organise une réception qui trace son sillon dans le champ intellectuel et
qui se renouvelle en fonction des générations prises en compte. C’est
pourquoi, n’en déplaise aux « guénolâtres » qui veulent enfermer
l’œuvre dans son écrin originel, on retrouve la référence à Guénon dans des
milieux aussi différents que ceux des spiritualités alternatives, des
pratiques contre-culturelles, des traditions religieuses et des engagements
alter politiques, |
propos sur renÉ guÉnon |
Jean
tourniac |
Edition derVy |
1973 |
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il
se présente comme le témoin d’une tradition primordiale et déclare, à partir
de ce lieu mythique, son étrangeté au pouvoir politique ou, de façon plus
souterraine, sa volonté d’en informer la réalité subtile. Guénon a été
profondément marqué par le milieu occultiste dans lequel il a forgé ses
premières armes conceptuelles au cours de la période 1906-1914. Deux éléments
essentiels à cette culture transparaissent tout le long de son
cheminement : une forme de connaissance et un mode de sociabilité. Son
premier article, publié en 1909 dans La Gnose, contient en toutes
lettres le cœur de son projet : « Il ne peut rien y avoir qui n’ait
un principe. » Et la remontée vers ce principe unique, identifié à
l’« Esprit universel », suppose une connaissance salvatrice,
c’est-à-dire une gnose qui permet de s’affranchir des conditions (limitées)
de l’existence. Guénon ne se détournera jamais de cette intuition fondatrice.
L’exposé aux contours occultisants laisse peu à peu la place à un discours
construit autour de deux axiomes complémentaires. La gnose bientôt renommée «
métaphysique » n’est pas un système qui se fonde sur la raison, comme la
science ou la philosophie, mais une connaissance qui se reflète dans
l’« intellect pur ». Elle est par conséquent une expérience de
l’être, en somme une initiation, dont le procès de vérification dépend
uniquement du témoignage individuel : « Se connaître revient à se
retrouver dans l’entière vérité de son être personnel il y a rencontre,
puis union de soi avec soi. » Cette foi inextinguible en son savoir est
le lieu d’où parle Guénon, son instance de légitimité. Par nature
invérifiable, elle place son détenteur dans la position de l’élu et se
concrétise dans le rappel des vérités premières d’une part, et le témoignage
de sa propre vérité d’autre part. Cette
volonté de connaissance s’accompagne, chez lui, d’un fort attachement aux
modes de sociabilité occultiste. D’abord, il se présente comme le
porte-parole, le révélateur en quelque sorte, d’une vérité cachée d’origine
non humaine – traduite sous l’expression « tradition primordiale ».
Cette posture n’est pas nouvelle ; elle caractérise les écrivains
occultistes qui s’inventent une filiation légendaire et revendiquent le
caractère visionnaire de leurs écrits. Ensuite, il partage le rêve (très
occultiste) de produire une synthèse universelle qui serait capable de relier
tous les plans de l’univers dans une même unité de sens. Son attitude
hautaine, parfois dédaigneuse, renvoie à la certitude de l’initié qui a percé
les arcanes de la connaissance pour retrouver l’harmonie perdue. À
partir des années 1920, l’auteur de La crise du monde moderne
s’éloigne de son port d’attache occultiste au fur et à mesure que sa
notoriété croît sur la scène intellectuelle. L’amateur des doctrines secrètes
disparaît sous l’identité plus respectable de l’essayiste politique et du
spécialiste de l’hindouisme. Pourtant, Guénon ne se coupe jamais complètement
d’une culture qui continue à irriguer son mode de pensée. D’une part, il
publie certains de ses ouvrages dans des maisons d’édition confidentielles
afin de toucher un public féru d’ésotérisme. D’autre part, il tisse des liens
avec de nombreux acteurs du monde occultiste et n’hésite pas à collaborer
avec des revues dont le tirage ne dépasse pas parfois la centaine
d’exemplaires. En
vérité, Guénon se pense et se voit davantage comme un témoin gnostique que
comme un intellectuel engagé. Outre l’importance de l’imaginaire occultiste,
il s’agit de promouvoir un nouveau mode de connaissance, non plus basée sur
la cognition rationnelle de la philosophie, mais sur l’« intuition
intellectuelle » de la gnose. Se joue ici toute la question de sa
légitimité. En effet, l’assise du gnostique et, plus largement, celle de
l’intellectuel ésotérique dépend moins de sa production écrite ou de son
discours prescripteur que de l’expérience dont il se veut le témoin
privilégié. Son rapport au politique suit une pente similaire :
contourner le lieu du pouvoir pour mieux en redéfinir les principes
constitutifs. En somme, remonter à la source du principe et prononcer la
vérité de l’être, non plus individuel, mais collectif. A priori, le chemin proposé par Guénon vise avant
tout l’éveil intellectuel (gnostique) de ses lecteurs/disciples. Dès lors, la
question du politique n’arrive pas en premier. Mieux, le positionnement
affiché se situe toujours en dehors ou au-dessus du politique. L’auteur d’Orient
et Occident rappelle à plusieurs reprises qu’il ne souhaite, en aucun
cas, participer aux joutes partisanes et se méfie tout particulièrement des
récupérations idéologiques. « Aucune tendance politique existant dans
l’Europe actuelle ne peut valablement se recommander de l’autorité d’idées ou
de doctrines traditionnelles, les principes faisant également défaut
partout » prévient-il. Cette mise en garde traduit en réalité une autre
approche du politique : celle qui met le Spirituel au-dessus du
Temporel. Et peut se décliner sous trois angles successifs : une grille
d’analyse, un mode opératif et une projection idéelle. Pour
Guénon, le pouvoir politique tire sa légitimité de l’autorité spirituelle
dans la mesure où sa fonction première réside dans la conformation de l’ordre
social avec les plans de la Providence. Cette lecture Théo politique, proche
de la pensée de saint Thomas d’Aquin, reçoit toutefois des prolongements plus
« hétérodoxes ». En premier lieu, ce n’est pas le modèle de la
chrétienté médiévale qui est privilégié, mais celui – beaucoup plus inattendu
pour l’époque – du régime des castes hindou. Au-delà des parallèles observés
entre les deux sociétés traditionnelles, Guénon promeut un système
très largement idéalisé dans lequel la caste sacerdotale incarne la
« connaissance transcendante et “suprême” » et irrigue l’ensemble
du corps social de son influence spirituelle. En
second lieu, la rupture entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle
devient la clé explicative de toute l’histoire de l’humanité. Ainsi, le
magistère des Brahmanes (prêtres) laisse la place au règne des Ksatriyas
(guerriers), ce qui se concrétisent en Occident par la révolte de
Philippe le Bel contre le pape Boniface VIII et la disparition de l’Ordre du
Temple (1314). Puis, la « descente » s’accélère avec l’emprise des
marchands (Vaishyas) sur le monde et, bientôt, l’avènement du
« bolchevisme » avec la dictature de la multitude (Sûdras).
Cette inversion complète des castes se traduit également par une baisse
d’intensité progressive de la spiritualité et débouche sur une critique
radicale de tous les éléments constitutifs du monde moderne : progrès,
démocratie, raison, individualisme, etc. Processus d’autant plus inéluctable
qu’il s’inscrit dans une conception du temps marqué par l’épuisement des
possibilités, et une histoire hantée par la fin du monde. En
dépit de ce diagnostic très sombre, Guénon n’apparaît jamais comme un
intellectuel dégagé des contingences terrestres. Au contraire, il continue à
œuvrer dans le sens d’une restauration traditionnelle. Et élabore, à cette
fin, un programme d’action métapolitique qui repose sur deux piliers :
une conception occulte du pouvoir et la constitution d’une élite
intellectuelle. René Guénon définit l’espace politique comme un vaste champ
psychique dans lequel il est possible d’agir sur l’opinion publique grâce à
l’influence de courants d’idées. Ainsi, la démocratie moderne ne serait
qu’une sorte de religion laïque portée par de « fausses élites » et
soutenue par la vénération de « grandes idoles » :
« Progrès », « Justice », « Égalité », etc. Par
conséquent, la réalité du pouvoir réside toujours dans les coulisses de
l’histoire, là où les groupes d’initiés se livrent une lutte permanente. Cette
foi gnostique trouve naturellement son aboutissement dans une projection
idéalisée de la civilisation traditionnelle. Si Guénon rejette toute
perspective utopique, il rêve bien d’une humanité placée sous la direction
d’une autorité spirituelle universelle dont la mission dernière consisterait
à déchirer l’enveloppe du temps pour se fondre dans l’unité primordiale (âge
d’or). Son propos n’est pas sans rappeler la pensée de Joseph de Maistre qui
décrit, sous couvert d’une défense absolue de l’infaillibilité pontificale,
la vision d’une nouvelle Europe unifiée sous l’égide d’un « Pasteur
commun ». Ou encore les écrits de Platon qui font du « Conseil
nocturne » (assemblée de prophètes) l’intellect invisible de la cité en
charge de traduire ici-bas l’influence des dieux. L’imaginaire reste plus que
jamais celui d’une théocratie parfaite. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre
les développements guénoniens relatifs à l’existence d’un « centre
initiatique suprême » ou à la symbolique du Roi du Monde. Ils continuent
à entretenir une forme d’ésotérisme politique – « autorité
invisible », « roi caché », etc. – à un moment où la science
positive dicte l’organisation des pouvoirs. En
définitive, l’attitude de Guénon à l’égard du politique reste
ambivalente : d’un côté, il y a la volonté de se situer en dehors ou
au-dessus des luttes temporelles et, de l’autre, la nécessité d’ordonner le pouvoir
politique autour de la connaissance transcendante. Avec en toile de fond la
critique d’un monde moderne jugé inapte à la chose spirituelle et, donc,
illégitime au regard de ses fins dernières. Ce positionnement hybride tient
en grande partie à la posture du gnostique, à savoir celle d’un clerc qui
parle au nom des « valeurs éternelles et désintéressées » sans se
soucier, toujours, des problèmes du temps présent. Est-ce pour autant un
intellectuel désengagé ? En réalité, c’est surtout la forme de l’engagement
qui revêt des atours spécifiques. |
psychologie |
Introduction,
notes et choix des Illustrations par A. GROSSATO |
Edition
Arché |
2001 |
Ouvrage
posthume de R. Guénon ou l’auteur décrit les composants essentiels de la psychologie
humaine. R. Guénon y consacre des pages extraordinaires à l’art de la mémoire
et à l’imagination créatrice. Le premier chapitre de Psychologie s’ouvre sur la distinction
entre une conception métaphysique de la psychologie et une conception de la
psychologie envisagée du seul point de vue psychologique, comme c’est le cas
pour ce qui concerne l’enseignement de la psychologie moderne dans son
ensemble : « Quand on parle de
psychologie il peut s’agir de deux choses très différentes qu’il est indispensable
de bien distinguer tout d’abord : d’une part, la psychologie métaphysique, c’est à dire la connaissance
de l’âme envisagée en elle-même dans sa véritable nature, et d’autre part, la
psychologie proprement dite positive ou expérimentale, qui est seulement
l’étude des phénomènes mentaux. » Selon le Vêdânta, sur le point de
vue duquel nous nous sommes basé pour nos commentaires, l’observation des
“phénomènes psychologiques” par le moyen de la concentration et de la
“connaissance directe” (pratyaksha)
fait l’objet d’une discrimination
permettant l’accès à la connaissance de l’être et des conditions de
son état. Cette connaissance peut commencer à partir de ce qui est suggéré : « Nous pouvons aller plus loin, car
le phénomène psychologique est, comme nous l’avons déjà dit, plus directement
perçus que les phénomènes extérieurs, il est donné plus immédiatement que
ceux- ci, qui, pour être perçu c’est-à-dire pour entrer dans le domaine de la
conscience doivent nécessairement revêtir eux aussi un caractère
psychologique, et même ce n ’est qu’à ce titre que leur existence en tant que
phénomène est concevable, le mot même de “phénomène” signifiant
étymologiquement ce qui apparaît ». En énumérant ultérieurement les
méthodes de l’observation des phénomènes psychologiques, Guénon souligne
immédiatement la possibilité de “l’observation objective” pouvant s’effectuer
sans référence immédiate au caractère
subjectif de la mémoire individuelle. Celle-ci, comme cela sera développée
par la suite, relevant spécifiquement du domaine de la “conscience
individuelle” « Nos idées préconçues peuvent aussi exercer une
influence sur les faits mentaux que nous observons en nous et les modifier
dans une certaine mesure, mais outre le recours à la mémoire on peut employer
alors l’observation objective au lieu de l’observation subjective. » Le chapitre III,
« Conscience, subconscience, inconscience », est essentiel pour
comprendre la nature et les limites de la psychologie et la situer à la place
qui lui revient. Comprendre ce qu’est la conscience est, dans ce domaine, la
première chose à envisager. Guénon en a donné en plusieurs endroits de son
œuvre une définition de ses diverses modalités qui reste à ce jour sans
équivalent. Nous en retrouvons ici la formulation complète : « La
conscience claire et distincte, ou la conscience normale, peut être
considérée comme occupant en quelque sorte la région centrale dans le domaine
de la conscience intégrale, et elle a, comme nous l’avons dit, des prolongements
qui occupent le reste de ce domaine. Or, il est évident que l’on peut
envisager des prolongements s’étendant en divers sens à partir du centre
commun auquel ils sont rattachés ; mais le mot de subconscience, par sa
composition, semble indiquer qu’il s’agit uniquement de prolongements
inférieurs de la conscience, et ce sont bien en effet ceux-là qu’on envisage
habituellement sous ce nom. Si
donc on admet la subconscience (et, d’après tout ce que nous avons dit, il
faut bien l’admettre), il semble qu’il y ait lieu aussi d’admettre
corrélativement une super conscience, c’est-à-dire un ensemble de
prolongements supérieurs de la conscience, ce que ne font pas en général les
psychologues. Cependant certains ont employé ce terme de super conscience,
mais dans un sens tout différent : ce sont les psychologues qui
admettent une pluralité de consciences, et ils appellent super conscience la
conscience centrale, par opposition aux consciences subordonnées. Employé de
cette façon, ce terme n’est en somme qu’un néologisme inutile, puisqu’il ne
désigne rien de plus que la conscience proprement dite ; il n’en est pas
de même lorsqu’on oppose la super conscience à la subconscience, comme nous
le faisons, en la distinguant en même temps de la conscience ordinaire ;
mais, comme l’étude de ce que peut être la super conscience ainsi entendue
sort entièrement de la psychologie classique, et que même il ne peut plus y
être question proprement de phénomènes psychologiques, il ne nous est pas
possible d’y insister davantage ici, et nous devons nous borner sur ce point
à ces quelques indications ». A
la philosophie et à la métaphysique reviennent logiquement la connaissance,
tandis que la conscience, considérée du point de vue individuel, ressort du
domaine de la psychologie et donc de l’ontologie. Quoi qu’il en soit, ces
deux termes sont susceptibles d’une transposition, dès lors qu’on les
envisage d’un point de vue supérieur, et non plus exclusivement selon les
limites de la raison, comme les philosophes le font généralement. Dans le
chapitre XVI des États multiples de
l’Être, Guénon distingue la conscience (individuelle) de la connaissance.
Cette conscience «…dont le domaine est seulement coextensif à celui de
certains états d’être déterminés » Ces états déterminés sont proprement le
champ de la conscience constitué par les informations sensorielles auxquelles
se superpose la condition psychologique individuelle. Cet ensemble qui
représente l’exercice de ce que les doctrines hindoues désignent par le
milieu mental (antahkarana) est
l’objet direct d’ahamkâra, la
conscience individualisée. L’auteur
du cours de psychologie, suivant le programme de philosophie de son temps,
met en garde l’étudiant sur la considération d’un “fait” dit “scientifique”
qui ne prenne pas en compte la caractéristique psychologique, et se
revendique même de manière abstraite, de toute psychologie, comme la démarche
moderne a pris l’habitude de l’imposer. Dans le chapitre IV, « la nature
de la conscience », sont réfutées toutes les imprécisions et autres erreurs
qui ont cours au sujet de la conscience. Celle-ci y est en effet définie
comme une unité distincte des faits psychologiques qui se produisent en elle.
Il importe, du point de vue métaphysique, que cette unité ne soit pas conçue
dans une distinction radicale du sujet et de l’objet, laissant ainsi la place
à certains modes de la pensée qui
peuvent être parfaitement conscients et qui sont même de l’ordre le plus
élevé, où une telle distinction ne peut exister. » Il y a là une référence à la non-dualité dans laquelle la
conscience individuelle a son principe immédiat. Selon le Vêdânta, la
conscience individuelle est définie comme possédant la fonction d’exprimer la
Conscience (çaitanya) délimitée
(illusoirement) par identification avec la perception sensible qui s’exprime
ordinairement par : « Je suis le
corps ». Guénon, enfin, décrit la conscience comme centre de
l’activité de l’être auquel sont subordonnés les sensations, les activités
sensorielles, les facultés mentales, les conditions psychologiques, les états
transitoires, la mémoire etc. Cette
énumération distinctive permet à l’auteur de conclure sur le caractère
radical de la conscience : «
En un mot la conscience, par sa nature et par ses fonctions, est quelque
chose d’irréductible et toute étude
que l'on en fait la montre comme une activité d’un genre tout spécial, qui
n’est assimilable à aucun autre. » ……… |
4 Q
que vous a apportÉ renÉ
guÉnon ? |
D.
gattegno & Th. JOLIF |
Edition
Dualpha |
2002 |
||
|
4 R
rÉflexions d’un chrÉtien sur la
franc-maçonnerie |
Denys roman |
Editions
TRADITIONNELLES |
1995 |
«
La Maçonnerie elle-même a-t-elle une origine unique, ou n’a-t-elle pas plutôt
recueilli, dès le Moyen Âge, l’héritage de multiples organisations
antérieures ? »
|
renÉ guÉnon |
|
Le
Cercle de Lumière |
1993 |
Colloque du centenaire
Domus Medica, avec des interventions de Jean
Borella, J.P. Schnetzler, J. Tourniac, J. Biès etc… Des articles qui
contribuent à une meilleure connaissance de René Guénon. |
renÉ guÉnon |
|
ARCADIA |
1998 |
Deux
gros cahiers – nombreux articles sur sa vie, son œuvre et son implication
dans la vie maçonnique et dans son enseignement de la métaphysique. Un
Français vit depuis des années en Orient et il ne se distingue pas en
apparence de la foule des musulmans qu'il côtoie. Pourtant cet inconnu
recevait avant la guerre un courrier d'ambassadeur. De tous les coins du
monde, des continents les plus anciens et les plus nouveaux, de l'Inde et de
l'Amérique, des hommes soucieux des plus hautes questions sollicitaient de sa
part un avis ou un éclaircissement. Ce Français a fait paraître, entre 1921
et 1932, une trentaine d'ouvrages. Des traducteurs italiens et anglais, des
penseurs allemands lui ont consacré des études où ils reconnaissent en sa
personne le centre d'une « France inconnue ». Cependant, chez nous, qui
connaît René Guénon, sauf ceux qui le plagient, le craignent ou le haïssent
et par conséquent se taisent? Personne sans doute ne s'étonnera d'une aussi
banale aventure, celle d'un initiateur de haute classe méconnu dans le pays
qui fut sien, personne, sinon les naïfs qui croient à la spontanéité des
modes et à la gratuité des réputations, même quand il s'agit de modes de
l'esprit ou de réputations intellectuelles. A des yeux avertis le monde qui
vient de périr n'apparaissait pas moins camouflé ou truqué que la Suisse de
Tartarin. S'il existait à cet égard des différences entre les peuples, il ne
s'agissait que de degrés dans la suggestion subie.
Ceux
qui savent un peu de quoi il s'agit ne doivent pas s'étonner que les moyens
mis en oeuvre pour cette réalisation - mots, rites ou symboles - n'aient pas
de mesure commune avec la fin visée. Ces moyens ne constituent que des
supports pour l'obtention d'un résultat qui les dépasse infiniment et qui
n'est nullement leur conséquence. Ils ne sont d'ailleurs pas obligatoires.
Ils ne font que faciliter un travail qui peut être obtenu d'autres façons. En
exposant dans ses ouvrages la nature et la portée de la connaissance ainsi
déterminée, René Guénon a illuminé comme on ne l'avait pas fait auparavant,
les problèmes capitaux qui se posent à notre époque et il permet de les
résoudre de la façon la plus claire. Les plus difficiles de ses lecteurs ont
l'agréable et reposante certitude de « survoler » les différents antagonismes
qui déchirent les esprits d'aujourd'hui. Pour beaucoup d'hommes ses livres
furent les messagers du bonheur, du moins pour ceux dont le bonheur commence
au moment où ils ont pu comprendre. Ils purent connaître l'accord des idées
avec la vie, le calme exaltant, la sérénité libératrice qui dilate, si l'on
peut dire, le moi à la mesure du Soi-même, efface toute inquiétude et fait
atteindre à l'esprit un degré supérieur, d'où il ne peut plus redescendre.
|
renÉ guÉnon |
Paul serant |
Edition
LA COLOMBE |
1953 |
||
Puis
le corps d’Abd el Wahed Yahia - c’était le nom musulman de Guénon - a
traversé toute la ville pour être conduit d’abord à la mosquée Sayidna
Hussein, ensuite au cimetière de Darassa. C’était un cortège modeste, réduit
à la famille et à quelques amis. (…) J’ai gravi ce matin la colline de
Mokatan, pour aller visiter la tombe de celui qui fut mon compatriote,
quoique sa rupture avec l’Occident eût été farouche, irréductible. Entre les
tombeaux des Califes et la Citadelle, la nécropole déroule ses quartiers
funéraires, où l’on circule par des ruelles poussiéreuses. Quelques
coupoles et quelques minarets jalonnent cette multitude de maisonnettes
blanches et grises, dont chacune est une maison des morts. On croirait une
ville abandonnée ou frappée de quelque fléau. J’ai manqué me perdre dans le
dédale des tombes. Et puis, l’une des petites maisons vides m’a ouvert sa
porte et ses fenêtres à volets de bois. C’était le caveau de la famille
Mohammed Ibrahim, la belle-famille de René Guénon : une salle étroite et
nue, à laquelle deux pierres tombales donnent un air de chapelle. Sur le sol,
au milieu du dallage, se découpe une trappe, fermée par un plancher :
c’est l’entrée du caveau proprement dit, où René Guénon repose depuis cette
semaine, auprès de la famille qu’il a élue. Je
songe au destin qui s’achève là, et qui était parti, voilà soixante-trois ans,
du cœur de la France. J’évoque ce Français des rives de la Loire - il était
né à Blois - et des rives de la Seine, puisque son dernier domicile parisien
fut dans l’île Saint-Louis. Quand s’est-il converti à l’islam ? Au
Maroc, me dit-on, avant qu’il n’arrivât en Egypte il y a vingt ans. (…) Il
avait dit dans la journée du 7 janvier, à sa femme, la douce Fatma :
" Je sens bien que c’est la fin, je vais mourir. " Et il lui donna
l’ordre que rien, désormais, ne fût changé de place dans son cabinet. Il ajouta :
" Sois sans inquiétude. Je ne te quitterai pas. Vous ne me verrez plus.
Mais je serai là, et moi je vous verrai. " Alors maintenant, quand l’un
des enfants n’est pas sage - que ce soit la petite Khadija, aux nattes
brunes, ou Leïla, la cadette, une blonde aux yeux bleus, ou Ahmed, qui n’a
pas deux ans - la mère lui dit : " Comment oses-tu pleurer sous le
regard de ton père ? " Et l’enfant se tait en présence de
l’invisible |
renÉ GUÉNON
– approche d’un homme complexe |
Jean
urcin |
Edition
IVOIRE – CLAIR |
2005 |
Présenter
en quelques mots la vie et l’œuvre de René Guénon est chose
impossible : polémiste, théologien, mystique, philosophe, orientaliste…
Chaque qualificatif paraît correspondre mais aucun n’est suffisant et
lui-même les eut tous rejetés en bloc. Pourtant, cinquante ans après sa mort,
René Guénon reste un auteur incontournable pour qui s’intéresse au
symbolisme, au soufisme, à la Franc-maçonnerie, à la métaphysique, aux
philosophies orientales ou aux débats intellectuels de la France d’entre-deux
guerres…Jean Ursin fréquente assidûment l’œuvre de René Guénon depuis
plus d’un quart de siècle. Il synthétise ici plusieurs conférences privées
présentant le Maître, agrémentées de nombreuses citations et d’un essai de
bibliographie raisonnée, propre à guider les premiers pas des nombreux
lecteurs potentiels de René Guénon. Extrêmement
exigeant dans sa quête initiatique, René Guénon s’applique à pénétrer les
sociétés ésotériques européennes de son temps, mais il semblerait que ce soit
pour mieux les remettre en question : il détruit ainsi spiritisme,
théosophisme et occultisme, en réfutant leurs théories fondatrices. « Lire Guénon, c’est se livrer à une ascèse
intellectuelle rigoureuse ; celui qui n’est pas prêt à faire cet exercice ne
doit pas entreprendre ce travail. Or les choses ne sont pas si simples, et le
premier travail de Guénon est de clarifier d’une façon magistrale le sens de tous
les mots clés du vocabulaire « spirituel » des occidentaux, y
compris quelques mots de Sanskrits qui ont beaucoup souffert de leur
déracinement spirituel…Ce travail de connaissance théorique se divise en deux
parties. La première, qui est purificatrice, est l’oeuvre critique de Guénon
dans laquelle il démonte sans concession l’attirail
« intellectuel » du scientisme matérialiste et de son apparent
opposé, le néo-spiritualisme La partie critique de l’oeuvre de Guénon n’est
pas une fin en soi, elle n’est que l’introduction nécessaire à un exposé
méthodique de certaines doctrines traditionnelles, en particulier dans leur
aspect métaphysique qui est la moelle de toute de cette connaissance et qui
est le but même de tous les exercices du Yoga. Les pandits les plus orthodoxes, à
qui Alain Daniélou a soumis les ouvrages de Guénon, furent catégoriques:
« de tous les Occidentaux qui se sont occupés des doctrines hindoues,
seul Guénon en a vraiment compris le sens » (Chacornac).Les doctrines
traditionnelles, contenues synthétiquement dans certains symboles, sont de
nature à servir de support de méditation. On comprendra qu’une biographie de
Guénon n’a pas grand intérêt puisqu’il est hors de question de mettre son
enseignement métaphysique en relation de dépendance avec les événements de sa
vie. S’il y a une relation entre la vie et l’oeuvre, c’est dans le sens où la
vie fut au service de l’oeuvre, elle n’est pas l’explication de l’oeuvre,
elle en est une illustration tout au plus. Mais si cette vie fut exemplaire,
Guénon n’a pas voulu la donner en exemple. Dans toute son oeuvre aussi bien
que dans son énorme correspondance il reste muet sur lui–même. « La
personnalité de René Guénon ne nous intéresse pas » a-t-il répondu à
quelqu’un qui le pressait de questions biographiques. Arrêtons-nous un instant car il y
a un problème de méthode lorsqu’on aborde une vie aussi délibérément cachée
que celle de Guénon. Prétendre tout expliquer à partir du peu que l’on
connaît serait d’une incroyable présomption et ce serait, d’ailleurs, vouloir
faire sortir le plus du moins. En effet, si l’on compare les écrits de Guénon
avec ceux d’auteurs antérieurs ayant abordé certains thèmes « guénoniens »,
comme le fait Jean Pierre Laurant, on est frappé par l’irréductibilité de son
oeuvre à ce qui ne peut être considéré comme une source. L’utilisation de la
méthode psychologique et de la méthode historico-matérialiste à propos d’une
oeuvre d’une telle hauteur a quelque chose de grotesque. Plusieurs ont
pourtant donné dans ce genre. Notre méthode consistera â exposer le point de
vue de Guénon lui-même sur ce qu’il dit être « sa mission », et
aussi certains points de son enseignement qui, bien que présentés d’une façon
tout à fait générale, pourraient aussi s’appliquer à lui. Guénon ayant toujours refusé très
clairement d’avoir des disciples, il n’existe aucune biographie
« officielle » de lui. C’est la force de la vérité qu’elle
communique qui fait vivre son oeuvre, et non une école ou une institution quelconque.
Donc, peu de temps semble-t-il après son arrivée à Paris, Guénon entra dans
le mouvement occultiste. « Ce mouvement datait déjà de 1888 et avait
pour chef incontesté le docteur Encausse qui, sous le pseudonyme de Papus,
dirigeait alors le groupe indépendant d’études ésotériques dont dépendait
l’École Hermétique » (Chacornac). II se fit admettre dans toutes les
organisations qui se groupaient autour du mouvement. A propos de cette
période Guénon devait écrire en Mai 1932: « Si nous avons dû, à une
certaine époque, pénétrer dans tels ou tels milieux, c’est pour des raisons
qui ne regardent que nous seul. Toujours est-il que quatre ans après son
arrivée à Paris, il rompait avec l’occultisme papusien d’une façon
spectaculaire, que Chacornac rapporte dans sa biographie « Lors du
congrès Spiritualiste et Maçonnique de 1908… René Guénon était présent comme
secrétaire du bureau, Il se tint sur l’estrade d’honneur, revêtu de son
cordon. Ce fut là sa seule participation au Congrès. Il s’en retira, choqué
par une phrase, dite par Papus, dans son discours d’ouverture : « Les
sociétés futures seront transformées par la certitude de deux vérités
fondamentales du spiritualisme: la survivance et la réincarnation ». Commentant celte opposition
radicale de Guénon à l’occultisme, Jean Robin écrit « Personne en
Occident, et surtout pas les occultistes, à quelque mouvement qu’ils
appartinssent, n’aurait pu démontrer à un néophyte l’erreur métaphysique de
la réincarnation, qui était à l’époque, et qui est toujours dans nombre de
cercles néo-spiritualistes, une notion de base, une croyance tout à fait
établie ». Comme il est hors de question que Guénon ait
« réinventé » la métaphysique comme Pascal les premières
propositions d’Euclide, et que cela, d’ailleurs, s’opposerait à ses propres
affirmations, il faut en conclure qu’il avait dès cet âge reçu un
enseignement métaphysique traditionnel. En 1909, il écrivit: « Le
tort de la plupart de ces doctrines soi-disant spiritualistes, c’est de
n’être que du matérialisme transposé sur un autre plan, et de vouloir
appliquer au domaine de l’esprit les méthodes que la science ordinaire
emploie pour étudier le monde physique. Ces méthodes expérimentales ne feront
jamais connaître autre chose que de simples phénomènes, sur lesquels il est
impossible d’édifier une théorie métaphysique quelconque, car un principe
universel ne peut pas s’inférer de faits particuliers. D’ailleurs, la
prétention d’acquérir la connaissance du monde spirituel par des moyens
matériels est évidemment absurde; cette connaissance, c’est en nous-mêmes
seulement que nous pouvons en trouver les principes, et non dans les objets
extérieurs ».Nous avons là, en trois phrases, une véritable synthèse de
l’oeuvre guénonienne, tout y est en germe dès le départ. Juste après ce fameux Congrès
Spiritualiste de 1908 Guenon demanda à Fabre des Essarts qui, sous le nom de
Synésius, était patriarche de l’Église Gnostique, d’être admis dans son
organisation. En 1909 il fondait la revue « la Gnose ». Ce fut dans
les premiers numéros que parut le premier texte publié de Guénon, sous son
nom gnostique de Palingénius. Le titre était « le Démiurge ». Cet
article montre d’emblée sa maîtrise. « Ce qui est à retenir, c’est qu’il
témoigne déjà d’une connaissance très sûre de la métaphysique hindoue dont
les thèmes essentiels sont mis en lumière, appuyés par des textes de
Sankarâchârya » (Chacornac). Il publia dans ce journal la première
rédaction du « Symbolisme de la Croix », l’essentiel de
« l’Homme et son devenir selon la Vedanta » et de nombreux articles
sur les « Principes du calcul infinitésimal » et sur la
« Franc-Maçonnerie », ainsi que sur les « Conditions de
l’existence corporelle »: autant dire tout l’essentiel de son oeuvre à
venir. il devait fonder et diriger à partir de 1908 un Ordre du Temple Rénové
(O.T.R.), obéissant à des « communications par écriture directe »
que reçurent plusieurs membres de l’Ordre Martiniste. L’OTR se voulait une
résurgence de l’Ordre du Temple détruit par Philippe le Bel six siècles plus tôt.
Mais dès 1911 les « Maîtres Inconnus » qui dirigeaient
l’organisation ordonnèrent à Guénon de dissoudre l’O.T.R, ce qu’il fit. Nous
rencontrons la, une fois encore, un point d’interrogation qui ne sera sans
doute jamais complètement levé. A ce propos nous pouvons citer une
hypothèse, émise par Michel Vâlsan, qui lut, avec Coomaraswamy, le
collaborateur de Guénon auquel celui-ci exprima la plus vive et constante
sympathie. Michel Vâlsan évoque « la possibilité qu’une initiation
proprement occidentale, mais n’existant plus en Occident, se réactualise dans
un milieu intellectuel propice, avec des moyens appropriés. A la même époque
que son travail dans la Gnose et que la fondation de l’O.T.R., Guénon fut
admis à la Loge Thébah, relevant de la Grande Loge de France, Rite Écossais
et Ancien Accepté. Il y resta en activité jusqu’à la guerre de 1914, qui mit
les loges en sommeil. Ensuite il ne cessa de s’intéresser à la Maçonnerie,
dont il ne fut jamais exclu. Dans ces milieux gnostiques ou occultistes
Guénon rencontra deux hommes qui eurent une certaine influence sur son
cheminement. L’un d’eux fut Albert Puyou, comte de Pouvourville. Il avait
rempli au Tonkin des fonctions militaires et administratives. Connaissant le
chinois, il reçut l’initiation Taoïste sous le nom de Matgioi. Ses deux ouvrages
principaux sont « La Voie Métaphysique » et « La Voie
Rationnelle », auxquels Guénon fait référence dans le « Symbolisme
de la Croix ». En matière de Taoïsme, Chacornac affirme que Guénon reçu
plus que Matgioi, ce qui implique, pensons-nous, qu’il fut initié. Il avance
même le nom du Tong-Sang Luat, fils cadet du « Maitre des
Sentences », comme ayant été l’un des Maîtres chinois de Guénon. Cela,
en tout cas, est en accord pour l’essentiel avec les affirmations de Guénon
lui-même. L’autre homme qui eut une
influence sur Guénon fut John Gustaf Aguélii, peintre suédois au destin
énigmatique. Son nom d’artiste était Ivan Aguélii, il peignait entre autres
des « poèmes en couleur » inspiré par Baudelaire. Aguélii avait un
don pour l’étude des langues: sa vie vagabonde comporta un séjour d’un an en
prison, temps qu’il employa à l’étude de l’hébreu, de l’arabe et du malais.
Il apprit ensuite l’hindoustani et le sanskrit. Vers 1897 il devint musulman,
il rencontra en Egypte le Sheikh Elish Abder Rahman el Kébir (Le serviteur du
Dieu grand), un des hommes les plus célèbres de l’Islam dans l’ordre
exotérique aussi bien qu’ésotérique. Ce Sheikh l’initia au Taçawwuf et Ivan
Aguélii devint ainsi Abdul -Hâdi, et « Moqadem » de son initiateur,
c’est-à-dire son représentant et initiateur lui–même. Abdul-Hâdi fut le
collaborateur de Guénon-Palingénius dans la Gnose. Comme il le précisa
lui-même, Guénon reçu l’initiation islamique en 1912 soit à l’âge de 26 ans.
On suppose qu’Abdul-Hâdi fut son initiateur. Nous avons vu qu’en 1912 Guénon
reçu l’initiation islamique. C’est cette même année qu’il se maria
catholiquement avec une jeune femme de 29 ans, Berthe Loury, cultivée et
musicienne, dont la famille possédait un domaine « Le Portail «, près de
Chinon. […] Plusieurs personnes se sont choquées de ce double rattachement de
Guénon: au Catholicisme sur le plan familial par son mariage et son
éducation, et au soufisme sur le plan initiatique et personnel; d’autant plus
qu’il semble bien que sa femme ait toujours ignoré cette initiation; mais il
n’y avait rien là que de très normal. Ayant à faire en France il devait y
rester et ce ne pouvait être que comme Catholique, étant donné qu’il
reconnaissait dans l’Église Catholique la seule organisation exotérique
traditionnelle que possède encore l’occident. Quant à sa vie personnelle, il
était légitime qu’il adhéra au soufisme puisque l’Occident ne proposait plus
en matière d’ésotérisme (du moins selon ce qu’il en avait vu, car il ne ferma
jamais la porte à certaines possibilités) qu’une Maçonnerie dégénérée, et
d’ailleurs limitée aux petits mystères, c’est-à-dire au développement des
possibilités proprement humaines de l’être. Le soufisme n’était pas ainsi
limité. De nombreuses raisons sans doute
ont fait que Guénon a choisi le soufisme pour sa voie personnelle. On a
invoqué l’adaptation de l’Islam aux conditions de la vie contemporaine, due
au fait qu’il s’agit de la dernière tradition révélée. Mais de toute façon
Guénon ne pouvait pas devenir Hindou, bien que son oeuvre s’appuie surtout
sur la doctrine hindoue, à cause de sa grande richesse et clarté et à cause
de sa proximité avec la Tradition Primordiale, dont il fut lui-même une sorte
de témoin. En effet, comme M. Jean Herbert l’écrivait en 1951 « on peut
naître Hindou et l’on peut aussi perdre cette qualité, mais on ne peut ni
devenir Hindou ni même le redevenir si on a cessé de l’être, pas plus qu’on
ne peut devenir nègre ». Guénon « avait acquis a
certitude qu’il y avait, de par le monde, des groupes qui s’efforçaient
consciemment de jeter le discrédit sur tout ce qui subsiste d’organisations
traditionnelles, qu’elles soient de caractère religieux ou de caractère
initiatique »(Chacornac). La technique employée consistait à développer
des contrefaçons grotesques de ces organisations en les faisant passer pour
l’original afin de les discréditer, puis d’opposer ce qui devait normalement
être complémentaire. Le résultat fut une Maçonnerie anticléricale et un
Catholicisme anti-initiatique. La restauration traditionnelle à la fois
exotérique et ésotérique à laquelle travailla Guénon le plaçait entre le
« marteau et l’enclume ». C’est ainsi qu’il fut conduit à écrire
dans la « France Anti-Maçonnique », pour critiquer la tendance
politique et moderniste des Maçons contemporains et les réorienter vers
l’initiation véritable; et qu’il dû, lui le soufi, défendre la légitimité et
la régularité traditionnelle de l’Eglise Catholique. Le 15 janvier 1928 René Guénon eut
la douleur de perdre sa femme, emportée par une méningite. Neuf mois après,
sa tante Me. Duru mourrait. Six mois après, la mère de sa nièce Françoise
revint chercher sa fille [qu’il avait élevée jusqu’alors, avec sa femme], qui
avait alors quatorze ans. Il se retrouvait aussi seul familialement qu’intellectuellement.
En mars 1930 Guénon toucha la terre d’Égypte accompagné de la personne qui
avait fondé les éditions Véga. Ce voyage d’une durée limitée devait servir à
collecter puis traduire des textes islamiques. En fait Guénon prolongea son
séjour jusqu’à le rendre définitif. Ce retrait de Guénon au pied des
Pyramides est l’un des grands points d’interrogation de sa vie. II s’explique
assez facilement par le fait que Guénon avait épuisé tous les contacts
possibles en Occident aussi bien du côté exotérique que du côté ésotérique. II
faut dire et redire, car c’est un des points sur lesquels les fausses
informations, pas toujours innocentes, circulent le plus, que cette
« fuite en Égypte », ce retrait au désert ne doit pas être
interprété comme une condamnation définitive de l’Occident. Si cela était,
Guénon aurait cessé d’écrire, or il n’a jamais tant écrit et dans tous les
milieux. Déjà en France, ses relations dépassaient largement les frontières. Il est évident qu’une des raisons
qui décida de l’implantation de Guénon en Égypte fut qu’il trouva là, un lieu
favorable à son propre cheminement spirituel. On sait qu’il pratiqua
scrupuleusement les rites exotériques et ésotériques de l’islam, qu’il
utilisa les lieux propices à ces rites, priant tous les matins devant le
tombeau du saint dans la mosquée de Seyidna el Hussein. Quant au niveau
spirituel qu’il atteignit, c’est là son secret. Tout ce qu’on peut dire c’est
que Ramana Maharshi lorsqu’il parlait de lui l’appelait « the great
soufi » ce qui dans sa bouche voulait bien strictement dire « le
grand initié ». « Guénon vivait au Caire discrètement, n’ayant
aucune relation avec le milieu européen: il n’était plus le français René
Guénon, mais le Sheikh Abdel Wahêd Yehia (Le Serviteur de l’Unique Jean)
ayant adopté us et coutumes de sa nouvelle patrie » (Chacornac). En juillet 1934, le Sheikh Abdel
Wahêd Yehia épousa la fille aînée du Sheikh Mohammad Ibrahim; il devait par
la suite devenir égyptien pour assurer plus d’unité à sa famille. Guénon et
sa femme allèrent habiter une villa près des pyramides, qu’il baptisa
« Fatma », par affection pour son épouse dont c’était le prénom.
Dans son cabinet de travail, outre un bureau et une bibliothèque
soigneusement rangée, on remarquait trois inscriptions en arabe sur les murs:
Derrière lui « Plus tu seras reconnaissant et plus tu seras
comblé », à droite « qu’est–ce que la victoire, sinon celle qui
vient de Dieu », et à gauche « Allah est Allah et Mohammed est son
Prophète ».En 1944, Guénon eut la joie de voir naître une première
fille, Khadija. En décembre 1950, il dut cesser tout travail. Le 7 janvier
1951 au matin, il déclara que c’était la fin. Il dit à sa femme, qui fut
admirable de dévouement auprès de lui, qu’il désirait que son cabinet de
travail fut maintenu avec ses meubles tel quel, et qu’invisible, il y serait
quand même. Vers vingt-deux heures il se dressa sur sa couche en s’écriant:
« El Nafass Whalass » (l’âme s’en va). A vingt-trois heures il
mourut. Ses dernières paroles furent: « Allah, Allah ». |
renÉ guÉnon –
biographie & œuvres |
Divers
Auteurs |
Edition LES CAHIERS DE L’HERNE N° 49 |
1985 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Un
ouvrage de référence qui développe :
|
rené guÉnon
– La contemplation mÉtaphysique & l’expÉrience mystique |
Christophe
andruzac |
Edition
Dervy |
1980 |
La réalisation métaphysique : voilà le
concept de base de René Guénon. C’est autour de cette phrase que l’auteur va
développer son argumentation. Il
développe également la différence entre l’expérience de l’Être et
l’expérience mystique entre René Guénon et St Jean de la Croix. Au sommaire de cet ouvrage : Le
point de départ de la philosophie et ses différentes parties – Découverte
de la Sagesse métaphysique - Les
vestiges du divin : L’ordre de la manifestation - La
Sagesse initiatique et apophatique - Analyse
de quelques concepts orientaux - Découverte
de la Doctrina sacra Distinction
des deux voies chrétiennes - La
dogmatique comme support initiatique - La
critique de Jacques Maritain et du cardinal Daniélou - Quelques
textes de saint Thomas d’Aquin |
RENÉ GUÉNON et
L’AVÉNEMENT DU 3e SCEAU, SUIVI
DE : LES CLÉS DES DEMEURES SPIRITUELLES
DANS LES FUTÛHÂT D’IBN ARABÎ
|
CH.
ANDRE GILIS |
EDITIONS
TRADITIONNELLES |
1991 |
Dès
1953 Michel Valsan notait, que la place que René Guénon fit à l’Islam
dans ses études fut, en comparaison avec celle qu’y trouve l’Hindouisme
ou le Taoïsme, assez restreinte, malgré les fréquentes références qu’il fait
à la métaphysique et à l’ésotérisme islamique. Ce
livre poursuit l’étude de la pensée de R. Guénon sur cette métaphysique
islamique et met en valeur quelques idées fortes de cet
ésotérisme. Ce
livre développe les sujets suivants : Le cœur et l’intellect L’apport de l’Hindouisme dans l’Islam La science des symboles La doctrine des trois Sceaux L’inspiration du Centre Suprême Rassembler ce qui est épars A la suite
de ces études, est présenté les 4 clés des demeures spirituelles d’Ibn
Arabî |
renÉ guÉnon
& l’actualitÉ de la pensÉe traditionnelle |
Un
Collectif |
Edition
ARCHÉ – MILAN |
1980 |
||
Se pose ici la
question de l’initiation
largement développée par l’auteur. Pour Guénon, l’initiation relève d’un
groupe rattaché à une tradition viable parce que « la tradition primordiale
doit effectivement déboucher sur une réalisation métaphysique, c’est-à-dire
une voie de ressourcement intérieur qui engage l’individu sur le chemin de la
connaissance. Les modes d’accès en Occident sont la franc-maçonnerie demeurée
opérative et non
pas sa version spéculative
et laïciste, et l’Église catholique. Mais il reconnaît que ces deux voies
sont presque fermées et invite ceux qui le souhaitent à se convertir à une
religion d’Orient, l’islam par exemple. Pour les personnes tentées par
l’hindouisme, il les invite à s’installer en Inde. René Guénon est conscient
de sa fonction de pôle intellectuel. Son « écriture comporte une part
vocationnelle. Elle doit dire
la métaphysique dans une “ langue profane ”, c’est-à-dire rappeler les
principes immémoriaux de la connaissance à un monde coupé de ses racines
transcendantes La présence de Guénon est plus forte encore
chez « Jean Hani, Jean Biès et Jean Borella [qui] tiennent finalement une
place particulière dans la galaxie traditionniste. Outre leur formation
universitaire, ils ont toujours cherché à concilier Guénon, le “ maître de
doctrine ”, avec son principal continuateur, Schuon, le “ maître de
spiritualité ” Ils peuvent être considérés comme les premiers intellectuels
chrétiens d’inspiration guénonienne |
renÉ guÉnon
& la massÉnie du saint graal |
Erik
sablé |
Edition
LE MOULIN DE L’ETOILE |
2008 |
René
Guénon avait des conceptions très particulières sur l’ésotérisme des
Templiers et l’origine de la Rose-Croix.
|
renÉ guÉnon
& l’archÉomètre |
Bruno HAPEL |
Edition TRÉDANIEL |
1996 |
En
1911, les Amis de Saint-Yves rassemblent, avec bien des difficultés, diverses
notes et publient un ouvrage intitulé l’Archéomètre
par Saint-Yves d’Alveydre qui se distingue
surtout par son caractère touffu. La revue La Gnose, dont le directeur n’est
autre que René Guénon (Palingénius), publie entre juillet 1910 et février
1912 une série d’articles parue sous le titre L’Archéomètre.
On
en retrouve, en effet, l’écho dans de nombreux articles et ouvrages,
notamment la Grande Triade qui est d’une certaine façon son « testament ».
Qui s’intéresse aux symboles fondamentaux de la Science sacrée comme à la
Science des lettres ne peut rester indifférent à cette étude surprenante. |
renÉ guÉnon
& le Centre du Monde |
Mircea
a. tamas |
Edition
ROSE-CROIX BOOKS |
2007 |
||
Bien
que la tradition ait été orale à son origine, nous devons accepter qu’elle
puisse également être écrite, comme les textes sacrés traditionnels, qui ont
une très grande importance aujourd’hui. Nous devrions ajouter
qu’étymologiquement tradition signifie « ce qui se transmet » d’une façon ou
d’une autre ; pourtant, nous parlons ici de la transmission d’éléments
sacrés, transmission qui s’opère sans interruption à l’aide d’une voie
régulière et continue ; quant aux éléments eux-mêmes, leur origine est
au-delà du cycle de la présente humanité, c’est-à-dire qu’ils ont une origine
« non-humaine ».
Comme l’a dit René Guénon, le Centre est l’origine, la source
du tout, ce qui est parfaitement illustré par le centre d’un cercle. Il
représente aussi l’image du Principe relation analogique qui explique
pourquoi tous les rites et traditions authentiques sont entièrement organisés
autour du symbolisme du centre. Dieu, par Son
Verbe, devient Le Centre du Monde. |
RENḖ
GUḖNON ET LE CHRISTIANISME – LE RENDEZ-VOUS
MANQUḖ |
Divers
auteurs |
Edition
Epignosis |
2018 |
René Guénon fut au
vingtième siècle le grand restaurateur d'une conception universelle des
doctrines sacrées et le théoricien de la Tradition au sens métaphysique. Ses
ouvrages se sont avérés, pour beaucoup de chercheurs de vérité en quête du
sacré, une révélation éclatante faisant écho à leurs fondamentales intuitions
métaphysiques et mystiques. Mais le constat, précisément, est là : pour la
plupart de ses lecteurs, René Guénon se réduit à des livres, et des
successeurs essentiellement livresques, et théoriques. L'apport théorique
(immense) est inversement proportionnel à l'institution d'une forme pratique
de transmission spirituelle (inexistante ou quasi) dans notre Occident
chrétien. Les lecteurs plus ou moins avertis de Guénon et des ouvrages de
doctrine traditionnelle le savent depuis des décennies : faire aboutir cette
doctrine en une Voie spirituelle pratique, une tradition spécifique à
laquelle se rattacher, est la grande question qui brûle les lèvres de
générations de lecteurs. Cet ouvrage se confronte sans ambages à la question,
et entre résolument dans le champ des polémiques qui ont déjà eu lieu, pour y
faire entendre une bonne fois la voix du bon sens et de la doctrine
traditionnelle la plus rigoureuse. Il entend résoudre l'imbroglio, toujours
en définitive stérilisant, entretenu par des décennies de guénoniens,
intentionnellement ou pas. Cette résolution nécessite de remonter à l'origine
du problème : le rendez-vous manqué de Guénon avec le Christianisme primitif,
ésotérique, gnostique, puis monastique. René Guénon : « Nous n’avions pas l’intention de revenir ici sur les
questions concernant le caractère propre du Christianisme, car nous pensions
que ce que nous en avions dit en diverses occasions, fût-ce plus ou moins
incidemment, était tout au moins suffisant pour qu’il ne puisse y avoir
aucune équivoque à cet égard. Malheureusement, nous avons dû constater en ces
derniers temps qu’il n’en était rien, et qu’il s’était au contraire produit à
ce propos, dans l’esprit d’un assez grand nombre de nos lecteurs, des
confusions plutôt fâcheuses, ce qui nous a montré la nécessité de donner de
nouveau quelques précisions sur certains points. Ce n’est d’ailleurs qu’à
regret que nous nous y décidons, car nous devons avouer que nous ne nous
sommes jamais senti aucune inclination pour traiter spécialement ce sujet,
pour plusieurs raisons diverses, dont la première est l’obscurité presque
impénétrable qui entoure tout ce qui se rapporte aux origines et aux premiers
temps du Christianisme, obscurité telle que, si l’on réfléchit bien, elle
paraît ne pas pouvoir être simplement accidentelle et avoir été expressément
voulue ; cette remarque est du reste à retenir, en connexion avec ce que nous
dirons par la suite. En dépit de toutes les difficultés qui
résultent d’un tel état de choses, il y a cependant au moins un point qui ne
semble pas douteux, et qui d’ailleurs n’a été contesté par aucun de ceux qui
nous ont fait part de leurs observations, mais sur lequel, tout au contraire,
quelques-uns se sont appuyés pour formuler certaines de leurs objections :
c’est que, loin de n’être que la religion ou la tradition exotérique que l’on
connaît actuellement sous ce nom, le Christianisme, à ses origines, avait,
tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement
ésotérique, et par conséquent initiatique. On peut en trouver une
confirmation dans le fait que la tradition islamique considère le
Christianisme primitif comme ayant été proprement une tarîqah,
c’est-à-dire en somme une voie initiatique, et non une shariyah ou une
législation d’ordre social et s’adressant à tous ; et cela est tellement vrai
que, par la suite, on dut y suppléer par la constitution d’un droit «
canonique » qui ne fut en réalité qu’une adaptation de l’ancien droit romain,
donc quelque chose qui vint entièrement du dehors, et non point un
développement de ce qui était contenu tout d’abord dans le Christianisme
lui-même. Il est du reste évident qu’on ne trouve dans l’Évangile aucune
prescription qui puisse être regardée comme ayant un caractère véritablement
légal au sens propre de ce mot ; la parole bien connue : « Rendez à César ce
qui est à César… », nous paraît tout particulièrement significative à cet
égard, car elle implique formellement, pour tout ce qui est d’ordre
extérieur, l’acceptation d’une législation complètement étrangère à la
tradition chrétienne, et qui est simplement celle qui existait en fait dans
le milieu où celle-ci prit naissance, par là même qu’il était alors incorporé
à l’Empire romain. Ce serait là, assurément, une lacune des plus graves si le
Christianisme avait été alors ce qu’il est devenu plus tard ; l’existence
même d’une telle lacune serait non seulement inexplicable, mais vraiment
inconcevable pour une tradition orthodoxe et régulière, si cette tradition
devait réellement comporter un exotérisme aussi bien qu’un ésotérisme, et si
elle devait même, pourrait-on dire, s’appliquer avant tout au domaine
exotérique ; par contre, si le Christianisme avait le caractère que nous
venons de dire, la chose s’explique sans peine, car il ne s’agit nullement
d’une lacune, mais d’une abstention intentionnelle d’intervenir dans un
domaine qui, par définition même, ne pouvait pas le concerner dans ces
conditions. Pour que cela ait été possible, il faut que
l’Église chrétienne, dans les premiers temps, ait constitué une organisation
fermée ou réservée, dans laquelle tous n’étaient pas admis indistinctement,
mais seulement ceux qui possédaient les qualifications nécessaires pour
recevoir valablement l’initiation sous la forme qu’on peut appeler «
christique » ; et l’on pourrait sans doute retrouver encore bien des indices
qui montrent qu’il en fut effectivement ainsi, quoiqu’ils soient généralement
incompris à notre époque, et que même, par suite de la tendance moderne à
nier l’ésotérisme, on cherche trop souvent, d’une façon plus ou moins
consciente, à les détourner de leur véritable signification. Cette Église
était en somme comparable, sous ce rapport, au Sangha bouddhique, où
l’admission avait aussi les caractères d’une véritable initiation, et qu’on a
coutume d’assimiler à un « ordre monastique », ce qui est juste tout au moins
en ce sens que ses statuts particuliers n’étaient, pas plus que ceux d’un
ordre monastique au sens chrétien de ce terme, faits pour être étendus à tout
l’ensemble de la société au sein de laquelle cette organisation avait été
établie. Le cas du Christianisme, à ce point de vue, n’est donc pas unique
parmi les différentes formes traditionnelles connues, et cette constatation
nous paraît être de nature à diminuer l’étonnement que certains pourraient en
éprouver ; il est peut-être plus difficile d’expliquer qu’il ait ensuite
changé de caractère aussi complètement que le montre tout ce que nous voyons
autour de nous, mais ce n’est pas encore le moment d’examiner cette autre
question. Voici maintenant l’objection qui nous a été
adressée et à laquelle nous faisions allusion plus haut : dès lors que les
rites chrétiens, et en particulier les sacrements, ont eu un caractère initiatique,
comment ont-ils pu le perdre pour devenir de simples rites exotériques ? Cela
est impossible et même contradictoire, nous dit-on, parce que le caractère
initiatique est permanent et immuable et ne saurait jamais être effacé, de
sorte qu’il faudrait seulement admettre que, du fait des circonstances et de
l’admission d’une grande majorité d’individus non qualifiés, ce qui était
primitivement une initiation effective s’est trouvé réduit à n’avoir plus que
la valeur d’une initiation virtuelle. Il y a là une méprise qui nous paraît
tout à fait évidente : l’initiation, ainsi que nous l’avons expliqué à
maintes reprises, confère bien en effet à ceux qui la reçoivent un caractère
qui est acquis une fois pour toutes et qui est véritablement ineffaçable ; mais
cette notion de la permanence du caractère initiatique s’applique aux êtres
humains qui le possèdent, et non pas à des rites ou à l’action de l’influence
spirituelle à laquelle ceux-ci sont destinés à servir de véhicule ; il est
absolument injustifié de vouloir la transporter de l’un de ces deux cas à
l’autre, ce qui revient même en réalité à lui attribuer une signification
toute différente, et nous sommes certains de n’avoir jamais rien dit
nous-même qui puisse donner lieu à une semblable confusion. À l’appui de
cette objection, on fait valoir que l’action qui s’exerce par les sacrements
chrétiens est rapportée au Saint-Esprit, ce qui est parfaitement exact, mais
entièrement en dehors de la question ; que d’ailleurs l’influence spirituelle
soit désignée ainsi conformément au langage chrétien, ou autrement suivant la
terminologie propre à telle ou telle tradition, il est également vrai que sa
nature est essentiellement transcendante et supra-individuelle, car, s’il
n’en était pas ainsi, ce n’est plus du tout à une influence spirituelle qu’on
aurait affaire, mais à une simple influence psychique ; seulement, cela étant
admis, qu’est-ce qui pourrait empêcher que la même influence, ou une
influence de même nature, agisse suivant des modalités différentes et dans
des domaines également différents, et en outre, parce que cette influence est
en elle-même d’ordre transcendant, faudrait-il que ses effets le soient
nécessairement aussi dans tous les cas ? Nous ne voyons pas du tout pourquoi il en
serait ainsi, et nous sommes même certain du
contraire ; en effet, nous avons toujours eu le plus grand soin d’indiquer
qu’une influence spirituelle intervient aussi bien dans les rites exotériques
que dans les rites initiatiques, mais il va de soi que les effets qu’elle produit
ne sauraient aucunement être du même ordre dans les deux cas, sans quoi la
distinction même des deux domaines correspondants ne subsisterait plus. Nous
ne comprenons pas davantage en quoi il serait inadmissible que l’influence
qui opère par le moyen des sacrements chrétiens, après avoir agi tout d’abord
dans l’ordre initiatique, ait ensuite, dans d’autres conditions et pour des
raisons dépendant de ces conditions mêmes, fait descendre son action dans le
domaine simplement religieux et exotérique, de telle sorte que ses effets ont
été dès lors limités à certaines possibilités d’ordre exclusivement
individuel, ayant pour terme le « salut », et cela tout en conservant
cependant, quant aux apparences extérieures, les mêmes supports rituels,
parce que ceux-ci étaient d’institution christique et que sans eux il n’y
aurait même plus eu de tradition proprement chrétienne. Qu’il en ait bien
réellement été ainsi en fait, et que par conséquent, dans l’état présent des
choses et même depuis une époque fort éloignée, on ne puisse plus considérer
en aucune façon les rites chrétiens comme ayant un caractère initiatique,
c’est ce sur quoi il nous va falloir insister avec plus de précision ; mais
nous devons d’ailleurs faire remarquer qu’il y a une certaine impropriété de
langage à dire qu’ils ont « perdu » ce caractère, comme si ce fait avait été
purement accidentel, car nous pensons au contraire qu’il a dû s’agir là d’une
adaptation qui, malgré les conséquences regrettables qu’elle eut forcément à
certains égards, fut pleinement justifiée et même nécessitée par les
circonstances de temps et de lieu. Si l’on considère quel était, à l’époque dont
il s’agit, l’état du monde occidental, c’est-à-dire de l’ensemble des pays
qui étaient alors compris dans l’Empire romain, on peut facilement se rendre
compte que, si le Christianisme n’était pas « descendu » dans le domaine
exotérique, ce monde, dans son ensemble, aurait été bientôt dépourvu de toute
tradition, celles qui y existaient jusque-là, et notamment la tradition
gréco-romaine qui y était naturellement devenue prédominante, étant arrivées
à une extrême dégénérescence qui indiquait que leur cycle d’existence était
sur le point de se terminer. Cette « descente », insistons-y encore, n’était
donc nullement un accident ou une déviation, et on doit au contraire la
regarder comme ayant eu un caractère véritablement « providentiel »,
puisqu’elle évita à l’Occident de tomber dès cette époque dans un état qui
eût été en somme comparable à celui où il se trouve actuellement. Le moment
où devait se produire une perte générale de la tradition comme celle qui
caractérise proprement les temps modernes n’était d’ailleurs pas encore venu
; il fallait donc qu’il y eût un « redressement », et le Christianisme seul
pouvait l’opérer, mais à la condition de renoncer au caractère ésotérique et
« réservé » qu’il avait tout d’abord ; et ainsi le « redressement » n’était
pas seulement bénéfique pour l’humanité occidentale, ce qui est trop évident
pour qu’il y ait lieu d’y insister, mais il était en même temps, comme l’est
d’ailleurs nécessairement toute action « providentielle » intervenant dans le
cours de l’histoire, en parfait accord avec les lois cycliques elles-mêmes. Il serait probablement impossible d’assigner
une date précise à ce changement qui fit du Christianisme une religion au
sens propre du mot et une forme traditionnelle s’adressant à tous
indistinctement ; mais ce qui est certain en tout cas, c’est qu’il était déjà
un fait accompli à l’époque de Constantin et du Concile de Nicée, de sorte
que celui-ci n’eut qu’à le « sanctionner », si l’on peut dire, en inaugurant
l’ère des formulations « dogmatiques » destinées à constituer une
présentation purement exotérique de la doctrine. Cela ne pouvait d’ailleurs
pas aller sans quelques inconvénients inévitables, car le fait d’enfermer
ainsi la doctrine dans des formules nettement définies et limitées rendait
beaucoup plus difficile, même à ceux qui en étaient réellement capables, d’en
pénétrer le sens profond ; de plus, les vérités d’ordre plus proprement
ésotérique, qui étaient par leur nature même hors de la portée du plus grand
nombre, ne pouvaient plus être présentées que comme des « mystères » au sens
que ce mot a pris vulgairement, c’est-à-dire que, aux yeux du commun, elles
ne devaient pas tarder à apparaître comme quelque chose qu’il était
impossible de comprendre, voire même interdit de chercher à approfondir. Ces
inconvénients n’étaient cependant pas tels qu’ils pussent s’opposer à la
constitution du Christianisme en forme traditionnelle exotérique ou en
empêcher la légitimité, étant donné l’immense avantage qui devait par
ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà dit, en résulter pour le monde
occidental ; du reste, si le Christianisme comme tel cessait par-là d’être
initiatique, il restait encore la possibilité qu’il subsistât, à son
intérieur, une initiation spécifiquement chrétienne pour l’élite qui ne
pouvait s’en tenir au seul point de vue de l’exotérisme et s’enfermer dans
les limitations qui sont inhérentes à celui-ci ; mais c’est là encore une
autre question que nous aurons à examiner un peu plus tard. D’autre part, il est à remarquer que ce
changement dans le caractère essentiel et, pourrait-on dire, dans la nature
même du Christianisme, explique parfaitement que, comme nous le disions au
début, tout ce qui l’avait précédé ait été volontairement enveloppé
d’obscurité, et que même il n’ait pas pu en être autrement. Il est évident en
effet que la nature du Christianisme originel, en tant qu’elle était
essentiellement ésotérique et initiatique, devait demeurer entièrement
ignorée de ceux qui étaient maintenant admis dans le Christianisme devenu
exotérique ; par conséquent, tout ce qui pouvait faire connaître ou seulement
soupçonner ce qu’avait été réellement le Christianisme à ses débuts devait
être recouvert pour eux d’un voile impénétrable. Bien entendu, nous n’avons
pas à rechercher par quels moyens un tel résultat a pu être obtenu, ce serait
plutôt là l’affaire des historiens, si toutefois il leur venait à l’idée de
se poser cette question, qui d’ailleurs leur apparaîtrait sans doute comme à
peu près insoluble, faute de pouvoir y appliquer leurs méthodes habituelles
et s’appuyer sur des « documents » qui manifestement ne sauraient exister en pareil
cas ; mais ce qui nous intéresse ici, c’est seulement de constater la chose
et d’en comprendre la véritable raison. Nous ajouterons que, dans ces
conditions, et contrairement à ce que pourraient en penser les amateurs
d’explications rationnelles, qui sont aussi toujours des explications
superficielles et « simplistes », on ne peut aucunement attribuer cette «
obscuration » des origines à une ignorance trop évidemment impossible chez
ceux qui devaient être d’autant plus conscients de la transformation du
Christianisme qu’ils y avaient eux-mêmes pris une part plus ou moins directe,
ni prétendre non plus, suivant un préjugé assez répandu parmi les modernes
qui prêtent trop volontiers aux autres leur propre mentalité, qu’il y ait eu
là de leur part une manœuvre « politique » et intéressée, dont nous ne voyons
d’ailleurs pas très bien quel profit ils auraient pu retirer effectivement ;
la vérité est au contraire que cela fut rigoureusement exigé par la nature
même des choses, afin de maintenir, en conformité avec l’orthodoxie
traditionnelle, la distinction profonde des deux domaines exotérique et
ésotérique. Certains pourraient peut-être se demander ce
qu’il est advenu, avec un pareil changement, des enseignements du Christ, qui
constituent le fondement du Christianisme par définition même, et dont il ne
pourrait s’écarter sans cesser de mériter son nom, sans compter qu’on ne voit
pas ce qui pourrait s’y substituer sans compromettre le caractère «
non-humain » en dehors duquel il n’y a plus aucune tradition authentique. En
réalité, ces enseignements n’ont pas été touchés par-là ni modifiés en aucune
façon dans leur « littéralité », et la permanence du texte des Évangiles et
des autres écrits du Nouveau Testament, qui remontent évidemment à la
première période du Christianisme, en constitue une preuve suffisante ; ce
qui a changé, c’est seulement leur compréhension, ou, si l’on préfère, la
perspective suivant laquelle ils sont envisagés et la signification qui leur
est donnée en conséquence, sans d’ailleurs qu’on puisse dire qu’il y ait quoi
que ce soit de faux ou d’illégitime dans cette signification, car il va de
soi que les mêmes vérités sont susceptibles de recevoir une application dans
des domaines différents, en vertu des correspondances qui existent entre tous
les ordres de réalité. Seulement, il y a des préceptes qui, concernant
spécialement ceux qui suivent une voie initiatique, et applicables par
conséquent dans un milieu restreint et en quelque sorte qualitativement
homogène, deviennent impraticables en fait si on veut les étendre à tout
l’ensemble de la société humaine ; c’est ce qu’on reconnaît assez
explicitement en les considérant comme étant seulement des « conseils de
perfection », auxquels ne s’attache aucun caractère d’obligation; cela
revient à dire que chacun n’est tenu de suivre la voie évangélique que dans
la mesure non seulement de sa propre capacité, ce qui va de soi, mais même de
ce que lui permettent les circonstances contingentes dans lesquelles il se
trouve placé, et c’est là en effet tout ce qu’on peut raisonnablement exiger
de ceux qui ne visent pas à dépasser la simple pratique exotérique. D’autre part, pour ce qui est de la doctrine
proprement dite, s’il est des vérités qui peuvent être comprises à la fois
exotériquement et ésotériquement, suivant des sens se rapportant à des degrés
différents de réalité, il en est d’autres qui, relevant exclusivement de
l’ésotérisme et n’ayant aucune correspondance en dehors de celui-ci,
deviennent, comme nous l’avons déjà dit, entièrement incompréhensibles quand
on essaie de les transporter dans le domaine exotérique, et qu’on doit
forcément se borner alors à exprimer purement et simplement sous la forme
d’énonciations « dogmatiques », sans jamais chercher à en donner la moindre
explication ; ce sont celles-ci qui constituent proprement ce qu’on est
convenu d’appeler les « mystères » du Christianisme. À vrai dire, l’existence
même de ces « mystères » serait tout à fait injustifiable si l’on n’admettait
pas le caractère ésotérique du Christianisme originel ; en tenant compte de
celui-ci, au contraire, elle apparaît comme une conséquence normale et
inévitable de l’« extériorisation » par laquelle le Christianisme, tout en
conservant la même forme quant aux apparences, dans sa doctrine aussi bien
que dans ses rites, est devenu la tradition exotérique et spécifiquement
religieuse que nous connaissons aujourd’hui. Parmi les rites chrétiens, ou plus précisément
parmi les sacrements qui en constituent la partie la plus essentielle, ceux
qui présentent la plus grande similitude avec des rites d’initiation, et qui
par conséquent doivent en être regardés comme l’« extériorisation » s’ils ont
eu effectivement ce caractère à l’origine, sont naturellement, comme nous
l’avons déjà fait remarquer ailleurs, ceux qui ne peuvent être reçus qu’une
seule fois, et avant tout le baptême. Celui-ci, par lequel le néophyte était
admis dans la communauté chrétienne et en quelque sorte « incorporé » à
celle-ci, devait évidemment, tant qu’elle fut une organisation initiatique,
constituer la première initiation, c’est-à-dire le début des « petits
mystères » ; c’est d’ailleurs ce qu’indique nettement le caractère de «
seconde naissance » qu’il a conservé, bien qu’avec une application
différente, même en descendant dans le domaine exotérique. Ajoutons tout de
suite, pour n’avoir pas à y revenir, que la confirmation paraît avoir marqué
l’accession à un degré supérieur, et le plus vraisemblable est que celui-ci
correspondait en principe à l’achèvement des « petits mystères » ; quant à
l’ordre, qui maintenant donne seulement la possibilité d’exercer certaines
fonctions, il ne peut être que l’« extériorisation » d’une initiation
sacerdotale, se rapportant comme telle aux « grands mystères ». Pour se rendre compte que, dans ce qu’on
pourrait appeler le second état du Christianisme, les sacrements n’ont plus
aucun caractère initiatique et ne sont bien réellement que des rites purement
exotériques, il suffit en somme de considérer le cas du baptême, puisque tout
le reste en dépend directement. À l’origine, malgré l’« obscuration » dont
nous avons parlé, on sait tout au moins que, pour conférer le baptême, on
s’entourait de précautions rigoureuses, et que ceux qui devaient le recevoir
étaient soumis à une longue préparation. Actuellement, c’est en quelque sorte
tout le contraire qui a lieu, et on semble avoir fait tout le possible pour
faciliter à l’extrême la réception de ce sacrement, puisque non seulement il
est donné à n’importe qui indistinctement, sans qu’aucune question de
qualification et de préparation ait à se poser, mais que même il peut aussi
être conféré valablement par n’importe qui, alors que les autres sacrements
ne peuvent l’être que par ceux, prêtres ou évêques, qui exercent une fonction
rituelle déterminée. Ces facilités, ainsi que le fait que les enfants sont
baptisés le plus tôt possible après leur naissance, ce qui exclut évidemment
l’idée d’une préparation quelconque, ne peuvent s’expliquer que par un
changement radical dans la conception même du baptême, changement à la suite duquel
il fut considéré comme une condition indispensable pour le « salut », et qui
devait par conséquent être assurée au plus grand nombre possible d’individus,
alors que primitivement il s’agissait de tout autre chose. Cette façon de
voir, suivant laquelle le « salut » qui est le but final de tous les rites
exotériques, est lié nécessairement à l’admission dans l’Église chrétienne,
n’est en somme qu’une conséquence de cette sorte d’« exclusivisme » qui est
inévitablement inhérent au point de vue de tout exotérisme comme tel. Nous ne
croyons pas utile d’insister davantage, car il est trop clair qu’un rite qui
est conféré à des enfants naissants, et sans même qu’on se préoccupe
aucunement de déterminer leurs qualifications par un moyen quelconque, ne
saurait avoir le caractère et la valeur d’une initiation, celle-ci fût-elle
réduite à n’être plus que simplement virtuelle ; nous allons d’ailleurs
revenir tout à l’heure sur la question de la possibilité de la subsistance
d’une initiation virtuelle par les sacrements chrétiens. Nous signalerons encore accessoirement un
point qui n’est pas sans importance : c’est que, dans le Christianisme tel
qu’il est actuellement, et contrairement à ce qu’il en était tout d’abord,
tous les rites sans exception sont publics ; tout le monde peut y assister,
même à ceux qui paraîtraient devoir être plus particulièrement « réservés »,
comme l’ordination d’un prêtre ou la consécration d’un évêque, et à plus
forte raison à un baptême ou à une confirmation. Or ce serait là une chose inadmissible
s’il s’agissait de rites d’initiation, qui normalement ne peuvent être
accomplis qu’en présence de ceux qui ont déjà reçu la même initiation; entre
la publicité d’une part et l’ésotérisme et l’initiation de l’autre, il y a
évidemment incompatibilité. Si cependant nous ne regardons cet argument que
comme secondaire, c’est que, s’il n’y en avait pas d’autres, on pourrait
prétendre qu’il n’y a là qu’un abus dû à une certaine dégénérescence, comme
il peut s’en produire parfois dans une organisation initiatique sans que
celle-ci aille pour cela jusqu’à perdre son caractère propre ; mais nous
avons vu que, précisément, la descente du Christianisme dans l’ordre
exotérique ne devait nullement être considérée comme une dégénérescence, et
d’ailleurs les autres raisons que nous exposons suffisent pleinement à
montrer que, en réalité, il ne peut plus y avoir là aucune initiation. S’il y avait encore une initiation virtuelle,
comme certains l’ont envisagé dans les objections qu’ils nous ont faites, et
si par conséquent ceux qui ont reçu les sacrements chrétiens, ou même le seul
baptême, n’avaient dès lors nul besoin de rechercher une autre forme
d’initiation quelle qu’elle soit, comment pourrait-on expliquer l’existence
d’organisations initiatiques spécifiquement chrétiennes, telles qu’il y en
eut incontestablement pendant tout le moyen âge, et quelle pourrait bien être
alors leur raison d’être, puisque leurs rites particuliers feraient en
quelque sorte double emploi avec les rites ordinaires du Christianisme ? On dira
que ceux-ci constituent ou représentent seulement une initiation aux « petits
mystères », de sorte que la recherche d’une autre initiation se serait
imposée à ceux qui auraient voulu aller plus loin et accéder aux « grands
mystères » ; mais, outre qu’il est fort invraisemblable, pour ne pas dire
plus, que tous ceux qui entrèrent dans les organisations dont il s’agit aient
été prêts à aborder ce domaine, il y a contre une telle supposition un fait
décisif : c’est l’existence de l’hermétisme chrétien, puisque, par définition
même, l’hermétisme relève précisément des « petits mystères » ; et nous ne
parlons pas des initiations de métier, qui se rapportent aussi à ce même
domaine, et qui, même dans les cas où elles ne peuvent être dites
spécifiquement chrétiennes, n’en requéraient pas moins de leurs membres, dans
un milieu chrétien, la pratique de l’exotérisme correspondant. Maintenant, il nous faut prévoir encore une
autre équivoque, car certains pourraient être tentés de tirer de ce qui
précède une conclusion erronée, pensant que, si les sacrements n’ont plus
aucun caractère initiatique, il doit en résulter qu’ils ne peuvent jamais
avoir des effets de cet ordre, à quoi ils ne manqueraient sans doute pas
d’opposer certains cas où il semble bien qu’il en ait été autrement ; la
vérité est qu’en effet les sacrements ne peuvent pas avoir de tels effets par
eux-mêmes, leur efficacité propre étant limitée au domaine exotérique, mais
qu’il y a cependant autre chose à envisager à cet égard. En effet, partout où
il existe des initiations relevant spécialement d’une forme traditionnelle
déterminée et prenant pour base l’exotérisme même de celle-ci, les rites
exotériques peuvent, pour ceux qui ont reçu une telle initiation, être
transposés en quelque sorte dans un autre ordre, en ce sens qu’ils s’en
serviront comme d’un support pour le travail initiatique lui-même, et que par
conséquent, pour eux, les effets n’en seront plus limités au seul ordre
exotérique comme ils le sont pour la généralité des adhérents de la même forme
traditionnelle ; en cela, il en est du Christianisme comme de toute autre
tradition, dès lors qu’il y a ou qu’il y a eu une initiation proprement
chrétienne. Seulement, il est bien entendu que, loin de dispenser de
l’initiation régulière ou de pouvoir en tenir lieu, cet usage initiatique des
rites exotériques la présuppose au contraire essentiellement comme la
condition nécessaire de sa possibilité même, condition à laquelle les
qualifications les plus exceptionnelles ne sauraient suppléer, et hors de laquelle
tout ce qui dépasse le niveau ordinaire ne peut aboutir tout au plus qu’au
mysticisme, c’est-à-dire à quelque chose qui, en réalité, ne relève encore
que de l’exotérisme religieux. On peut facilement comprendre, par ce que nous
venons de dire en dernier lieu, ce qu’il en fut réellement de ceux qui, au
moyen âge, laissèrent des écrits d’inspiration manifestement initiatique, et
qu’aujourd’hui on a communément le tort de prendre pour des « mystiques »,
parce qu’on ne connaît plus rien d’autre, mais qui furent certainement
quelque chose de tout différent. Il n’est nullement à supposer qu’il se soit
agi là de cas d’initiation « spontanée », ou de cas d’exception dans lesquels
une initiation virtuelle demeurée attachée aux sacrements aurait pu devenir
effective, alors qu’il y avait toutes les possibilités d’un rattachement
normal à quelqu’une des organisations initiatiques régulières qui existaient
à cette époque, souvent même sous le couvert des ordres religieux et à leur
intérieur, bien que ne se confondant en aucune façon avec eux. Nous ne pouvons nous
étendre davantage pour ne pas allonger indéfiniment cet exposé, mais
nous ferons remarquer que c’est précisément quand ces initiations cessèrent
d’exister, ou tout au moins d’être suffisamment accessibles pour offrir
encore réellement ces possibilités de rattachement, que le mysticisme
proprement dit prit naissance, de sorte que les deux choses apparaissent
comme étroitement liées. Ce que nous disons ici ne s’applique d’ailleurs qu’à
l’Église latine, et ce qui est très remarquable aussi, c’est que, dans les
Églises d’Orient, il n’y a jamais eu de mysticisme au sens où on l’entend
dans le Christianisme occidental depuis le XVIe siècle ; ce fait peut donner
à penser qu’une certaine initiation du genre de celles auxquelles nous
faisions allusion a dû se maintenir dans ces Églises, et, effectivement,
c’est ce qu’on y trouve avec l’hésychasme, dont le caractère réellement
initiatique ne semble pas douteux, même si, là comme dans bien d’autres cas,
il a été plus ou moins amoindri au cours des temps modernes, par une
conséquence naturelle des conditions générales de cette époque, à laquelle ne
peuvent guère échapper que les initiations qui sont extrêmement peu
répandues, qu’elles l’aient toujours été ou qu’elles aient décidé
volontairement de se « fermer » plus que jamais pour éviter toute
dégénérescence. Dans l’hésychasme, l’initiation proprement
dite est essentiellement constituée par la transmission régulière de
certaines formules, exactement comparables à la communication des mantras
dans la tradition hindoue et à celle du wird dans les turuq
islamiques ; il y existe aussi toute une « technique » de l’invocation comme
moyen propre du travail intérieur (19), moyen bien distinct des rites
chrétiens exotériques, quoique ce travail n’en puisse pas moins trouver aussi
un point d’appui dans ceux-ci comme nous l’avons expliqué, dès lors que, avec
les formules requises, l’influence à laquelle elles servent de véhicule a été
transmise valablement, ce qui implique naturellement l’existence d’une chaîne
initiatique ininterrompue, puisqu’on ne peut évidemment transmettre que ce
qu’on a reçu soi-même. Ce sont là encore des questions que nous ne pouvons
qu’indiquer ici très sommairement, mais, du fait que l’hésychasme est encore vivant
de nos jours, il nous semble qu’il serait possible de trouver de ce côté
certains éclaircissements sur ce qu’ont pu être les caractères et les
méthodes d’autres initiations chrétiennes qui malheureusement appartiennent
au passé. Pour conclure enfin, nous pouvons dire ceci :
en dépit des origines initiatiques du Christianisme, celui-ci, dans son état
actuel, n’est certainement rien d’autre qu’une religion, c’est-à-dire une
tradition d’ordre exclusivement exotérique, et il n’a pas en lui-même d’autres
possibilités que celles de tout exotérisme ; il ne le prétend d’ailleurs
aucunement, puisqu’il n’y est jamais question d’autre chose que d’obtenir le
« salut ». Une initiation peut naturellement s’y superposer, et elle le
devrait même normalement pour que la tradition soit véritablement complète,
possédant effectivement les deux aspects exotérique et ésotérique ; mais,
dans sa forme occidentale tout au moins, cette initiation, en fait, n’existe
plus présentement. Il est d’ailleurs bien entendu que l’observance des rites
exotériques est pleinement suffisante pour atteindre au « salut » ; c’est
déjà beaucoup, assurément, et même c’est tout ce à quoi peut légitimement
prétendre, aujourd’hui plus que jamais, l’immense majorité des êtres humains
; mais que devront faire, dans ces conditions, ceux pour qui, suivant
l’expression de certains mutaçawwufîn, « le Paradis n’est encore
qu’une prison ». Au
sommaire de cet ouvrage : Introduction : Guénon, le restaurateur de la Tradition, et
ses écueils Première partie : René Guénon, le catholicisme et
l'exotérisme chrétien - Marie-France James, ou l'exotérisme
journalistique - Jean Borella : l'ornière de la philosophie
exotérique - Jean Daniélou et la reconnaissance
marginale de l'ésotérisme judéo-chrétien
- L'anti-gnose d'André Allard
L'Olivier : thomisme exotérique versus Christianisme initiatique -
Jean-Marc Vivenza : l'augustinisme martinésiste contre la Tradition
Primordiale de Guénon Deuxième
partie : René Guénon, essais
d'aboutissement, et rattachement à l'Islam
- Les tentatives de
concrétisation et d'« aboutissements » de l’œuvre de Guénon -
Le passage ou conversion à l'Islam
- Frithjof Schuon et le
Christianisme par rapport à l'Islam
- Michel Valsan, autre grand
guénonien converti à l'Islam Troisième
partie : René Guénon et le
Christianisme primitif - Guénon et la tradition chrétienne -
Restauration traditionnelle, Réforme et protestantisme -
Mystique et ésotérisme, cette « quadrature du cercle » Conclusion : l'inébranlable possibilité chrétienne |
renÉ guÉnon
& le rite Écossais rectifiÉ |
Jean-Marc
vivenza |
Edition
DU SIMORGH |
2007 |
On
sait la profonde et durable incompréhension de René Guénon (1886 – 1951)
envers la pensée de Martinès de Pasqually (1710 – 1774) et les pratiques
observées par l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, sa
significative réserve s’agissant de la théosophie de Louis-Claude de Saint
Martin (1743 – 1803), et ses vives critiques à l’égard de Jean-Baptiste
Willermoz (1730 – 1824) et le Rite Écossais Rectifié, positions et jugements
qui traverseront ses différentes analyses chaque fois qu’il abordera ces
sujets, et sur lesquels il ne crut pas nécessaire de revenir.
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renÉ guÉnon
& le roi du monde |
Bruno hapel |
Edition
TRÉDANIEL |
2001 |
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RenÉ GUÉNON
et les Destins de la Franc-maçonnerie |
Denys
ROMAN |
Editions
Traditionnelles |
1995 |
Suite
à divers ouvrages de R.Guénon sur la F. M. l’auteur nous explique pourquoi R.Guénon
fustige les déviations politiques ou moralisantes de certains ordres
maçonniques tout en considérant que la F. M. fait partie des 2 traditions
occidentales qui conservent le dépôt et la transmission de la tradition
primordiale. Denys Roman (1901-1986)
est connu par ses textes consacrés à la Maçonnerie considérée avant tout en
tant qu’Ordre initiatique. Il est également réputé pour son adhésion
inconditionnelle aux idées exposées par René Guénon. En 1950, à la demande de
celui-ci, il publie son premier article dans les Études Traditionnelles
(E. T.). Dès lors, durant les trente-six années qui vont s’écouler
jusqu’à sa mort, il collabore à diverses revues avec nombre d’articles et de
comptes rendus dont la plupart traitent de sujets touchant à l’Ordre et son
histoire. Le premier livre de
l’auteur, René Guénon et les Destins de la Franc-Maçonnerie, paraît en
1982 et sera réédité en 1995 en même temps que la parution de son ouvrage
posthume, Réflexions d’un chrétien sur la Franc-Maçonnerie – L’Arche
vivante des Symboles. Denys Roman est l’un des derniers correspondants de
R. Guénon qui résidait alors au Caire. Cet échange épistolaire,
principalement axé sur un rétablissement de rituels d’esprit vraiment
initiatique, le confortera dans sa conviction de la nécessité, pour les
Frères, de renouer avec la tradition maçonnique abandonnée dans une large
mesure. C’est pourquoi l’auteur s’attache à traiter du symbolisme qui
constitue la doctrine de l’Ordre, de même qu’à mettre en relief la méthode
initiatique de la Maçonnerie notamment dans sa composante rituelle qui est
essentielle. Lors des dernières
années de la vie de l’auteur des Aperçus sur l’Initiation, la création
à Paris en avril 1947 de la Loge « La Grande Triade » constituera
un des prolongements « logiques » de l’œuvre de René Guénon dans le
milieu initiatique occidental de l’époque, cela dans une perspective plus
générale de restauration intellectuelle qui n’est présentement plus envisageable.
Et pourtant, de nos jours encore et par-delà cette initiative qui fut un
point de départ pour quelques-uns, on peut mesurer la portée essentiellement
positive de l’œuvre de René Guénon : hors du temps et des
« valeurs » modernes, cette œuvre ne manque toujours pas de
susciter des réactions de tous ordres, opérant ainsi, par elle-même et
au-delà de son auteur, une « discrimination » ou
« séparation » qui n’est pas sans rapport avec celle qui scellera
« la fin des temps » : Denys Roman considère d’ailleurs que
l’œuvre de René Guénon « ne pouvait surgir qu’aux abords de la fin du
cycle ». Par son étroite
communion d’idées avec R. Guénon, D. Roman n’est sans doute pas étranger à
cette remise en vigueur de l’esprit traditionnel et à ce rappel à l’urgente
nécessité de l’appliquer dans le domaine ésotérique et initiatique. Disons-le
nettement : quiconque s’affranchit de cet esprit traditionnel se coupe
par là même de la finalité de la voie initiatique dans sa conformité au Plan
du Grand Architecte, ce Plan tracé de toute éternité pour le rétablissement
de l’être dans ses prérogatives originelles. Tout au long des textes ici
proposés, l’auteur suggère l’indispensable adhésion à cette démarche
intrinsèque à la voie initiatique maçonnique envisagée dans sa plénitude.
Ainsi est mise en œuvre, dans ses aspects les plus fondamentaux, la voie
Royale propre au bâtisseur qui participe de l’Art de la Construction
universelle. En point d’orgue, la
réflexion de Denys Roman l’amène à mettre l’accent sur la vocation eschatologique
de l’Ordre auquel R. Guénon n’avait cessé d’accorder un intérêt
privilégié : comment, en effet, ne pas aborder un domaine lié au rôle
spécifique dévolu à Saint Jean, « Fils du Tonnerre », jusqu’à
« la fin des temps » ? L’œuvre de Denys
Roman s’inscrit dans l’enseignement universel transmis par R. Guénon, cela
suivant une continuité, une constance doctrinale, et, faut-il le souligner,
une fidélité rare dans un milieu sujet à nombre d’influences ; par la
complémentarité des deux aspects chrétien et maçonnique de l’engagement de
son auteur, elle participe de cette universalité qui fonde l’authentique
esprit traditionnel et initiatique. |
renÉ guÉnon
& l’esprit de l’inde |
Bruno hapel |
Edition
TRÉDANIEL |
1998 |
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Paul
Chacornac, son premier biographe, nous fournit une réponse dont beaucoup se
sont contentés : « Les modalités d’initiation hindoue étant
liées à l’institution des castes, on ne voit pas comment un Occidental, par
définition sans caste, pourrait y accéder. D’autre part, le rituel hindou ne
se prête, en aucune manière, à la vie occidentale, tandis que le rituel
islamique, quelles que soient les difficultés pratiques qu’il présente, n’est
tout de même pas incompatible avec la vie de l’Occidental moderne. » A
quoi l’on peut objecter qu’il y a eu malgré tout, des exemples, rares mais
non douteux, d’Occidentaux qui se sont intégrés dans l’hindouisme ;
eût-il décidé de vivre en Inde que Guénon eût certainement mené la vie
rituelle d’un hindou, tout comme, établi en Egypte, il a mené la vie rituelle
d’un musulman. On ne
voit donc pas, dans son cas si exceptionnel, d’impossibilité radicale à
« devenir hindou », la notion de « caste » s’effaçant
dans certains types d’initiation et n’ayant plus le moindre sens dans le cas
du samnyâsin. La « conversion » à l’islam – bien antérieure,
comme on le sait, à l’installation en Egypte - s’explique peut-être par la
place « intermédiaire » entre l’Orient et l’Occident qu’occupe
cette tradition, en accord avec la propre fonction intermédiaire de Guénon,
et aussi par le caractère « ultime » de la religion du Prophète, en
correspondance avec le caractère ultime du message guénonien. Ce serait là
néanmoins, reconnaissons-le, des motivations assez abstraites, même pour un
homme dont la vie revêt un incontestable « symbolisme » et que l’on
a de plus en plus tendance à « mythifier ». La véritable raison du
« choix » d’une forme traditionnelle (choisit-on, est-on
choisi ?) relève de l’intimité mystérieuse de chaque être et n’est pas
comparable à une stratégie militaire ou à un mariage de raison. Un peu moins vaine mais aussi peu résoluble
apparaît cette question maintes fois posée : Guénon, dans ses années de
formation parisiennes, a-t-il eu un ou des maîtres hindous ? Quels que
fussent ses dons intellectuels, il est difficile de croire qu’il ait pu
parvenir seul ou juste avec l’aide de quelques livres à cette compréhension
lumineuse du Vêdânta qu’il manifeste dès l’âge de vingt-trois ans, lors de
ses premiers articles publiés sous le nom de Palingenius dans la Gnose.
A moins d’aller chercher des explications fantastiques, il faut donc supposer
une rencontre et un contact humain, une transmission orale et directe. Or
celle-ci ne pouvait assurément pas venir des indianistes français, auprès
desquels René Guénon a pris quelques cours, ni des
membres de la Société théosophique, dont l’enseignement était extravagant, ni
d’autres individualités néo-spiritualistes vivant alors dans la capitale. On
inclinera donc à croire Chacornac lorsqu’il affirme : « Guénon
a eu un Maître ou des Maîtres hindous. Il nous a été impossible d’avoir la
moindre précision sur l’identité de ce ou ces personnages, et tout ce qu’on
peut en dire avec certitude, c’est qu’il s’agissait en tout cas d’un ou de
représentants de l’école Védânta adwaita, ce qui n’exclut pas qu’il y en eut
d’autres. » Ce que vient corroborer le témoignage du Hollandais Frans Vreede,
qui fut un ami très proche de Guénon pendant trente ans : « Il
[Guénon] fut initié par une personnalité hindoue, affiliée à une branche
régulière d’un ordre initiatique remontant à Shankarâchârya.» En dehors de cet « initiateur »
dont il est peu probable et d’ailleurs peu utile qu’on ne découvre jamais
l’identité, Guénon eut aussi, tout au long de sa vie, de bons informateurs
d’une certaine réalité indienne, tel Hiran Singh qui lui procura une partie
de sa documentation pour le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion
(1921). Assez gratuitement, d’aucuns ont supposé que les « contacts
hindous » de Guénon s’interrompirent après la parution du Roi du
monde (1927), ouvrage dans lequel il en aurait « trop dit » sur
l’Agarttha. Rien ne permet de l’affirmer. Il est évident que les jugements
sévères (et parfois légèrement excessifs, nous y reviendrons) que Guénon
porta sur telle ou telle personnalité hindoue alors à la mode – et relevant
plutôt du « néo-hindouisme » que de l’hindouisme orthodoxe – lui
attirèrent quelques rancœurs tenaces, non éteintes encore aujourd’hui, dans
ce milieu qui n’est ni vraiment d’Orient ni vraiment d’Occident. L’Introduction générale à l’étude des
doctrines hindoues, qui est en fait une introduction générale à tout le
grand œuvre guénonien – la « charpente et comme la structure » de
celui-ci selon Jean-Claude Frère, l’ « indispensable
prolégomène » selon Jean Robin –, fut publiée en 1921 par l’éditeur
Marcel Rivière et présentée en Sorbonne comme thèse de doctorat ès lettres.
Sylvain Lévi, dont Guénon avait suivi les cours au Collège de France, régnait
alors sur l’indianisme français. Voici la conclusion du rapport mitigé qu’il
fit de la thèse de Guénon au doyen Brunot : « En tout cas, il
[Guénon] témoigne d’un effort personnel de pensée qui est respectable et que
les philosophes apprécieront ; il apporte une conception curieuse des
systèmes philosophiques de l’Inde, qui tout en choquant les indianistes
peuvent les inviter à d’utiles réflexions. Enfin, la Faculté donnera une preuve
manifeste de son libéralisme en acceptant cette critique violente de la
‘science officielle’ des philosophes comme des indianistes. Je crois donc
devoir vous engager, Monsieur le Doyen, à accorder votre visa à la thèse de
Monsieur Guénon. » Ledit Doyen ne fut point sensible à l’argument
« libéral » puisqu’il refusa la thèse. Noëlle Maurice-Denis Boulet,
qui rédigea un compte rendu de l’Introduction générale dans la Revue
universelle du 15 juillet 1921 (compte rendu élogieux à l’exception d’une
phrase finale un tantinet perfide due à Maritain), devait plus tard attribuer
ce refus au fait que « la méthode d’exposition de René Guénon n’avait
rien de la méthode historique et critique universitaire », ce qui tombe
sous le sens. Ce fut-là, en
tout cas, le point de départ ou peut-être la cristallisation du long
« désamour » entre René Guénon et l’Université française. Il faut
constater que, sournoise ou virulente, allant de la conspiration du silence
au dénigrement systématique (Louis Renou en fut un spécialiste), l’hostilité
des indianistes hexagonaux envers Guénon n’a jamais vraiment cessé. Si
quelques-uns aujourd’hui admettent son apport constructif, c’est généralement
en privé ou du bout des lèvres, comme si un hommage public (voire une simple
mention bibliographique) risquait de compromettre leur carrière. En 1921, ce
n’était sans doute pas cette crainte qui prévalait. Tout simplement les idées
de Guénon étaient trop nouvelles – en dépit ou à cause de leur référence à
une Tradition immémoriale – pour être entendues de ces bons docteurs nourris
aux mamelles du scientisme et du positivisme, ces orientalistes
« officiels » qui, en réalité, pour leur mode de pensée, ne
différaient guère de leurs collègues latinistes ou hellénistes. Qu’ils fussent chrétiens, athées ou
agnostiques, ils ne pouvaient penser l’hindouisme qu’en termes de religion ou
de philosophie occidentales et, au nom de l’ « objectivité
scientifique » (grande vache sacrée de l’alma mater), étouffaient
en eux-mêmes toute sensibilité spirituelle qui eût pu les rendre réceptifs à
l’interprétation guénonienne. Lui parlait « du dedans », eux
« du dehors ». Et le fait que cet indianiste non patenté s’exprimât
en un langage clair, précis, « classique » sans effets littéraires,
« cartésien » (un « Descartes de l’ésotérisme »,
dira-t-on plus tard avec un brin de malice) et s’appuyât sur une érudition
discrète mais évidente n’arrangeait rien, bien au contraire, rendant
l’adversaire encore plus insaisissable. Comme il eût été plus facile de le
classer définitivement parmi ces « néo-spiritualistes » et ces
« théosophistes », ces plumeurs de chimères et ces marchands
d’exotisme frelaté dont il ne cessait, et avec beaucoup plus de détermination
que les orientalistes eux-mêmes, de dénoncer les impostures ! |
RENḖ GUḖNON ET LA TRADITION
PRIMORDIALE |
Jean-Marc Vivenza |
Edition la Pierre Philosophale |
2017 |
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Guénon n’a pas consacré d’article
ou de livre spécifique à la tradition primordiale, où il aurait concentré les
données essentielles la concernant, comme il l’a fait par exemple pour le
symbolisme de la croix. Si l’idée d’une Tradition primitive apparaît très tôt
dans son oeuvre, ce n’est qu’à partir du milieu des années 1920 qu’il va
préciser cette notion et en évoquer de plus en plus clairement les
implications. C’est d’abord dans le cadre d’un symbolisme hindou et chrétien
(articles de Regnabit) qu’il en parlera entre 1921 et 1927. Dans son
premier livre publié en 1921, Introduction générale à l’étude des
doctrines hindoues, Guénon ne mentionne pas l’idée de « tradition
primordiale », mais évoque brièvement le Manu hindou, principe révélateur de
la Loi ou du Dharma dans l’hindouisme. Il le décrit comme étant, non « un
personnage mythique, légendaire ou historique », mais « la désignation d’un
principe ». Manu est ainsi « intelligence cosmique » ou « pensée réfléchie de
l’ordre universel ». Prototype de l’homme, il correspond, sous certains
rapports, à l’Homme universel de la Kabbale et de l’ésotérisme musulman et au
Roi-Pontife du taoïsme. Dans L’Homme et son devenir selon le Vêdânta
(1925), il affirme encore de Manu qu’il est le Législateur de notre cycle et
l’Intelligence cosmique, image réfléchie de Brahma, mais demeurant néanmoins
« une avec Lui » Ces affirmations reprennent,
parfois mot pour mot, ce que Guénon avait déjà écrit dans une note de La
Gnose (juillet-août 1910), dans le cadre d’un article sur L’Archéomètre.
De « Manou », il écrivait alors : « Intelligence cosmique ou universelle,
créatrice de tous les êtres, image réfléchie du Verbe émanateur. il est ainsi le Législateur primordial et
universel ». On remarquera l’emploi de la notion chrétienne de « Verbe »
associée ici à un symbole hindou : Guénon emploie indifféremment des termes
et des notions appartenant à des traditions différentes. Les expressions sont
pour lui interchangeables, dans la mesure même où elles recouvrent des
réalités identiques, et où les formes traditionnelles sont des langues que
l’on peut employer alternativement selon les situations. On notera toutefois
une différence. En effet, dans un cas, notre auteur fait de Manu le reflet de
Brahma, dont il écrit qu’il est le Principe suprême, alors que Brahmâ est le
Principe non-suprême. Dans sa note de L’Archéomètre, en revanche, il
fait de Manu « l’image réfléchie du Verbe émanateur ». Or, le Verbe, dans la
perspective guénonienne, ne saurait être le Principe suprême (Brahma) et
correspondrait plutôt au Principe qualifié ou non-suprême (Brahmâ). Certes,
selon Guénon, le Principe est un, si bien qu’il est possible de dire que Manu
est aussi bien l’image réfléchie de Brahma que du Verbe, puisque la Réalité
divine est fondamentalement une. Dans ses articles de Regnabit puis
dans Le Roi du monde, Guénon fera du Roi du monde et du Manu une
émanation du Verbe ou Logos éternel, et non d’un Principe suprême et
non-qualifié. Dans L’Homme et son devenir
selon le Vêdânta, Guénon rapproche en note le Manu hindou, « Législateur
primordial », du Ménès ou Mina de l’Egypte ancienne, du Minos des Grecs et du
Menw des Celtes. Déjà présente chez Frédéric de Rougemont, ces
correspondances sont reprises assez directement de L’Archéomètre de
Saint-Yves d’Alveydre, que Guénon ne cite pas. Elles montrent en tous les cas
qu’en parlant du Manu, c’est bien la tradition primordiale et universelle
qu’il a en vue, même s’il ne développera vraiment la relation entre les deux
notions que dans un article paru en 1949, consacré au « Sanâtana Dharma
». Le Sanâtana Dharma, écrit-il alors, est prononcé par le Manu pour
le cycle. Il est le centre et l’axe des révolutions cycliques : il comprend
principiellement toutes les branches de l’activité humaine et n’est pas autre
chose que la Tradition primordiale, pérenne et hors du temps. Toute tradition
est une expression voilée et imparfaite et un substitut de cette Tradition
primordiale, et la tradition hindoue en est la continuation extérieure Le premier article de Regnabit
(août-septembre 1925) inaugure une mise en évidence de la tradition
primordiale par le biais d’un comparatisme des symboles. Guénon y évoque le
paradis terrestre, Centre du monde, Coeur de Dieu, dans lequel tout était
contemplé sous l’aspect de l’éternité. Dans un addendum publié en décembre de
la même année, et qui entendait répondre à des objections formulées à la
suite de ce premier article, il distingue deux aspects du Christ : un «
Christ-principe », c’est-à-dire le « Verbe manifesté au point central de
l’Univers », et sa « manifestation historique, terrestre et humaine ». Il
revient sur la question dans son article « Le Verbe et le Symbole », paru en
janvier 1926. Il y affirme que la Révélation primordiale est l’oeuvre du
Verbe, de l’Intellect divin, et qu’elle s’est incorporée dans des symboles
transmis depuis l’origine de l’humanité Guénon exprime alors en termes
chrétiens ce qu’il avait déjà exprimé plus partiellement ou différemment en
termes hindous dans ses livres précédents. On relèvera néanmoins ce qui peut
apparaître, compte tenu de la rigueur du langage guénonien, comme une
imprécision. Dans l’addendum cité plus haut, il parle du « Verbe manifesté au
point central de l’Univers » ; dans la phrase suivante, il parle du « Verbe
éternel » et de sa « manifestation historique, terrestre et humaine » et
remarque qu’il s’agit là d’un « seul et même Christ sous deux aspects
différents ». Par l’expression, « Verbe manifesté au point central de l’Univers
», il veut certainement évoquer le Verbe en tant qu’il profère le Fiat Lux
ordonnateur. Dans les Aperçus sur l’initiation (1946), il évoque ainsi
le « point central où a été proféré le Fiat Lux initial. » Toutefois, l’expression de « Verbe
manifesté » comporte une relative ambiguïté et pourrait aussi donner lieu aux
considérations suivantes. En effet, elle suggère qu’il s’agit là d’une
réalité transcendante mais néanmoins manifestée, alors que l’expression «
Verbe éternel », que Guénon évoque dans le même passage, suggère en revanche
une réalité principielle, laquelle transcende la manifestation. Or, dans ce
cas, il n’y a pas seulement deux aspects du Christ (Christ comme Verbe
éternel et Christ comme Incarnation), mais trois aspects (Verbe divin – Verbe
manifesté – Incarnation) qui correspondraient pour les deux premiers à la
distinction opérée par Guénon en parlant de la tradition hindoue : le
Principe (correspondant au Verbe éternel), le Manu ou l’Intelligence cosmique
(correspondant au « Verbe manifesté »), la loi énoncée par Manu (la tradition
primordiale). Dans son article « Le Verbe et le Symbole », Guénon n’évoque
que le Verbe divin ou Intellect divin, auteur de la Création comme de la
Révélation primordiale. Il condense ainsi en une seule notion (Verbe) ce
qu’il avait différencié en Brahma et en Manu dans L’Homme et son devenir
selon le Vêdânta. C’est dans son livre suivant, Le Roi du monde,
qu’il va faire de Melchisédech ou Melkitsédeq le symbole occidental
correspondant à Manu. Par là même, il semble qu’il ait voulu inscrire plus
précisément la tradition judéo-chrétienne dans un « schéma ternaire » :
Principe – Manu – Tradition primordiale. Dans Le Roi du monde,
publié au début de 1927, Guénon fait apparaître, pour la première fois de
façon développée et explicite depuis ses articles de La Gnose,
l’universalité d’une direction transcendante du monde. Il évoque ainsi les
différents noms reçus par le Centre ou le Coeur du monde, « lieu » de la
tradition primordiale : Agarttha, Pardès, Paradis, Terre pure Tula. Il
revient aussi sur la question de Manu en montrant que ce Législateur est une
notion universelle présente dans toutes les traditions. Manu est le principe
conservant la tradition sacrée par laquelle la Sagesse primordiale se
communique à travers les âges. Il est le Roi du monde, à la fonction
régulatrice et ordonnatrice. Guénon identifie le Roi du monde à Melchisédech,
reprenant, en lui donnant un développement plus net, une idée déjà présente
dans la Mission des Juifs de Saint-Yves d’Alveydre. Melchisédech
réunit en une seule figure les trois fonctions (Prophète, Prêtre, Roi)
représentées par les Rois Mages (RM, 52). Guénon cite l’Epître aux Hébreux
qui commente la rencontre d’Abraham et de Melchisédech dans la Genèse (XIV,
19-20). Saint Paul écrit que Melchisédech est semblable au Fils de Dieu.
Guénon en conclut que Melchisédech est, pour notre monde, « l’expression et
l’image même du Verbe divin » Reflet du Principe universel au
Centre du cosmos, la Tradition primordiale est l’unité essentielle et
atemporelle de toutes les traditions manifestées au cours de notre cycle
historique. Cette tradition primordiale s’inscrit dans une conception
cosmologique et métaphysique que Guénon a notamment exposée dans L’homme
et son devenir selon le Vêdânta (1925), Le symbolisme de la croix
(1931) et Les états multiples de l’être (1932). Les sources de cette
conception sont anciennes : cinq articles repris presque entièrement dans le Symbolisme
de la croix avaient été publiés dans La Gnose de février à juin
1911 et trois articles de La Gnose (septembre à décembre 1911)
offraient un résumé des futurs développements de L’homme et son devenir
selon le Vêdânta (« La Constitution de l’être humain et son évolution
posthume selon le Védânta »). Par ailleurs, écrit Marie-France James, une
longue lettre de Guénon à Noële Maurice-Denis du 12 août 1917 traite « les
grands thèmes de sa doctrine métaphysique des "états multiples de
l’être" ». Enfin, comme en témoignent des procès-verbaux cités par
Jean-Pierre Laurant, les conférences de « l’Ordre du Temple rénové » (1908)
signalent déjà plusieurs thèmes que Guénon reprendra plus tard : on y trouve
notamment mentionnés les futurs titres du « Symbolisme de la Croix » et des «
États multiples de l’Être ». Ces oeuvres portent la marque de l’influence de
Matgioi, mais transformée et intégrée à un langage plus précis (Guénon
reprochait au style de Matgioi « un défaut de précision », employant
largement le symbolisme mathématique et géométrique et se servant
principalement d’une base doctrinale hindoue. L’originalité de Guénon sera de
concevoir la Tradition primordiale au sein d’une vision géométrique
rigoureuse de la réalité métaphysique et de la manifestation universelle,
échappant au flou conceptuel et langagier fréquent dans l’occultisme et
suggérant ainsi une vérité cristalline, qu’il voulait impersonnelle et
anhistorique. D’après
des indications éparses dans l’oeuvre guénonienne, il est possible de résumer
ainsi les principaux aspects de la tradition primordiale. • L’UNITÉ ET LA SYNTHÈSE.
– La tradition primordiale est Une,
comme la Vérité, si bien qu’elle est le « "monothéisme" le
plus transcendant et le plus absolu ». Toutes les traditions régulières étant
issues de la tradition primordiale, il en résulte ainsi une unité
fondamentale de toutes ces traditions, une unité doctrinale essentielle La
métaphysique pure est universelle, ni orientale ni occidentale, même si, dans
les temps actuels, elle est effective en Orient, mais perdue en Occident • LA COMPLEXITÉ. –
La tradition primordiale n’est pas simple : elle comprend tout ce qui a été
manifesté par les formes traditionnelles, « avec quelque chose de plus encore
». Le centre suprême conserve à l’état latent, jusqu’à la fin du cycle
actuel, toutes les formes traditionnelles qui ont cessé de se manifester.
Autrement dit, la tradition primordiale est le principe commun des traditions
passées ou présentes du cycle historique actuel : elle les contient et les
synthétise toutes, tout en étant qualitativement plus qu’elles. • L’INTEMPORALITÉ. – Alors que des traditions peuvent disparaître,
la tradition primordiale est la seule qui demeure du début à la fin de notre
cycle. D’autre part, l’origine des doctrines métaphysiques est hors du temps
et non-humaine, puisque la Tradition primordiale est au-delà de l’humanité et
remonte aux origines du cycle lui-même : ces doctrines ne sont pas apparues à
un moment donné dans l’histoire de l’humanité, car la vérité est éternelle et
n’est pas affectée par ses manifestations multiples. L’origine non-humaine
des traditions les distingue radicalement de la coutume qui, elle, est
humaine. Toutefois, la Tradition primordiale ne s’identifie pas à l’Éternité,
que Guénon réserve au Principe divin. Dans un article de 1949 sur le «
Sanâtana Dharma », il écrit que la Tradition primordiale est pérenne et non
éternelle : elle dure la durée d’un cycle ou Manvantara. Il précise :
« Enfin, il doit être bien entendu que cette perpétuité, avec la stabilité
qu’elle implique nécessairement, si elle ne doit aucunement être confondue
avec l’éternité et n’a même avec elle aucune commune mesure, est cependant
comme un reflet, dans les conditions de notre monde, de l’éternité et de
l’immutabilité qui appartiennent aux principes mêmes dont le Sanâtana
Dharma est l’expression par rapport à celui-ci. » Ailleurs, il écrit que
pendant le cataclysme qui sépare chaque cycle, le Véda (qu’il relie à la
tradition primordiale) est sauvegardé afin qu’il puisse se manifester au
début du cycle suivant. En d’autres termes, la Tradition primordiale est un
reflet cosmique, et donc conditionné, de l’Éternité, en sorte qu’elle est
intemporelle et immuable sans être éternelle comme le Principe dont elle est
issue. • LA TRANSCENDANCE. – Guénon écrit que le paradis terrestre, qui
n’est autre que la tradition primordiale, est effectivement une partie du «
cosmos », bien que sa position soit virtuellement supra-cosmique : il «
représente le "sommet de l’être contingent" ». Le centre, écrit-il
ailleurs à propos du centre spirituel suprême et des centres secondaires qui
le reflètent, a un caractère principiel et peut être appelé « le lieu de la
non-manifestation ». Dans un article de 1939 : « Il importe de remarquer que,
quoique le Paradis terrestre soit encore effectivement une partie du
"cosmos", sa position est virtuellement "supra-cosmique"
». En d’autres termes, le paradis terrestre, lieu de la tradition
primordiale, est à l’intérieur du cosmos, tout en le transcendant par sa
nature principielle, puisqu’il est une réflexion cosmique du Verbe divin.
Autrement dit, le paradis terrestre ou le Centre du monde ou la tradition
primordiale est un reflet du Principe dans le cosmos : il est au centre
intemporel du monde, mais il est néanmoins à l’intérieur du cosmos qu’il
transcende par sa qualité principielle. Guénon précise ailleurs que l’on peut
envisager le centre sous deux aspects : soit dans un sens relatif : c’est le
paradis terrestre, centre de l’état humain, faisant encore partie du cosmos
ou de la manifestation ; soit dans un sens plus universel : c’est le paradis
de l’Essence, centre de l’être total affranchi du cosmos. Guénon insiste ainsi sur le fait
que la tradition primordiale ou son énonciateur et représentant (Manu, Roi du
monde, etc.) sont des reflets du Verbe divin. Dans un chapitre des Aperçus
sur l’initiation, repris d’un texte de Regnabit, il écrit à propos
du symbolisme que son origine « est dans l’oeuvre même du Verbe divin : elle
est tout d’abord dans la manifestation universelle elle-même, et elle est
ensuite, plus spécialement par rapport à l’humanité, dans la Tradition
primordiale qui est bien, elle aussi, "révélation" du Verbe ». Dans
Le Roi du monde, il note que le Manu hindou n’est pas un personnage,
mais « l’Intelligence cosmique qui réfléchit la Lumière spirituelle pure et
formule la Loi (Dharma) propre aux conditions de notre monde ou de
notre cycle d’existence ». Plus loin dans le même livre, il précise : « une
des significations contenues dans ce nom de Manu indique précisément
la réflexion de la Lumière divine. ». Il ajoute quelques lignes plus loin que
Manu est issu « de Swayambhû, "Celui qui subsiste par
soi-même", ou le Logos éternel ». De fait, la tradition primordiale
de Guénon ne possède ni l’éternité, ni l’universalité, ni la perfection du
Verbe divin, puisqu’elle se présente comme son reflet conditionné, pérenne,
relatif et « cosmique ». Toutefois, il affirme également que la tradition
primordiale et le Manu qui l’énonce s’identifient en dernière analyse avec
leur Source principielle. Dans L’homme et son devenir selon le Vêdânta
(1925), il écrit ainsi que Manu « ne doit aucunement être regardé comme un
personnage ni comme un "mythe" (du moins au sens vulgaire de ce
mot), mais bien comme un principe, qui est proprement l’Intelligence
cosmique, image réfléchie de Brahma (et en réalité une avec Lui),
s’exprimant comme le Législateur primordial et universel. ». Quant à Brahma,
on peut lire dans le même livre qu’il est « le Principe suprême ». Guénon
distingue Brahma d’Ishwara qui est, selon lui, la « Personnalité Divine » :
Ishwara « n’est qu’une détermination en tant que principe de la manifestation
universelle et par rapport à celle-ci. ». Il ajoute à propos d’Ishwara : «
c’est la plus haute des relativités, la première de toutes les
déterminations, mais il n’en est pas moins vrai qu’il est
"qualifié" (saguna), et "conçu distinctivement" (savishêsha),
tandis que Brahma est " non-qualifié" (nirguna),
"au-delà de toute distinction" (nirvishêsha), absolument
inconditionné » Autrement dit, Manu est à la fois distinct du Principe divin
et un avec lui. Par conséquent, la Tradition primordiale, tout en étant un
reflet conditionné de l’Unité suprême, ne fait essentiellement qu’un avec
elle. |
renÉ guÉnon
et les 7 tours du diable |
Jean-Marc
ALLEMAND |
Edition
Trédaniel |
1990 |
||
|
RENÉ GUÉNON - LA DERNIÈRE CHANCE DE L’OCCIDENT |
Jean Robin |
Edition Trédaniel |
1983 |
A
l’approche des plus terribles échéances que l’Occident ait eu à affronter,
l’œuvre de René Guénon revêt une
importance vitale. Ce n’est certes pas par hasard que le général de Gaulle
avait désigné le grand métaphysicien comme un maître spirituel, à ses « compagnons
secrets ». En
dépit de toutes les incompréhensions, la voie qu’il a tracée, explicitement
ou implicitement, s’impose comme la dernière chance de réaliser
l’indispensable « jonction des extrêmes », et de consacrer, enfin,
l’union du spirituel et du temporel, même dans une perspective
eschatologique. Jean
Robin,
en s’appuyant sur l’œuvre et sur la correspondance inédite, dévoile dans cet
ouvrage le message le plus secret de René Guénon, « ce grand Français »,
qui est aussi un auteur authentiquement « révolutionnaire ».
L’histoire contemporaine, vue de la coulisse, révèle son véritable sens, et
les forces qui s’affrontent sous nos yeux, s’investissent d’une dimension
archétypale. Lorsqu’on
a lu tout ou partie de l’œuvre de Guénon, et que l’on croit avoir compris, on
peut se poser la question, et maintenant que faire ? Alors il faut
peut-être méditer ces paroles de Ramana Maharishi qui invitent au seul
voyage qui ne soit pas dispersion et futilité « Vous ne serez satisfait que lorsque vous aurez atteint
la Source, jusque-là vous n’aurez aucun repos » Alors
mettons-nous en route, faisons ce pèlerinage aux innombrables étapes,
par-delà le temps et l’espace. C’est une périlleuse navigation, comme celle
des Argonautes, mais la Toison d’Or est au bout, cette Pax Profunda qui était aussi le but des
petites Mystères antiques. Ce Pérégrin qui traverse le Tarot, nous fait
sentir les nombreuses difficultés de cette recherche et de ce voyage, on
connaît le but, mais nous devons apprendre quels sont nos ennemis et nos
amis, quel est l’ennemi à combattre, mais aussi quelles armes avons-nous à
notre service. Mais
ce grand voyage initiatique passe aussi par le centre de la croix, là
« où se concilient et se résolvent toutes les oppositions ». André
Breton qui admirait René Guénon disait : Tout porte à croire qu’au
centre de la croix existe un point d’où la vie et la mort, le réel et
l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut
et le bas cessent d’être perçus contradictoirement ; or c’est en vain
qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de
détermination de ce point ou centre (second manifeste du surréalisme). Au sommaire de cet ouvrage : Le Gallicanisme et la mission de la France
- De Mélusine aux
Rois Mages - Les faux prophètes de la
Guerre Sainte - Les
7 tours du diable -
Peuple et prolétariat
- la pyramide tronquée ou la
mission de Benjamin Franklin -
Gengis Khan et les chapeaux-cachettes
- Les
reniements de Pierre - L’imposture du
Pentecôtisme -
Le Géant et la Louve
- Le Messie
menteur, au pays de l’Antéchrist
- La
nouvelle Jérusalem -
Les noces de l’agneau et la Réalisation
ultime |
RENÉ GUÉNON - L’APPEL DE LA SAGESSE PRIMORDIALE |
Sous la direction de Philippe Faure |
Edition du Cerf |
2015 |
Figure difficilement classable de l’histoire intellectuelle du XXe siècle, le métaphysicien français René Guénon (1886-1951) s’est consacré à l’exploration des doctrines traditionnelles et de leurs expressions symboliques, en cherchant à mettre en lumière leur unité et leur sens profonds, il nous a laissé ainsi un patrimoine intellectuel magnifique. Dans le contexte actuel de mutation du monde et de rencontre des religions, son oeuvre apparaît à bien des égards comme pionnière et mérite d’être revisitée dans une perspective historique. Réunissant une vingtaine d’études pluridisciplinaires, cet ouvrage entend situer l’auteur dans son contexte intellectuel et spirituel, analyser son approche des grandes traditions vivantes, l’hindouisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam, explorer la réception de l’oeuvre dans certains milieux et les perspectives ou les débats qu’elle a pu contribuer à nourrir dans plusieurs domaines. De la diversité des points de vue et des sujets traités se dégagent une vision et une évaluation renouvelées de l’une des œuvres les plus influentes du XXe siècle, longtemps négligée par la recherche universitaire mais qui est en train d’être revisitée et redécouverte par les jeunes générations en recherche de spiritualité. Un magnifique ouvrage de référence, livre de 530 pages qui fait le tour de l’oeuvre de Guénon et donne la parole a ceux qui l’ont connu et à ceux qui connaissent et apprécient son oeuvre. Au sommaire de cet ouvrage : Philippe Faure, introduction Xavier Accart, La réception de l’œuvre de René Guénon par les milieux littéraires et intellectuels de son temps. Les phases de la réception et le rôle des générations - l’écart entre une représentation politique tardivement forgée et la réalité de l’influence - P. Laude, Sources traditionnelles et contextes contemporains. J.-P. Laurant, La correspondance Guénon/Coomaraswamy ou l’échange de bons procédés. – Un historien de l’art hors du commun - Guénon enseigné, Guénon enseignant - Une doctrine et une dimension personnelle - Léopold Ziegler avec André Préau, leurs diverses correspondances ainsi que celle de Ziegler avec Guénon en 1932 - M. Korger, L’image de René Guénon dans les écrits de Léopold Ziegler et André Préau. J. Moncelon, René Guénon et Louis Massignon. Les appels de l’Orient. J.-L. Gabin, René Guénon et Alain Daniélou : un témoin et sa parodie. Recueil de la correspondance entre Guénon et Alain Daniélou - démarcage de Guénon avec Alain Daniélou - J.-M. Vivenza, René Guénon et la connaissance métaphysique - L’intuition métaphysique - la tradition hindoue est-elle de nature métaphysique en son essence ? - Universalité métaphysique et acosmisme philosophique - J. Borella, René Guénon et « l’erreur » philosophique. La philosophie repoussoir de la métaphysique - la philosophie d’Aristote, seule métaphysique d’Occident - Descartes et son système - Ph. Faure, René Guénon et la Bible : la voie des symboles. Une approche par les symboles des sciences traditionnelles - Discours sur le Verbe-Principe et ses manifestations - Une exégèse universaliste et eschatologique - P. Fenton, René Guénon et le judaïsme - La tradition hébraïque - le sionisme - Guénon et les juifs - les juifs et Guénon - Guénon en Egypte et le milieu judéo-francophone - guénoniens et guénonisants juifs - Guénon et l’école d’Orsay - lettres à Hillel - J.-P. Brach, Christianisme et « Tradition primordiale » dans les articles de René Guénon pour la revue catholique Regnabit. 1925-1927 - Théologie du Sacré Cœur - les ambigüités d’une collaboration - Orient et Occident - P. Urizzi, Présence du soufisme dans l’œuvre de René Guénon - le rattachement de Guénon au soufisme - Présence de la doctrine d’Ibn Arabi dans l’oeuvre de Guénon - des expressions soufies - Patrick Ringgenberg, Tradition primordiale et universalisme selon Frithjof Schuon et le pérennialisme - la Pistis Perennis - la Tradition Primordiale chez Guénon - la réinterprétation de Schuon - J. Rousse-Lacordaire - Pensée traditionnelle et théologie chrétienne des religions - Théologie - religion - Christologie du Verbe - L. Nefontaine, Haine et/ou vénération ? Ambivalence de l’image de René Guénon dans la franc-maçonnerie d’aujourd’hui. Du guénonisme à la guénolatrie - guénophobie - S. Hossein Nasr, L’influence de René Guénon dans le monde islamique. Egypte et Maghreb - Iran - Turquie - Pakistan - le cas de la Bosnie - B. Pinchard, Le symbolisme spatial de René Guénon et sa mathématique. E. Phalippou, l’ethnologie de l’intérieur : une discipline « semi-profane » ? Entre européocentrisme et connaissance de l’autre - des précurseurs de l’ethnologie cognitive - la convergence entre René Guénon et Arthur-Maurice Hocart - Guénon et Théodore Monod - J. Viret - Musique et Tradition. La perspective traditionnelle en musicologie - |
RenÉ GUÉNON
Le philosophe invisible |
J.Luc MAXENCE |
Edition
Presse de la Renaissance |
2001 |
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Destinée
primitivement à restaurer l’intellectualité sacrée, l’ésotérisme véritable, à
rouvrir le chemin des doctrines orientales, et à favoriser la formation d’une
élite occidentale en vue des événements annoncés de la fin du cycle, l’œuvre
de Guénon, désormais inscrite au tableau culturel du monde moderne, court le
risque d’une reconnaissance académique : elle se trouvera rangée, à côté
d’autres gloires aussi indiscutables, mais comme elles, neutralisée,
cataloguée, dictionnarisée, ensevelie sous les rubriques aseptisées de
l’information régnante. On parlait autrefois, à son propos, d’une
conspiration du silence ; on parle encore aujourd’hui, dans un livre au
demeurant de bon aloi, du « philosophe invisible ». On
évoque la présence incontestable d’une œuvre qui a effectivement exercé un
magistère « secret » sur beaucoup d’auteurs célèbres ; et l’on ne manque pas
de citer André Gide, lequel, à mon avis, avait poussé l’art de se moquer du
monde au-delà des limites ordinaires de la comédie littéraire : les
guénoniens qui se félicitent de ce témoignage ambigu seraient-ils aussi naïfs
que le reste des profanes ? Et n’oublions pas qu’il y a également des
conspirations du bruit ; le vacarme n’est pas moins assourdissant que le
silence n’est étouffant, ou plutôt, il est davantage mortifère. Certes,
s’agissant de Guénon, nous n’en sommes pas encore là, Dieu merci. Mais ne
nous imaginons pas que le « zapping culturel » de notre époque soit en mesure
d’accorder plus qu’une attention distraite à un auteur dont l’originalité,
voire la marginalité, flatte notre goût pour les curiosités intellectuelles,
en attendant autre chose. |
renÉ
guÉnon – les dossiers h |
Divers auteurs |
Edition L’âge d’Homme-Suisse |
1984 |
Livre très important de
320 pages avec des articles sur R. GUENON par TOURNIAC, Gérard de SORVAL, J.
BORELLA, M.M. DAVY, André GIDE etc. Correspondance importante de René
Guénon chronologie et bibliographie. « Dans le monde moderne où les
voies de la transmission normale de la connaissance ésotérique sont fermées
pour la plupart, les livres jouent un rôle très différent de celui qu'ils
jouaient dans des circonstances normales, de sorte que certains enseignements
jusque-là préservés sous forme orale se mirent à circuler sous forme écrite,
constituant ainsi véhicules d'enseignement et de guidance pour ceux qui se
trouvent privés de tous les autres moyens. Cette manifestation compense la
disparition des voies traditionnelles de transmission de la connaissance, au
moins dans son aspect théorique, sans que cela implique que cette situation
elle-même puisse entraîner la manifestation de l'intégralité de la
connaissance traditionnelle dans les livres sous une forme facilement
accessible à tous. » Dans le Dossier H consacré
à Guénon, Daniélou aborde la question de l'accès à l'intégralité
du Sanâtana Dharma, à propos du Védisme. Le Védisme, précise Daniélou,
est « censé représenter la tradition primordiale d'un point de vue, disons,
officiel. Mais, du point de vue ésotérique, il apparaît comme une religion
qui en est devenue, à un certain moment, le véhicule ». Daniélou s'étonne que
Guénon n'ait pas eu accès au Shivaïsme, car les plus hauts degrés de
l'initiation ésotérique, transmis « presque exclusivement par les Sannyasis,
sont shivaïtes. Ils sont en dehors du Brahmanisme, comme d'ailleurs de toute
religion, et représentent en fait ce que Guénon appelle la Tradition
primordiale ». Mais Daniélou considère que l'Introduction aux doctrines
hindoues est le premier ouvrage à avoir tracé un tableau authentique
du Sanâtana Dharma, « cette conception d'une révélation première
transmise à travers les âges par des initiés, telle qu'elle apparaît dans
l'hindouisme mais dont les traces doivent inévitablement se retrouver, sous
une forme plus ou moins cachée, dans toutes les civilisations puisqu'elles
sont la raison d'être de l'homme ». Comme souvent avec Daniélou, tout est dit
en très peu de lignes ; notamment le fait que cette révélation première
affleure dans toute société humaine, mais que sa signification intégrale
n'est transmise que par des voies initiatiques, lesquelles ne sont pas
faciles d'accès, ne sont pas destinées à tout le monde et, pour commencer, ne
sont pas présentes partout. Afin d'éviter autant
que se peut toute méprise, Daniélou reprend, dans le même texte, la question
de l'origine transcendante, supra-humaine dirait Guénon, du Sanâtana
Dharma :« La première révélation de ce que l'homme doit connaître des
lois qui régissent l'Univers et des destinées des êtres vivants a été donnée
à des Rishis (Voyants), des sages des premiers âges. Leur
enseignement a été ensuite transmis par des initiés, des hommes jugés dignes
d'assurer la continuité de cette fonction essentielle, à travers toutes les
mutations, les alternances de décadence et de progrès, les changements de
religion, de langue, de société. Ceci n'exclut pas que des révélations
ultérieures viennent parfois rafraîchir la mémoire des représentants de la
Tradition ». Accord total, aussi,
sur ce que Guénon nomme, dans Le Règne de la Quantité, la
pseudo-initiation et la contre-initiation. Daniélou écrit, toujours dans ce
témoignage du Dossier H : « Guénon, qui avait pris contact avec les
diverses organisations initiatiques, les Rose-Croix, les Francs-maçons, les
Théosophes, etc., en avait aussitôt avec justesse décelé les artifices.
Certains de ces ouvrages, tels que Le Théosophisme, histoire
d'une pseudo-religion, et L'Erreur spirite en sont une
condamnation très bien documentée ». Daniélou ne cite pas Le Règne de
la Quantité qui me semble, personnellement, un ouvrage de tout
premier plan pour la quête du Sanâtana Dharma, du moins pour nous
aujourd'hui, en Europe, qui cherchons à travers les livres et n'avons pas
bénéficié d'un enseignement régulier dans une instance traditionnelle, comme
ce fut le cas pour les 2 auteurs dont nous parlons. Le Règne de la
Quantité consacre plusieurs chapitres aux organisations syncrétiques
et aux sectes, permettant de mieux identifier les culs-de-sac et les pièges
de l'entreprise anti-traditionnelle multiforme qui marque la dernière période
du Kali Yuga. Un vrai trousseau de
clefs pour aujourd'hui que Le Règne de la Quantité et les Signes des
Temps, d'autant plus stupéfiant qu'il fut publié pour la première fois en
1946. Je me contenterai d'une brève citation, en rapport avec ce que disait
Coomaraswamy tout à l'heure des chemins où se sont perdus tant d'artistes et
de “poètes maudits”, ces martyrs météoriques de la modernité : « Certains
recherchent avant tout de prétendus “pouvoirs”, c'est à dire, en somme, sous
une forme ou une autre, la production de phénomènes plus ou moins
extraordinaires (..). Bien entendu, il ne s'agit aucunement ici de nier la
réalité des “phénomènes” (..) ils ne sont même que trop réels, pourrions-nous
dire, et ils n'en sont que plus dangereux (..). En général, l’être qui
s'attache à ces choses devient ensuite incapable de s'en affranchir et
d'aller au-delà, et il est irrémédiablement dévié (...). Il peut y avoir là
une sorte de développement “à rebours” qui (...) éloigne toujours davantage
de la réalisation spirituelle jusqu'à ce que l'être soit définitivement égaré
dans ces prolongements inférieurs (…) par lesquels il ne peut qu'entrer en
contact avec “l'infra-humain” ». Il y a ainsi
dans Le Règne de la Quantité des mises en garde nombreuses
et détaillées contre l'action des organisations pseudo-traditionnelles, qui
d'ailleurs se haïssent entre elles avec une virulence que Guénon compare aux
haines qu'on observe entre des chapelles politiques rivales. J'emploie
d'ailleurs à dessein l'expression “chapelle politique”, parce qu'à mes yeux,
j'y reviendrai dans un instant, la politique et “l'actualité”, si importantes
dans la vie de nos contemporains, me semblent fonctionner comme de véritables
substituts du religieux. Daniélou, lui aussi, met en garde expressément
contre toutes les formes d'enrôlement, particulièrement contre les pièges
dans lesquels tombent en Inde les Occidentaux trop crédules, « parfois
attirés par des sectes prétendues initiatiques ou enrôlés par des aventuriers
pseudo-mystiques, en particulier certains Indiens qui diffusent un Védanta
très simplifié et exploitent leur crédulité ». Il faut remarquer qu'A.
Daniélou a cru nécessaire de revenir sur ces questions à la fin de sa vie,
lors de la réédition du Chemin du labyrinthe, comme si les illustrations
terrifiantes contenues dans « Le Maître des Loups » et « Le bétail des
dieux » ne suffisaient pas à dessiller nos yeux occidentaux, imbus de
positivisme et du sentiment de supériorité que décerne si prodigalement
l'enseignement massifié de nos Universités. On pourra se reporter en particulier à ce que Daniélou écrit à
propos de « Wolfgang », qui « confondit, comme beaucoup, la fumée du haschich
et la spiritualité indienne » et se laissa entraîner par un de ces « ascètes
hirsutes qui, par des pratiques liées au yoga, acquièrent d'étranges pouvoirs
qui vont de la lévitation à l'hypnotisme, en passant par la vision à
distance, l'insensibilité à la chaleur et au froid, l'envoûtement, l'asservissement
de leurs victimes, etc. J'ai toujours eu très peur de ces êtres étranges dont
le regard fulgurant fait aussitôt vaciller votre raison et votre volonté, et
dont il vaut mieux s'éloigner sans délai ». On peut aussi faire son profit,
dans ces ultimes pages d'A. Daniélou, des précisions qu'il apporte au sujet
de prétendues activités politiques qu'il aurait eues en Inde, ou de
sympathies politiques qui auraient été les siennes en Occident. On ne voit
pas très bien pour quelle raison A. Daniélou, qui n'a jamais été effrayé
d'assumer son anticonformisme, aurait dissimulé au soir de sa vie des
appartenances ou des sympathies, dans une biographie qui est à mille lieues
du nombrilisme mais dont la sincérité ne fait aucun doute. Contrairement à
Julius Evola, mais proche encore sur ce terrain de Guénon, Daniélou s'est
toujours tenu volontairement à l'écart de la politique. Le dernier texte du Chemin du labyrinthe s'intitule
symboliquement « le choix du libre arbitre » : « Dans la société orthodoxe où
je vivais (pendant la seconde guerre mondiale, à Bénarès) s'affrontaient
subtilement et se mêlaient une orthodoxie védique sympathisant avec les
théories aryennes du nazisme et une tradition shivaïte profondément opposée
aux aryens. Swami Karpâtrî, dont je suivais fidèlement les enseignements,
avait créé un mouvement culturel, le Dharma Sangh (association pour
la défense des valeurs morales et religieuses) afin d'opérer un retour aux
valeurs de la culture et de la société traditionnelle. Il critiquait les idées
socialistes représentées par le Congrès national de Gandhi et Nehru
mais aussi les réformateurs pseudo-traditionnels comme Aurobindo ou Tagore,
qui prétendaient revenir à une tradition idéalisée, mais étaient très imbus
d'idées occidentales. Par ailleurs, Karpâtrî était très hostile aux idées
du Rashtrya Svayam Sevak Sangh (association pour la défense des
valeurs nationales) qui préconisait des méthodes inspirées du fascisme dans
la lutte contre le Congrès et les idées modernistes (...). De par
mon opposition à la domination anglaise et mon attachement à l'Inde, j'avais
des rapports très proches avec les dirigeants du mouvement indépendantiste,
avec Nehru et sa famille et aussi avec la célèbre poétesse Sarojini Naïdu,
tous membres influents du Congrès (…). À aucun moment et en aucune
façon je n'ai voulu me mêler des mouvements politiques, ni d'un côté ni de
l'autre ». Le chemin pour retrouver une sagesse oubliée n'est pas toujours
facile à suivre, mais il est à présent bien tracé. « Dans le monde moderne où
les voies de la transmission normale de la connaissance ésotérique sont
fermées pour la plupart, les livres jouent un rôle très différent de celui
qu'ils jouaient dans des circonstances normales, de sorte que certains
enseignements jusque-là préservés sous forme orale se mirent à circuler sous
forme écrite, constituant ainsi véhicules d'enseignement et de guidance pour
ceux qui se trouvent privés de tous les autres moyens. Cette manifestation
compense la disparition des voies traditionnelles de transmission de la
connaissance, au moins dans son aspect théorique, sans que cela implique que
cette situation elle-même puisse entraîner la manifestation de l'intégralité
de la connaissance traditionnelle dans les livres sous une forme facilement
accessible à tous Pour l'approche intellectuelle de cette sagesse, les langues
occidentales, requalifiées métaphysiquement, en quelque sorte, par tous ces
auteurs extrêmement attentifs à la précision du vocabulaire, disposent à
présent d'un grand nombre de textes fondamentaux, aisément accessibles.
S'agissant du désir de “pratiques”, en revanche, on peut noter les mises en
garde répétées de tous ces auteurs. On a oublié dans notre monde profane
combien toutes les sociétés traditionnelles étaient attentives aux questions
de purification, de qualification, aux instants favorables et défavorables,
aux précautions pour neutraliser les forces dangereuses, grâce à des
“techniques de pointe”, si l'on ose dire, dont l'origine et l'inspiration,
analysées comme “primitives” par les ethnologues positivistes, sont toujours
présentées comme “non-humaines”. La recherche du savoir est toujours légitime, mais l'utilisation
de ce savoir pour jouir d'un pouvoir est un obstacle, une disqualification
dans cette sorte de jeu de l'oie qui consiste à retrouver patiemment le
chemin du divin. Et quant à l'incorporation effective dans une tradition
régulière, ce qui peut être également une aspiration légitime, les auteurs
traditionnels sont encore unanimes : la première règle consiste à accepter de devenir
ce que l'on est, accepter sa naissance hic et nunc, car si l'esprit
souffle où il veut, on sait qu'invariablement, du point de vue initiatique, «
c'est en réalité la voie qui choisit l'homme et non l'homme qui choisit la
voie ». Il semble qu'au fur et à mesure que le monde moderne descend
plus bas dans l'inharmonie et l'empoisonnement de la planète, des lumières
apparaissent, différentes comme sont différentes les voies. Les auteurs
traditionnels du XXe siècle ont en commun des connaissances immenses et
des clés pour l'interprétation des grands symboles qui soudain se
répondent et correspondent dans une unité éclatante — et non
plus ténébreuse comme chez Baudelaire. Ils ont en même temps des
styles très différents et même des formulations qui pourraient sembler
contradictoires : Nasr se réfère au Dieu de l'Islam et du Christianisme,
alors que le mot “Dieu” est beaucoup moins prononcé dans l'œuvre de Guénon ;
Coomaraswamy traduit “Deva” par “Anges”, alors que Daniélou, qui a consacré
un ouvrage entier à la réhabilitation intellectuelle du polythéisme, parle
évidemment de Vishnou et de Shiva comme d'autant de Dieux ou d'aspects du
divin. Ouvrage de référence. |
renÉ guÉnon
– les enjeux d’une lecture |
Jean-Pierre laurAnt |
Edition
DERVY |
2006 |
René Guénon, dont la destinée et l’œuvre sont singuliers
– intellectuel catholique, il est mort musulman au Caire en 1951 –, s’est
insurgé toute sa vie contre l’évolution de la civilisation occidentale.
Considérant que celle-ci était pervertie par un mauvais usage de la raison,
il a plaidé avec force et conviction pour un retour à la Tradition
originelle, telle qu’on peut encore la voir « vivante » dans d’autres
civilisations. Pour
Guénon, le symbolisme a une importance fondamentale, sur laquelle il insiste
dès son premier livre : le symbole est « la langue métaphysique par
excellence » Il possède par ailleurs, ajoute-t-il, une efficacité réelle en
tant que moyen de réalisation spirituelle : les rites, qui « ont un caractère
éminemment symbolique », facilitent la réalisation métaphysique, «
c’est-à-dire la transformation de cette connaissance virtuelle qu’est la
simple théorie en une connaissance effective. » Du
symbolisme, Guénon va principalement évoquer trois aspects, pour lui
indissociables. D’abord, et si l’on suit l’ordre chronologique d’apparition
de ces thématiques dans son oeuvre, il souligne l’emploi des symboles dans
l’enseignement initiatique et traditionnel. Ce thème est déjà présent dans
une conférence publiée comme article en 1913 et consacrée à « L’enseignement
initiatique » ; il apparaît ensuite régulièrement dans les textes des années
1920 pour connaître un développement particulier dès 1932, dans les articles
qu’il consacre aux principes et aux méthodes de l’initiation. Ensuite, une
métaphysique du symbole, qu’il esquisse dans des articles de Regnabit
en 1925-1926 et à laquelle il va donner une dimension plus vaste en 1931 avec
Le symbolisme de la croix, en exposant une théorie des degrés de la
réalité universelle, fondement du symbolisme. Enfin, le comparatisme des
symboles traditionnels, qui vise à montrer l’existence d’une tradition
primordiale, source unique et non-humaine de tous les symboles traditionnels
manifestés dans l’histoire. Ce
comparatisme apparaît de manière systématique dès 1925 avec L’ésotérisme
de Dante et les articles de Regnabit, et se poursuit par la suite
jusqu’aux derniers livres et articles. Dans l’oeuvre guénonienne, ces trois
aspects de la question du symbolisme sont indissociables et elles commandent
la logique interne de ses exposés : lorsque Guénon explicite tel symbole,
c’est à la fois pour évoquer une doctrine métaphysique, suggérer la
concordance des traditions et leur rattachement à la tradition primordiale,
et donner au lecteur des clés intellectuelles susceptibles d’éveiller en lui
une intelligence profonde des traditions. Nous allons à présent détailler ces
trois aspects, en développant plus particulièrement le comparatisme des
symboliques. En
effet, si le monde est l’effet de la Parole divine proférée à
l’origine des temps, la nature entière peut être prise
comme un symbole de la réalité surnaturelle. Tout ce qui est, sous quelque
mode que ce soit, ayant son principe dans l’Intellect divin, traduit ou
représente ce principe à sa manière et selon son ordre d’existence ; et,
ainsi, d’un ordre à l’autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent
pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est comme un reflet de
l’Unité divine elle-même
Dans
L’ésotérisme de Dante, publié la même année, les similitudes qu’il
relève entre le voyage céleste de Dante et les conceptions islamiques,
persane et indiennes « ne montrent pas autre chose que l’unité de la doctrine
qui est contenue dans toutes les traditions ». Dans le « Verbe et le Symbole
» (Regnabit, janvier 1926), il fait le lien entre le principe
métaphysique des symboles et les symboles traditionnels manifestés dans
l’histoire. Il insiste sur l’origine non-humaine du symbolisme et sur le
rattachement des symboles au Verbe, auteur de la Création comme de la
Révélation primordiale. Le symbole, écrit-il, a son origine dans le Verbe
divin et, par rapport à la présente humanité, dans la « Révélation
primordiale », c’est-à-dire dans la tradition primordiale énoncée par le
Verbe. Dans le cours de l’histoire, cette Révélation s’est incorporée « dans
des symboles qui se sont transmis d’âge en âge depuis les origines de
l’humanité » Toujours dans Regnabit, en mai 1926 (« L’idée du Centre
dans les traditions antiques »), il évoque les symbolismes graphiques
rattachés à l’idée de Centre, d’origine et d’unité primordiale : le point au
centre d’un cercle, dont il fait l’image du Principe (le centre) et du Monde
et le motif du swastika, qui exprime selon lui l’idée de giration autour d’un
centre immuable Il souligne l’universalité de ces symboles, rencontrés un peu
partout dans le monde et depuis des époques préhistoriques : preuve, pour
lui, que ces signes se rattachent à la tradition primordiale et qu’ils
expriment des vérités universelles propres à toutes les traditions
|
renÉ guÉnon
l’Éveilleur 1886 – 1951 |
|
Edition
Dervy |
2002 |
||
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RENÉ GUÉNON – LE VISAGE DE L’ÉTERNITÉ |
Erik Sablé |
Edition
Points |
2013 |
Violemment critiqué ou célébré comme un maître, Guénon n’a pourtant jamais revendiqué une œuvre personnelle : il s’est présenté comme le témoin de la Tradition, ce noyau de vérité au cœur des diverses traditions et religions qu’on trouve évoqué par les grands spirituels, des kabbalistes aux soufis en passant par Maître Eckhart pu Shankara. Sa passion de l "Eternité" s’est ainsi déployée comme un travail de transmission de cette Tradition, qu’il s’est attaché à définir et à présenter tout au long de ses livres. Les valeurs de la modernité, particulièrement la prépondérance de la raison, ont en effet dissous le lien avec elle, encore vivante, par exemple, dans certaines communautés tibétaines ou soufies. L’essence de l’homme est spirituelle, et une société qui ne respecte pas cette essence s’égare, vidée de toute dimension sacrée, nous dit Guénon. Son œuvre ne peut que résonner avec le besoin de spiritualité de notre société asséchée par la technique et le rendement. Pour qui a compris la spécificité de l’œuvre de René Guénon, son caractère hors norme, et qui se pose sérieusement la question de la Vérité, ce qui compte est sa conformité avec la Tradition. Il ne s’agit donc pas de discuter l’œuvre de Guénon en la confrontant à des références qui appartiennent à notre patrimoine culturel, ni à l’étudier en fonction de la philosophie contemporaine et à la théologie chrétienne, non, cet ouvrage veut plutôt mettre en parallèle la parole de René Guénon avec la Tradition, telle qu’elle s’exprime à travers des maîtres spirituels et quelques textes sacrés fondamentaux, afin de voir dans quelle mesure elle parvient à la refléter et à la rendre compréhensible et évidente. En même temps, cet ouvrage va tenter de nous faire découvrir ou redécouvrir, ce qu’est cette Tradition dans sa réalité, sa plénitude, sa vérité universelle largement oubliée en Occident depuis la fin du Moyen-Âge et qui nous permet d’avoir un socle de réflexion. Au sommaire de ce petit livre de 135 pages : L’Infini - La connaissance - L’initiation - Les pièges de la voie - Les sociétés traditionnelles et la modernité - La Tradition Primordiale - |
RENÉ GUÉNON. L’HOMME
ET SON MESSAGE |
DIVERS
AUTEURS |
PLANETE
PLUS |
1969 |
||
Nul dogmatisme pour autant, mais
l’assurance de celui qui revient d’un voyage étonnant. Un voyage pendant lequel
il aurait été transporté sur une montagne d’où il aurait pu découvrir, de
l’extérieur enfin, les choses et les astres pour, une fois revenu, pouvoir en
rire délicieusement et assurer comme faits inexorables ce qui est gros encore
dans le ventre de l’avenir. Car le chemin de Guénon passa par un sentier où
l’instant dépasse le futur pour rejoindre le passé. |
RENÉ GUÉNON - MESSAGER DE LA
TRADITION PRIMORDIALE ET TÉMOIN DU CHRIST UNIVERSEL |
J.
CHOPITEL et C. GOBRY |
ÉDITION
LE MERCURE DAUPHINOIS |
2010 |
L’œuvre
de René Guénon démontre l’identité profonde des grandes traditions
spirituelles, toutes issues de la Tradition
Primordiale, toutes révélées pour que l’homme retrouve le chemin
de sa divinité. Elle
présente la dégénérescence du « monde
moderne » comme une
conséquence directe de la chute de l’humanité dans l’inconscience
spirituelle, caractérisée par sa perte du sens sacré et son abandon des
principes et méthodes portés par ces différentes expressions traditionnelles. Elle
montre la nécessité en ces temps véritablement apocalyptiques, d’un réveil de
conscience général, pour sortir du cercle vicieux des théories et pratiques
matérialistes, et elle annonce l’imminence du retour du -Messie Universel- qui viendra réapprendre
aux hommes les secrets de la réalisation en soi. Sommaire de cet ouvrage : René Guénon le métaphysicien et le monde moderne – la notion
de Tradition – René Guénon, le Christ et le christianisme- Esotérisme,
exotérisme et mysticisme- la résurrection de Lazare- sacrements et rites
initiatiques - le symbolisme de la Croix - le Roi du Monde - le Saint Graal -
le cœur et le Sacré Cœur - Saint Bernard - l’ésotérisme de Dante la
grande triade - le christianisme dans « la crise du monde moderne »
et dans « le règne de la quantité » - René Guénon et l’Eglise
exotérique Catholique et Orthodoxe - Jean Danielou - Nicolas de Cusa - La
Franc-maçonnerie - J. B. Willermoz - les Elus Coëns et le martinisme –
Martinez de Pascually et L. C. de Saint Martin - Joseph de Maistre –
L’Eglise catholique et la gnose - le Messianisme – L’évangile de Jean – Saint
Cassien- |
RENÉ GUÉNON : ORIENS ET OCCIDENS |
Commentaires de Mircea A. Tamas |
Edition Rose-Cross Books |
2014 |
||
Bien entendu, un jour nous atteignons le fond du tonneau, un fond où ne se trouvent plus que quelques articles, quelques comptes rendus, des notes et des lettres de Guénon. Le temps passe et les gens se détournent du tonneau et, assez vite, le vent d’ouest commence à le recouvrir de sable et de poussière ». Après avoir publié Fragments Doctrinaux, il nous restait des éléments qui n’avaient pas encore été utilisés, et qui, nous le pensions, méritaient d’être imprimés dans un nouveau et dernier volume. Nous ne savons que trop bien à quel point la détresse associée au fait de ne pas avoir d’autres livres de Guénon peut amener à publier tout et n’importe quoi : des cours de psychologie de sa période dans l’enseignement, des lettres concernant sa vie privée, des notes de jeunesse (qui n’étaient précieuses que pour Guénon), etc. Ce que nous avons à l’esprit est très différent. Le premier chapitre du premier livre
de René Guénon, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues
(Marcel Rivière, 1921), est intitulé Orient et Occident ;
quelques années plus tard, il publia un livre appelé aussi Orient et
Occident (Paris, Payot, 1924) ; en accord avec sa pensée, le Recueil
que nous avons publié a pour premier chapitre un article de Guénon intitulé Orient
et Occident (publié dans la revue Le Radeau, janv. 1925). Nous
pensons que, de nos jours, ce syntagme sera mieux exprimé par Oriens et
Occidens, si l’on considère à quel point la mentalité moderne a
remplacé l’esprit traditionnel marchant vers l’Orient ; de plus, à cause
de ce même envahissement par la mentalité moderne, nous avons décidé de
dédier ce livre aux écrits de René Guénon sur ce sujet, un sujet qu’il a choisi
pour commencer son premier livre, un sujet qui fut maîtrisé et traité par
Guénon à un niveau sans égal, si on le compare à tous les autres livres
publiés à cette époque (défendant l’Occident ou l’Orient) tels ceux de
Massis, de Spengler ou d’Evola (où l’on peut détecter de la confusion, sinon
des erreurs pures et simples). L’Orient et Occident de René Guénon
n’est pas « pour » ou « contre » quiconque ou quoi que ce
soit ; il ne traite que de la vérité. Le présent volume va essayer de mettre tout ceci en valeur en présentant l’ambiance de l’époque à laquelle Guénon a écrit son œuvre, une ambiance illustrée par des textes et des commentaires spécifiques, à commencer par la Défense de l’Occident et se terminant avec des commentaires de premier ordre sur son ouvrage Orient et Occident. |
RENÉ GUÉNON OU LA MISE EN DEMEURE |
Henry Montaigu |
Edition La Place Royale |
1986 |
L’ultime critique de la crise moderne a situé son grand oeuvre de paix métaphysique dans la perspective d’un combat contre les démons des néo-spiritualismes d’une part, et des menaces de dérives que la modernité fait subir aux formes traditionnelles, orthodoxes. Il s’agit tout à la fois d’un déchiffrement en vue de trouver la transcendance et d’un déchiffrement des voies d’accès. Pour Guénon, le monde moderne est une ‘’déviation’’, reste à désencombrer la droite route, afin peut être, et s’il est possible encore, pour quelques- uns et pour tous, de la prendre à nouveau. Henry Montaigu, en marge de cette oeuvre considérable dont il lui semble que tout reste à dire, s’interroge sur la suite à donner, et il n’est pas sans inquiétude devant certains abus et détournements opérés par la littérature post-guénonienne… Dans cet ouvrage, Henry Montaigu développe 145 mots de Guénon, et donne sa version sur l’esprit guénonien. Par exemple ‘’Silence’’ : Faire silence pour Guénon, c’est ce qui est au bout de la musique comme la plus sublime des musiques ; au bout de la connaissance, c’est au silence que Guénon nous renvoie, à l’indicible réalité, auprès de quoi ‘’tout est rigoureusement nul’’ et non aux gloses et disputes de docteurs, car il est aussi venu pour fermer l’école. L’humilité fondamentale de la démarche traditionnelle : Toutes ces choses faisant partie de la Tradition Primordiale et des sciences ésotériques qui entourent l’oeuvre de René Guénon ont générées autour de lui un rempart d’incompréhension et de haine. La modernité ne sort du mensonge que par l’accident du « j’ai trouvé tout seul, c’est mon invention, ma découverte, ma trouvaille. » Le scribe véritable doit perpétuellement redire avec son langage de vivant qui s’adresse à des oreilles vivantes. Sa fonction est de recréer ce qui est. Il n’ajoute que par nécessité extérieure de façon à n’altérer le dépôt que comme instrument de miséricorde. Mais quel que soit le moyen choisi et la condition des temps, tout ce qui importe est de redire. Dans cet ouvrage, Henry Montaigu dit “L’Occident ne pouvait être dégénéré au point que Guénon
l’a dit puisque Guénon justement était là pour le dire. Henry Montaigu est né à Marmande (Lot et Garonne) en 1936 et mort à Lavardac (Lot et Garonne) en 1992. il était un auteur et chroniqueur français. Il s'est fait connaître notamment par la publication de son roman Le Cavalier bleu (1982) et pour son engagement politique en faveur de la monarchie. Il s'appliqua particulièrement à approfondir l'histoire de la France médiévale et aussi à la personnifier dans quelques romans. En 1982, il fonde la revue La Place Royale « revue de combat pour la France », dont la ligne éditoriale s'inscrivait dans le courant traditionaliste, dans la continuité de l'œuvre de René Guénon. Auteur chrétien atypique, il n'approuvait guère les « évolutions » de l’église romaine. Olivier Gissey le présentait comme l' « une des dernières grandes figures qui incarnaient l'idée royale en France, sur les traces de Joseph de Maistre et de Georges Bernanos». |
RENÉ GUÉNON. QUI SUIS-JE ? |
David
GATTEGNO |
Edition
PARDES |
2001 |
A
la fin du XIXe siècle, l’héritage de la France compte un formidable appareil
cérébral pseudo-religieux dans lequel d’informes « idéaux » politiques vont
trouver à se condenser jusqu’à savoir donner le tour exclusif, à nuque plate
et à front arrogant, de l’idéologie aujourd’hui dominante. |
RENÉ GUÉNON - RECUEIL |
RENÉ GUÉNON |
Edition Rose-Cross Books Canada |
2013 |
Toute sa vie, R. Guénon insista pour dénoncer la crise du monde moderne et ses méfaits sur l’homme dans sa dimension spirituelle. Plus de 62 ans (nous sommes en 2013) après sa mort, il est clair que le déclin du monde s’est transformé en une véritable chute, de plus en plus rapide et destructrice, avec un abandon des valeurs et une précipitation que seule la fin des temps peut expliquer. C’est pourquoi les signes des temps semblent nous submerger comme s’il s’agissait d’un déluge de putréfaction. On est en droit d’insister sur cette période -1951-2013 – car il est incontestable qu’elle correspond à un affermissement du matérialisme et une fin de cycle. Elle est marquée par une phase agressive engluée dans une aporie destructrice. Aujourd’hui le monde n’a jamais été aussi éloigné de l’esprit traditionnel, la jeunesse est coupée des choses spirituelles et les médias détruisent à tour de bras le sacré, l’athéisme sous une coloration doucereuse continu son œuvre de destruction et les philosophes en mal de renommé n’ont pas le courage ni l’envie d’aller à contre courant de l’air du temps. Ce « recueil » édité au Canada (Au Canada l’œuvre de R. Guénon est tombé dans le domaine public depuis 2011, ce qui n’est pas le cas en France) rassemble dans ce livre posthume les articles et comptes rendus provenant de diverses publications qui n’avaient pas encore été mises à la disposition du grand public. Seuls les articles signés de sa main figurent dans cet ouvrage, c'est-à-dire, ses notes personnelles, ses lettres, et les écrits parus dans des journaux étrangers. Cela permet de mieux comprendre l’œuvre de René Guénon et de pouvoir en retirer plus de bénéfice dans notre réflexion, car chaque écrit de René Guénon nous apprend quelque chose, non pas du coté quantitatif mais du coté qualitatif, c'est-à-dire qu’il peut éveiller en nous des pensées spéciales, ouvrir des portes inconnues, et qu’importe si on y trouve des articles redondant, la répétition fait partie de l’apprentissage traditionnel. Au sommaire de cet ouvrage : Orient et Occident : 9 écrits et lettres et 7 comptes rendus 1912- 1929 Le centre spirituel et le monde : 6 écrits et 8 comptes rendus 1910- 1935 Tradition et symbolisme : 2 écrits parus dans la gnose 1910 et 20 comptes rendus 1914-1936 La Franc-maçonnerie : 4 écrits parus entre 1911 et 1914 La crise du monde moderne : 4 écrits 1911-1914 et une cinquantaine de comptes rendus parus entre 1912 et 1929 |
RENÉ GUÉNON. TÉMOIN DE LA TRADITION |
Jean Robin |
Edition Trédaniel |
1986 |
||
Il
est deux manières d’envisager l’œuvre de René Guénon : On
peut y voir la synthèse géniale, ou discutable, formulée pour notre temps,
d’antiques vérités longtemps occultées, dont des précurseurs portèrent un
discret témoignage au long des 18e et19e siècle et qui,
attendaient d’être regroupées en un corpus cohérent. Il s’agissait alors d’un
travail de mise en forme à partir de données préexistantes, effectué par une
individualité tributaire de son milieu, de ses sources, de sa psychologie
propre enfin, qui l’amenait peut être à orienter arbitrairement l’héritage intellectuel
que le destin lui avait confié. Mais
on peut aussi considérer aussi cette œuvre, tout au contraire comme une somme
magistrale qui puise sa force et sa certitude en un fond mystérieux dont
aucune référence, aucune étude des sources ne peut rendre compte, et que l’on
est obligé, qu’on le veuille ou pas, d’accepter ou de refuser en bloc comme
un ensemble indiscutable, indissociable et invariable dès l’origine,
préexistant dans sa totalité à l’exposé progressif qui en fut fait au long
des centaines d’articles et de livres publié à ce jour. Ce
faisant il ne faut pas oublier une donnée fondamentale de l’œuvre de Guénon,
c’est la dimension de l’inspiration, qui d’ailleurs parait fort mystérieuse,
il n’en demeure pas moins certain que c’est de l’Orient contemporain et non
de celui de la compagnie des Indes, que Guénon reçu directement par
transmission ces enseignements, et dont il tira par la suite la quintessence
dans ses exposés. Au sommaire de cet ouvrage : Des vestiges épars - L’énigme du Sphinx - La métaphysique orientale - Le symbole des symboles - L’initiation - Le sort de l’Occident - Le Sheikh Abdel Wahed Yahia - Les magiciens noirs - La personnalité de René Guénon - « Du voile d’Isis » aux Etudes Traditionnelles » - Très nombreuses photos de R. Guénon et d’illustrations complètent ce livre |
RENÉ GUÉNON - UNE POLITIQUE DE L’ESPRIT |
David Bisson |
Edition Pierre Guillaume de Roux |
2013 |
Né à Blois et enterré au Caire sous le nom d’Abd-el-Yahiâ en 1951, René Guénon est l’homme par qui le scandale arrive. Il dénonce la décadence de l’Occident moderne, fruit d’une lente dégénérescence de son héritage métaphysique et se tourne, au grand dam des catholiques, vers l’Orient devenu, selon lui, le refuge ultime de la « Tradition ». Cette dernière notion, centrale chez Guénon, élève toutes les traditions religieuses de l’humanité au même niveau de transcendance tout en reconnaissant à chacune d’entre elles sa dimension spirituelle spécifique. Un point de vue tout simplement révolutionnaire dans les années 30. Dès lors, il appartient à l’individu de se déterminer spirituellement par un processus de connaissance graduée qui dépasse largement le seul exercice d’un rite religieux. C’est la voie ésotérique par essence, qui suscitera l’émergence à travers le monde (Europe, Etats Unis, Russie, Asie et autres) d’innombrables chapelles initiatiques se réclamant de Guénon, avec notamment les groupes soufis dirigés par Schuon, Valsan, ou Pallavicini. Chose frappante, un lien inextricable s’est peu à peu tissé entre cette perspective ésotérique et l’horizon politique. En témoignent la « spiritualité héroïque » de Julius Evola dans l’Italie des années trente mais aussi les résonnances guénoniennes qu’on découvre dans l’engagement politique de Simone Weil ou de Carl Schmitt. Parallèlement à l’activité des revues Le Voile d’Isis/Etudes Traditionnelles, les apports de Mircea Eliade, d’Henry Corbin ou de Raymond Abellio achèvent de perpétuer le rayonnement guénonien, si controversé soit-il. Cette mise en perspective monumentale de l’œuvre de René Guénon, révèle de manière décisive, une figure cardinale du XXe siècle et dévoile l’étendue de son rôle dans la construction de la pensée moderne occidentale. Au sommaire de cet ouvrage de 525 pages, l’auteur nous parle de : 1e Partie : La tradition en théorie 1925-1932 L’intuition gnostique ou la genèse de l’œuvre 1906-1914 - son enfance, sa jeunesse et sa soif de l’occulte, du mystérieux et de la métaphysique - L’exposé oriental ou l’incarnation de l’idée 1914-1930 - Un intellectuel inclassable, un penseur engagé et un ésotériste convaincu - La raison ésotérique ou la synthèse Traditionnelle 1930-1932 - La Tradition Primordiale et la réalisation métaphysique - L’écriture de René Guénon - La fin du monde moderne, une métaphysique de l’histoire - le salut de l’Occident chrétien, une civilisation traditionnelle et sa réforme intellectuelle - Où situer René Guénon sur l’échiquier politique ? 2e Partie : La Tradition en pratique 1930-1951 Le traditionalisme ésotérique et ses formes diverses d’engagement - L’exil de René Guénon - Une école de pensée traditionnelle - les lieux du repli ésotérique 1941-1951 - L’horizon apocalyptique - les dernières œuvres - La Tradition comme mode de résistance à la modernité - La tradition en politique - Le fascisme ésotérique de Julius Evola, les diverses métapolitiques avec bilan et perspectives de l’engagement évolien - Le nationalisme archaïque de Mircea Eliade - La découverte du sacré - L’historien des religions - Les lectures parcellaires de la Tradition - Carl Schmitt - Drieu la Rochelle - Simone Weil - Comment identifié le mouvement impulsé par René Guénon ? 3e Partie : La Tradition en perspective 1951-1980 Un traditionisme régulier et fermé - La reconnaissance posthume de l’œuvre, la filiation discrète des disciples - La survivance des pôles initiatiques - La gnose universaliste de Frithjof Schuon et le soufisme guénonien de Michel Valsan - Roger Maidort - Une science aux visées gnostiques - L’espace imaginal d’Henry Corbin - La science traditionnelle de Gilbert Durand - Le cercle Eranos - L’Université de Saint-Jean de Jérusalem - Une métapolitique antimoderne - Raymond Abellio : rénovateur de l’ésotérisme occidental - Louis Pauwels : entrepreneur de culture ésotérique - la stratégie culturelle de la nouvelle droite - La Tradition aujourd’hui ? - La Tradition demain ? - |
4 S
saint bernard |
René
GUÉNON |
Editions
Traditionnelles |
1987 |
||
Albéric devient l’abbé de Cîteaux.
Il jette les bases de la législation cistercienne. La situation est précaire.
Les moines sont très pauvres. Le monastère ne recrute pas beaucoup. Cîteaux
effraye par sa pauvreté, sa rigueur. Albéric meurt en janvier 1108, dix ans
après la fondation sans même pressentir l’essor extraordinaire de l’ordre. Il
semble que pendant ces dix années, Cîteaux n’ait accueilli aucun postulant.
Etienne Harding succède à Albéric. Le monastère continue de vivre
difficilement, la réforme cistercienne est contestée, discutée, condamnée
même par certains bénédictins qui taxent les cisterciens d’être des esprits
schismatiques et prétentieux. C’est en avril 1111, époque où Cîteaux semble
déchoir, où la nourriture manque, que Bernard et ses recrues se présentent.
Les médisances qui se répandent sur Cîteaux l’attirent, Bernard sait que la
calomnie accompagne le serviteur du Christ, que la persécution est une
béatitude. Et si les hommes blasphèment, c’est parce que Cîteaux est aimé de
Dieu. Novice à 21 ans, il se montre un écolier docile. La rude ascèse de la
nouvelle observance lui plait d’emblée : nourriture frugale (fèves,
raves et soupes de feuilles de hêtre), mobilier rustique et branlant,
paillasses et couvertures juste nécessaires. Dans cette école de Charité, il
apprend à aimer ses frères, et à aimer Dieu. Il s’investit dans une vie
ascétique. Il prie sans cesse, lit les Ecritures, les Pères de l’Eglise,
s’imprégnant des textes. Il met en pratique sur lui-même ce qu’il enseignera
aux autres plus tard. Trois ans plus tard, ses
supérieurs n’hésitent pas à lui confier, malgré sa jeunesse et sa santé
chancelante, la conduite de douze religieux pour fonder une nouvelle abbaye,
celle de Clairvaux, qu’il va gouverner jusqu’à sa mort, repoussant toujours
les honneurs et les dignités qui s’offriront si souvent à lui au cours de sa
carrière. L’abbaye se construit avec les mêmes difficultés matérielles que
Cîteaux : défrichage de la forêt, mise en culture, cabanes sommaires
tenant lieu de bâtiments, nourriture frugale. Les villageois environnants
aident au début, mais se retirent rapidement. Tout fait défaut, mais la
confiance en Dieu de Bernard est là. Une aura de sainteté gagne Clairvaux,
son rayonnement se répand rapidement. Partout on va bientôt réclamer la
présence de Bernard, celui qui souhaitait vivre reclus et ignoré au
monastère. Bernard compte parmi les bâtisseurs de l’ordre cistercien. Il
rédige la Charte de Charité, avec les abbés des premières fondations :
La Ferté, Pontigny et Morimond. En 1115, Il est ordonné prêtre par
l’évêque de Chalons sur Marne, Guillaume de Champeaux, avec qui il restera
ami. Pendant toute sa vie, Bernard n’aura de cesse de participer à
l’organisation et à l’expansion de l’ordre cistercien. Clairvaux à peine
fondée, exerce une attirance immense.
Etre abbé nécessite, pour lui, la pureté de cœur, l’intention
toujours droite, une charité forte, une volonté de donner l’exemple. D’une
extrême sensibilité mais aussi d’une très grande exigence, il parle avec
véhémence, avec une telle foi, un tel
désir d’arracher à l’inertie que les moines qui le comprennent, le suivent
avec ardeur et l’aiment. Bernard n’a de cesse de convertir, de convaincre de
jeunes recrues, de les mener jusqu’aux portes du monastère. Il encourage, il
exhorte les jeunes gens à entrer et à persévérer dans la vie religieuse, à
quitter leurs vies mondaines, leurs familles : « Vous dirai-je d’allier en même temps Dieu et le monde ?… On ne peut
servir deux maîtres à la fois. » Il est un homme absolu, uniquement
spirituel, par impossibilité d’être autre chose. Il n’admet pas de compromis
entre Dieu et le siècle. Il place comme un absolu la fidélité à Dieu. Mélange
de douceur et de passion, de tendresse et d’ardeur, de fougue et de
sensibilité, il possède un charisme extraordinaire. La piété mariale du
moyen-âge est également inséparable de saint Bernard. C’est lui qui
interprète le rôle de médiatrice de Marie : « Voulez-vous un avocat près de Jésus : recourez à Marie. Je le dis
sans hésitation : Marie sera exaucée à cause de la considération qui lui est
due. Le fils exaucera sa Mère et le Père son Fils. Voici l’échelle des
pécheurs : une absolue confiance. Voici sur quoi mon espérance est fondée. » La vie
de Bernard se situe en pleine phase de
transformations : philosophie, poésie, transformations économiques et
sociales, naissance de l’urbanisme, apparition du commerce, mise en place de
la royauté, avec sa centralisation face à la noblesse féodale. Ce 12ème
siècle, dont il sera l’un des hommes les plus représentatifs, verra aussi des
heurts entre l’Eglise et l’Etat, la naissance d’hérésies, le début des
croisades ouvrant les portes de l’orient. Bernard est de cette époque de
grands changements. L’enseignement de Bernard transparaît à travers ses
nombreuses lettres : fidélité, humilité, obéissance, persévérance, vie
simple, travail, prière, méditation. Il s’adresse au cœur de ses
interlocuteurs, avec franchise, parfois dureté, il adapte son discours, pour
être écouté, pour convaincre. Peu à peu, grâce à cet enseignement, et sa
force de persuasion, il obtient une certaine renommée. Il est sollicité par
d’autres abbés, des dignitaires de l’Eglise, des nobles et des souverains,
pour prodiguer des conseils, résoudre des conflits, arbitrer des
négociations. Ainsi celui qui voulait vivre loin du monde, doit sillonner
l’Europe, et prendre part aux grandes décisions de son siècle, tant dans
l’ordre politique que dans l’ordre religieux. Par le seul rayonnement de sa
foi, il devient le juge des maîtres les plus réputés de la philosophie et de
la théologie, le restaurateur de l’unité de l’Église, le médiateur entre la
Papauté et l’Empire, et le prédicateur des croisades. Bernard avait commencé de bonne
heure à dénoncer le luxe dans lequel vivaient alors la plupart des membres du
clergé séculier et même les moines de certaines abbayes. Ses remontrances
avaient provoqué des conversions retentissantes.- Il intervient dans les
conflits qui ont éclaté entre Louis le Gros et divers
évêques, et proteste hautement contre les empiètements du pouvoir
civil sur les droits de l’Église.- en 1130, des événements d’une toute autre
gravité, mettent en péril l’Église tout entière, divisée par le schisme de
l’antipape Anaclet II. C’est à cette occasion que le renom de Bernard se
répandra dans toute la Chrétienté. Les cardinaux, partagés en deux factions
rivales, avaient élu successivement Innocent II et Anaclet II. Le premier,
contraint de partir, en appelle à l’Église universelle. C’est la France qui
répond la première. Bernard est invité au concile convoqué par le roi à Étampes.
Les évêques et les seigneurs réunis suivent son avis (comme celui d’un envoyé
de Dieu), et reconnaissent la validité de l’élection d’Innocent II. Bernard
entreprend alors de nombreux voyages pour asseoir cette décision. Il parcourt
les principaux diocèses et est partout accueilli avec enthousiasme. L’abbé de Clairvaux se rend auprès du roi
d’Angleterre et triomphe promptement de ses hésitations; Il a aussi une part,
au moins indirecte, dans la reconnaissance d’Innocent II par le roi Lothaire
et le clergé allemand. Il rejoint ensuite l’Aquitaine pour combattre
l’influence de l’évêque Gérard d’Angoulême, partisan d’Anaclet II. En 1135,
il réussit à détruire le schisme en opérant la conversion du comte de
Poitiers. Dans l’intervalle, il doit se rendre en Italie, appelé par Innocent
II qui y était retourné avec l’appui de Lothaire, et qui le missionne pour
accommoder les deux cités rivales Pise et Gênes. Innocent peut enfin rentrer
dans Rome, mais Anaclet demeure retranché dans Saint-Pierre dont il est impossible
de s’emparer. Lothaire, couronné empereur à Saint-Jean de Latran, se retire
bientôt avec son armée. Après son départ, l’antipape reprend l’offensive, et
le pontife légitime doit s’enfuir de nouveau et se réfugier à Pise. C’est de l’Allemagne seule qu’on
peut espérer un secours efficace. Malheureusement, l’Empire est toujours en
proie à la division, et Lothaire ne peut retourner en Italie avant d’avoir
assuré la paix dans son propre pays. Bernard part pour l’Allemagne et
travaille à la réconciliation des Hohenstaufen avec l’empereur. Là encore,
ses efforts sont couronnés de succès. Il se rend ensuite au concile
qu’Innocent II a convoqué à Pise. Bernard est l’âme du concile, dans
l’intervalle des séances, raconte un historien du temps, sa porte est assiégée
par ceux qui ont quelque affaire grave à traiter, comme si cet humble moine
avait le pouvoir de trancher à son gré toutes les questions ecclésiastiques.
Délégué ensuite à Milan pour ramener cette ville à Innocent II et à Lothaire,
il s’y voit acclamer par le clergé et les fidèles qui, dans une manifestation
spontanée d’enthousiasme, veulent faire de lui leur archevêque, et il a la
plus grande peine à se soustraire à cet honneur. Il n’aspire qu’à retourner à
son monastère. Il y rentre en effet, mais ce n’est pas pour longtemps. Il
doit se rendre en Sicile pour concilier Lothaire et le roi Roger, qui
s’affrontent en Italie méridionale. Il entreprend et réussit la conversion
d’un des principaux auteurs du schisme, le cardinal Pierre de Pise, qu’il
ramène avec lui auprès d’Innocent II. Cette conversion porte sans délai un
coup terrible à la cause de l’antipape. En 1137, vers l’époque des fêtes de
Noël, Anaclet meurt subitement. Quelques-uns des cardinaux les plus engagés
dans le schisme élisent un nouvel antipape sous le nom de Victor IV. Mais
leur résistance ne peut durer longtemps, et, le jour de l’octave de la
Pentecôte, tous font leur soumission. Dès la semaine suivante, l’abbé de
Clairvaux reprend le chemin de son monastère… |
science sacrÉe
- Revue |
Numéro
Spécial René guÉnon |
Edition
Science Sacrée |
2003 |
Science sacrée est une revue d’études
traditionnelles réservée à toutes les expressions de la tradition perpétuelle
et unanime. Placée sous l’égide de l’enseignement de René Guénon, elle suit
également les prolongements doctrinaux et les applications de l’œuvre
guénonienne selon l’orientation spirituelle de Michel Vâlsan (Sheikh Mustafa
‘Abd-al-’Azîz en Islam), le fondateur reconnu des études en
Occident sur Muhy-d-dîn Ibn ‘Arabî, le plus grand Maître de
l’ésotérisme islamique. Souhaitant rendre actuelle l’œuvre de Michel
Vâlsan et permettre également une meilleure compréhension de sa fonction,
Science sacrée donne aujourd’hui accès à ses écrits, publiés initialement
dans la revue Etudes Traditionnelles - ou inédits pour certains - qui ne
circulaient plus jusqu’à présent qu’en des cercles assez restreints, les
diverses reprises plus tardives des Editions de l’Œuvre étant
presque toutes épuisées. Fondée en 2001 par Muhammad Vâlsan, Science
sacrée reprend son activité éditoriale, selon de nouvelles
modalités, en cette date du 16 février 2011, dix ans après sa
première publication. Souhaitant une meilleure diffusion, elle fait aujourd’hui appel
au support internet qui grâce à la mise en ligne d’archives de la revue,
permettra l’accès à certains articles des numéros aujourd’hui épuisés mais en
cours de réédition. Les travaux que souhaite accueillir la revue ont vocation
à témoigner d’une démarche intellectuelle pure qui rende compte des principes
métaphysiques s’exprimant à travers les différentes formes particulières dont
se revêt la Tradition primordiale pour diffuser sa science et sa sagesse
universelle. |
SYMBOLES DE LA SCIENCE SACRḖE |
René Guénon |
Edition Gallimard |
1998 |
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A vrai dire une telle entreprise présuppose qu’il existe
bien quelque chose comme une conception guénonienne du symbolisme, ce que
Guénon lui-même récuserait formellement. La doctrine qu’il expose en la
matière s’identifie à ses yeux à la vérité pure et simple du symbolisme
sacré. Une telle prétention peut sembler exorbitante. Nous la croyons
cependant justifiée, et c’est précisément pourquoi elle est paradoxalement
unique et originale, dans la mesure même où elle se distingue de toutes les
autres théories du symbolisme. Ce n’est pas ici le lieu d’en exposer la
démonstration. Il faudrait restituer la doctrine guénonienne dans son
intégralité et passer en revue les diverses théories modernes et
contemporaines qui se sont proposé d’expliquer le symbole 3. Mais on peut au
moins reconnaître ceci, qu’on ne saurait discuter : cette doctrine est la
seule qui soit parfaitement et rigoureusement accordée à son objet,
c’est-à-dire aux symboles sacrés eux-mêmes. C’est là un fait que le monde est
à même de constater, et sur lequel il convient d’abord de nous arrêter, car
s’il n’est peut-être pas de domaine où l’influence de Guénon ait été aussi
féconde et étendue que celui du symbolisme, il s’en faut cependant que les
théoriciens du symbolisme lui accordent autre chose qu’une dédaigneuse
inattention. « L’interprétation de Guénon, écrit Michel Deguy dans l’un
des rares articles consacrés à sa doctrine du symbolisme, reste indécidable
du point de vue scientifique et, chose curieuse, elle vient se ranger en
définitive à côté des autres vues totalitaire, freudienne ou structuraliste,
etc., sa prétention de détenir le sens dernier des symboles et du symbole. »
Au contraire, chez Guénon, la nécessité du symbole ne dérive pas
fondamentalement d’une volonté (ou d’un travail inconscient) de déguisement,
mais de la nature des choses. Il n’y a en effet, pour une telle réalité
supérieure, aucune possibilité de se manifester comme telle sur un plan
inférieur, parce que les conditions plus limitatives de ce plan d’existence
ne le permettent pas. Elle ne peut se manifester que d’une manière qu’il faut
bien qualifier de symbolique. Mais alors le symbole n’est pas un déguisement,
il ne ment pas, il exprime seulement la vérité aussi adéquatement que le
permettent les propres conditions d’existence de son plan de manifestation.
Plus encore, il en est lui-même la projection : autrement dit, son être (de
réalité seconde et inférieure) et sa fonction (de symbole d’une réalité
supérieure) ne font qu’un. L’herméneutique ne sera donc plus suspicieuse à
l’égard du symbole, au contraire elle sera accueillante à sa forme et à ses
qualités sensibles dont elle suivra scrupuleusement toutes les indications.
Une telle herméneutique, nous la qualifierons volontiers d’obédientielle. Au demeurant, le symbolisme n’est pas seulement réduit
quant au petit nombre des éléments que les herméneutiques modernes prélèvent
sur la totalité interprétable, mais, d’une façon générale, il est par elles
amputé de son intention première et irrécusable, qui est de nous parler du
Transcendant et de nous Le rendre présent autant que faire se peut. Au lieu
que l’herméneutique obédientielle de la tradition, telle que Guénon nous la
restitue dans ses principes fondamentaux et ses applications majeures, assume
le symbole en totalité, aussi bien dans l’interprétation de ses éléments
particuliers, que dans sa signification globale et essentielle qui est de
nous faire entendre Cela même qui est au-delà de toute parole. Or, la première question que pose à l’homme moderne
l’existence du symbolisme sacré est exactement celle-ci : « s’il portait sur
le monde, le discours symbolique serait irrecevable, et il faudrait voir en
ceux qui le tiennent, à la fois des virtuoses de l’imagination et des débiles
de la raison. Force est de constater que, dans l’esprit et le cœur de ceux
qui le tiennent, et quoi que l’on en pense par ailleurs, le discours
symbolique « porte bien sur le monde », en d’autres termes, que ce discours a
bien l’intention de nous dire quelque chose sur la réalité. C’est précisément
cette prétention ontologique que le rationalisme scientifique, depuis
Galilée, a rendu impossible. Pour la pensée moderne, le choix est clair : ou
bien le discours symbolique procède à sa propre neutralisation ontologique,
ou bien il doit être considéré comme dément. Car il faut être fou pour continuer
à croire à la vérité d’un discours contraire à tout ce que la raison tient
pour certain. Tel est le jugement que la science et la philosophie modernes
portent sur toute culture religieuse. On s’en est accommodé sans trop de
difficultés pour ce qui est des « autres » religions, et l’on accepta
volontiers de ne voir en tout cela que du « symbolisme », c’est-à-dire de
l’imagination et de la poésie. Le jour vient pourtant – et il est déjà venu –
où les chrétiens eux-mêmes, se retournant vers leurs propres croyances et
Ecritures sacrées, se trouveront contraints de reconnaître leur évidente
parenté, en dépit des différences, avec les discours symboliques et mythiques
de toutes les religions de la Terre. Terrible épreuve ! On pourra bien
s’acharner à distinguer l’historicité de l’Ancien et du Nouveau Testament et
à la dégager de son revêtement symbolique. Quel est donc le fondement métaphysique que Guénon assigne
au symbolisme, et qui lui permet d’en établir du même coup la vérité sans
pour autant tomber dans ce que l’on pourrait appeler un fondamentalisme
littéral ? On peut exprimer ce fondement de deux manières, d’ailleurs
équivalentes, mais qui envisagent les choses d’un point de vue différent : il
s’agit de la doctrine des correspondances et celle des états multiples de
l’être, la première étant macrocosmique ou « objective », la seconde
microcosmique et « subjective » ; ce qui signifie que la seconde n’est que la
traduction de la première lorsqu’on passe de la considération des degrés de
réalité à celle d’un être déterminé, l’homme par exemple. Cette doctrine est le plus nettement exprimée dans
l’avant-propos du Symbolisme de la croix 18, qui est d’ailleurs immédiatement
suivi du chapitre I : « La multiplicité des états de l’être » ; nous verrons
tout à l’heure pourquoi le chapitre II est consacré à « l’Homme Universel »,
car il y a là un enchaînement rigoureux et plein d’enseignement. Ajoutons que
ce n’est pas non plus un hasard si la « Loi de correspondance » est formulée
à propos du symbolisme de la croix, car la croix est justement la
représentation symbolique la plus claire de cette loi. Autrement dit, nous
avons affaire à une sorte de réciprocité entre symbolisme et métaphysique :
la métaphysique, qui fonde le symbolisme, se présente comme un commentaire du
symbole de la croix, commentaire qui en déploie toutes les significations,
tandis que la croix apparaît comme une figuration synthétique et concentrée
de toute la doctrine métaphysique. S’ensuit-il qu’il faille considérer la
croix comme le symbole par excellence, le « symbole des symboles 19 » ? Nous
ne le croyons pas. Elle n’est symbole suprême que du point de vue de
l’«explicitation », du développement, de la différenciation, mais du point de
vue de l’implication, de l’enveloppement ou de l’indifférenciation, c’est le
point ou le cercle (qui n’en est qu’une autre forme 20) qui joue ce rôle. La
croix est symbole de la réalisation en acte de l’être total ; le point ou le
cercle est symbole de cette totalité même, soit originelle, soit terminale (le
« vortex sphérique universelle »). Au niveau nécessairement formel de toute
expression symbolique, il ne saurait y avoir de symbole suprême. |
SOUFISME D’ORIENT ET D’OCCIDENT - REVUE
No 6 - SPḖCIAL
RENÉ GUÉNON |
DIVERS
AUTEURS |
Edition
LIBRAIRIE DE L’ORIENT |
2001 |
Il
y a 50 ans, s’éteignait au Caire dans la plus grande discrétion un
écrivain français : René Guénon, dont l’œuvre métaphysique est
probablement une des plus importantes du XXe siècle. Ce qui est frappant
lorsqu’on aborde l’œuvre de René Guénon aujourd’hui, c’est son
actualité, malgré certaines voix dissonantes et toujours prêtes à
critiquer, les écrits de R.Guénon ont une force, une acuité, une vérité
étonnante, bien sûr, si R.Guénon devait réécrire ses textes
aujourd’hui, emploierait-il d’autres mots, peut-être plus adapté au
vocabulaire du XXIe siècle, il n’empêche que le fond serait très certainement
le même.
Est
développé :
|
4 U
UN SOUFI D’OCCIDENT : RENÉ GUÉNON |
HALÎM
MAHMÛD |
Edition
GEBO- ALBOURAQ |
2007 |
Le
présent ouvrage témoigne des efforts du Shaykh Halîm
Mahmûd visant à offrir à tous ceux qui cultivent une aspiration sincère à la
connaissance de Dieu, des précisions doctrinales utiles ainsi que des clés
efficaces de discernement sur le Taçawwuf, la spiritualité islamique. C’est
en cela que résident avant tout l’actualité et la portée des enseignements de
René Guénon, « un soufi d’Occident », témoin et interprète de la dimension
métaphysique qui est représenté dans la Tradition islamique. Comme
le rappelle l’excellente introduction de Jean Gouraud, René Guénon a
su à travers ses inlassables explications, redonner la conscience du « But ultime » que constitue la
réalisation spirituelle, mais aussi faire accepter la nécessité d’une
méthode, c'est-à-dire d’une insertion dans les dimensions exotériques, et si
possible ésotérique, d’une tradition orthodoxe et régulière, et surtout
montrer l’exemple d’une « mise en œuvre » de ces principes,
dans cette vie simple dont son premier biographe, Paul Chacornac, nous
a rapporté quelques échos. C’est un témoignage de même nature que nous livre
ici le shaykh Halîm Mahmûd, qui a côtoyé René
Guénon au Caire, et témoigne ici de la piété, de la sagesse, et de la
sainteté de celui-ci. |
4 V
vers la tradition |
Divers
auteurs |
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1981 |
Revue
Guénonienne dont la devise est « Répandre
la lumière et rassembler ce qui est épars ». Cette revue
paraît quatre fois par an. L’œuvre de R. Guénon y est disséquée et expliquée par
beaucoup de penseurs et de Franc-maçons. Cette revue est parue en 1987.
Disponible du n° 1 à aujourd'hui. Son
directeur et fondateur René Goffin nous a quitté en 2008 pour l'orient éternel. |
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